Sortir de l’insécurité juridique

En 2008, les ONG et de nombreux avocats avaient conclu que l’accès à l’aide juridique en centre fermé n’était pas un droit garanti en centre fermé. En 2009, le Médiateur fédéral faisait le même constat. Avec la mise en place récente de permanences juridiques de première ligne dans les centres de Bruges et de Vottem, la situation a évolué. Mais cette évolution reste fragile.

Dans la lutte, tantôt feutrée, parfois rugueuse, qui se joue autour des centres fermés entre administration, associations et cabinets ministériels, il est un domaine où la situation concrète a changé, bien qu’assez discrètement: celui de l’aide juridique fournie aux étrangers détenus en centre fermé. 

En 2008 et 2009, plusieurs études et interpellations ont mis en lumière les lacunes de l’aide juridique en centre fermé. Il y eut d’abord la parution en novembre 2008 du rapport des visiteurs ONG en centres fermés, intitulé “Faire valoir ses droits en centres fermés: un parcours d’obstacles”. Cet épais rapport était assorti d’une série de recommandations et son verdict était sans appel: “L’accès à ce droit fondamental qu’est l’aide juridique n’est pas garanti”. Il y eut aussi les demandes répétées d’avocats du barreau de Liège et particulièrement du “Collectif droit des pauvres et des étrangers” d’instaurer une permanence de première ligne au centre fermé de Vottem. Il y eut enfin le Médiateur fédéral qui, dans le rapport sur les centres fermés qu’il réalisa en juin 2009, se prononça en faveur de la création de permanences d’aide juridique.

Un droit inscrit dans la constitution

“Entre les murs des centres fermés se joue un des aspects les plus importants de notre système démocratique: Contrairement aux autres justiciables, les personnes détenues en centre fermé n’ont pas accès directement à un avis indépendant sur leur situation. Elles sont tributaires des assistants sociaux, employés par l’Office des étrangers…la protection juridique de sujets de droit particulièrement vulnérables”. Ce que les ONG affirmaient dans leur rapport rappelait – et cela semblait bien nécessaire – que l’accès à l’aide juridique est un droit inscrit dans la constitution. Pour faire valoir ce droit, il faut bien sûr d’abord être informé de son existence par un acteur indépendant, ainsi que des possibilités concrètes de recours et d’accès à un avocat. En centre fermé plus qu’ailleurs, cette information est essentielle, l’échéance de l’expulsion transformant chaque jour en une course contre la montre…

Entre les murs des centres fermés se joue un des aspects les plus importants de notre système démocratique: contrairement aux autres justiciables, les personnes détenues en centre fermé n’ont pas accès directement à un avis indépendant sur leur situation.

Les ONG pointaient beaucoup de dysfonctionnements, certains relatifs à la formation des avocats, d’autres plus nombreux se rapportant au rôle des assistants sociaux. Contrairement aux autres justiciables, les personnes détenues en centre fermé n’ont pas accès directement à un avis indépendant sur leur situation. Elles sont tributaires des assistants sociaux, employés par l’Office des étrangers et officiellement nommés “fonctionnaires de retour”, ce qui laisse peu de doute sur leur partialité… Or, l’assistant social est un rouage essentiel de l’aide juridique. C’est lui qui fait le lien avec l’extérieur, qui informe le détenu de ses droits, qui transmet des documents à l’avocat.

Le rapport des ONG recommandait de changer le statut des assistants sociaux et réclamait des modifications en profondeur de la législation pour que la détention des étrangers soit mieux contrôlée. Sa recommandation phare était l’instauration de permanences juridiques de première ligne dans les centres fermés. Le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme ­(CECLR) s’est saisi de la question et a invité en décembre 2009 les différents acteurs concernés par l’aide juridique à examiner la possibilité de concrétiser cette recommandation. Cette initiative bénéficiait de l’expérience réussie menée au centre fermé de Vottem où, depuis août 2009, le Bureau d’aide juridique (BAJ) de Liège organisait des permanences de première ligne.

L’accès à une aide juridique indépendante

Pour Caroline Stainier, du CECLR, “l’important, c’est que les détenus aient accès à une aide juridique indépendante et perçue comme telle”. L’objectif des ONG et du CECLR de généraliser ces permanences avait été reçu de façon assez favorable par l’Office des étrangers. Une seconde permanence d’aide juridique a donc été créée au centre fermé de Bruges début 2010. Des discussions ont été entamées avec les autres centres (Merksplas, 127 et 127 bis) sans pouvoir encore aboutir, vu le bilan mitigé des permanences existantes. Christophe Renders, directeur du Jesuit Refugee Service Belgique, une ONG qui visite régulièrement les centres fermés, précise: “La permanence fonctionne assez bien à Vottem. Mais à Bruges c’est plus difficile, il y a peu de détenus qui s’inscrivent. On dirait que les assistants sociaux n’informent pas vraiment de cette possibilité. Quant au directeur du centre, il n’a pas l’air d’y croire“.

À Bruxelles, les avocats sont favorables à la création d’une permanence aux 127 et 127 bis mais ils réclament des contreparties financières. Seule une décision politique pourrait mener à la généralisation de ces permanences juridiques. Mais le gouvernement est en affaires courantes… Au cabinet de Melchior Wathelet, secrétaire d’État à la Politique de migration et d’asile, on affirme être favorable à l’extension des permanences à tous les centres: “Nous avons mené une première évaluation à Bruges et Vottem et, pour nous, ces permanences sont positives. Mais il faut l’accord des BAJ qui ont besoin de moyens et il faut un budget pour cela…“. Et comme aucune embellie budgétaire n’est annoncée…

Les revendications des ONG en matière d’aide juridique dépassent largement le cadre des permanences en centres fermés, comme le rappelle Christophe Renders: “Le CECLR s’est saisi de la question des permanences. Mais les ONG ont aussi travaillé sur d’autres thèmes. Nous sommes en contact avec le secrétaire d’État pour travailler à une modification de l’arrêté royal sur les centres fermés, notamment sur la question du statut des assistants sociaux. On a beaucoup planché là-dessus, mais sans avancées. Il y a eu aussi un gros travail avec des parlementaires sur la requête de mise en liberté. L’idée est de renforcer le contrôle de la détention“. Des dossiers ouverts, mais qui risquent de prendre la poussière vu le blocage politique actuel. La modification du statut des assistants sociaux risque également d’être encore ajournée, voire reléguée aux oubliettes, le cabinet Wathelet estimant que la priorité est de mettre en place des permanences juridiques…

L’aide juridique en centre fermé a connu un moment favorable et quelques avancées. Mais entre affaires courantes, contraintes budgétaires et atermoiements, ces avancées pourraient rester passagères. 

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