Vu de la cage aux ours

Quand je regarde les jeunes d’origine étrangère de mon quartier qui tiennent les coins, chipotent dans des commerces illicites divers et roulent comme des cons dans de grosses bagnoles que les Belges regardent en se demandant comment ils se les sont payées alors qu’ils ne travaillent pas, je me dis: “C’est la catastrophe: nous avons tout raté”… Nous, ce sont les responsables politiques, les parents de ces jeunes et les gens qui vivent autour d’eux et avec eux.

Quand je regarde les jeunes et les adultes d’origine étrangère qui ont réussi leurs études, qui sont brillants, intéressants et qui ont réussi à faire une synthèse passionnante de leur double culture, je me dis: “C’est réjouissant et ça avance bien”.

Quand je louche et que je regarde les deux réalités à la fois, je me dis que le tableau est contrasté, que je suis incapable d’évaluer ce que pèse numériquement chaque groupe et que ce qui a scellé le destin de leurs membres est multifactoriel et donc complexe.

J’ai juste quelques certitudes – acquises au cours de trente ans de travail et de vie dans les quartiers dits “en difficultés” ou “difficiles” – que je vous livre.

Mes quelques certitudes

D’abord, il n’y a pas de cultures “incompatibles”. Ensuite, ce que nous construisons et construirons socialement dépend de nous (responsables politiques, Belges de souche, Belges plus récents, étrangers) et chacun a, dans cette construction, une responsabilité qu’il ne peut contourner.

Les responsables politiques ont l’obligation d’assurer un appareil scolaire qui prenne enfin la mesure de ce qu’il doit mettre en place pour permettre à tous les enfants (d’où qu’ils proviennent socialement, quelle que soit la langue parlée et la possibilité de soutien à la maison) d’acquérir un bagage de culture générale et de savoir professionnel suffisant pour comprendre la société dans laquelle ils vivent et entrer dans le monde de l’emploi. Et on est très loin du compte…

Ils doivent aussi mettre en œuvre un fonctionnement socio-économique qui ne laisse pas le profit dicter sa loi, qui investit dans les fonctions collectives, qui assure à chaque membre de la société une place et une fonction sociale rémunérée. Et qui organise la solidarité pour la prise en charge de ceux qui, pour des raisons objectives, ne peuvent assurer une fonction sociale. Ils doivent aussi trouver une façon de communiquer sur les questions liées aux étrangers, qui les considère comme membres à part entière de notre société et ne puisse jamais être ressentie comme suspicieuse, voire méprisante, sous peine de produire des effets ravageurs1.

Les discriminations indéniables et le déterminisme social qui règne dans notre société – qu’il est de la responsabilité du politique de combattre au niveau central – n’éliminent pas la marge de manœuvre individuelle et collective.

Les Belges “de souche” ont la responsabilité d’ouvrir leurs yeux et leur cœur, d’aller à la rencontre de leurs voisins de toutes provenances pour en découvrir la part généreuse et chaleureuse – au-delà des différences qui peuvent heurter – qui ne demande pour s’épanouir qu’un sourire, qu’un signe de prise en compte positive pour produire du “bien vivre ensemble”. Ils ont aussi celle de resituer les épisodes difficiles – vols ou violences, marquants mais qui sont le fait d’un tout petit pourcentage d’individus – pour ce qu’ils sont: des événements traumatisants inacceptables mais ponctuels et qui ne peuvent jamais être versés au passif d’une communauté ethnique2. Ils ont enfin celle de se mobiliser positivement là où ils vivent, avec leurs voisins de toutes origines, pour lutter contre les incivilités. Elles pourrissent la vie dans les quartiers, mais la police n’y peut pas grand-chose sans un réinvestissement positif massif des citoyens.

Pas d’autres voies

Les Belges plus récents et les étrangers ont eux la responsabilité de tenir bon dans le parcours du combattant qu’est l’accompagnement de leurs enfants jusqu’à l’âge adulte3, d’être aux côtés de l’école – même s’ils ne peuvent pas aider sur le plan pédagogique – qui a besoin d’eux pour éduquer leurs enfants. Ils ont celle de faire face à ces difficultés à guider les enfants, et de s’en ouvrir aux autres pour se rendre compte qu’au-delà des cultures et des classes sociales, elles sont très partagées dans nos sociétés en voie de désintégration sociale et que des aides efficaces peuvent être trouvées. Ils ont enfin celle de dépasser la victimisation qui peut être tentante. Les discriminations indéniables et le déterminisme social qui règne dans notre société – qu’il est de la responsabilité du politique de combattre au niveau central – n’éliminent pas la marge de manœuvre individuelle et collective.

Les chemins indiqués ci-dessus ne sont ni drôles ni faciles, mais je pense qu’il n’y a pas d’autres voies pour “faire société”.

Notes:
1 Baudouin avait dit à des jeunes d’origine étrangère: “Pardonnez-nous ces regards qui tuent”.
2 C’est aussi aberrant que de conclure qu’il faut craindre tous les Belges parce que le meurtre d’un employé de la STIB le 7 avril a été commis par un Belge.
3 Bon nombre de familles “belges de souche” n’étant pas moins en difficulté dans l’affaire…
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