Roms de Concorde, pommes de discorde

Ballottées de communes en communes, ces familles roms de Slovaquie ont finalement trouvé refuge dans un immeuble abandonné rue de la Concorde à Ixelles (Bruxelles). Avec la bénédiction et le soutien de la commune. Mais l’urgence ne dure qu’un temps. Quelles sont leurs perspectives? Reportage.

C’est un de ces retournements dont l’Histoire a le secret. Alors que les Roms des pays de l’Est de l’Europe furent sédentarisés, souvent sous la contrainte, les voilà rendus à leur nomadisme. Par la force des choses.

Au 60 rue de la Concorde, à Ixelles, quelques familles roms de Slovaquie vivotent depuis trois mois dans un immeuble laissé à l’abandon. Ils y ont échoué après maintes péripéties. De la Slovaquie au square Maximilien près de la gare du Nord. De locaux prêtés par l’ULB aux anciens réfectoires du CPAS d’Etterbeek. Ces familles ont été ballottées, entre logements précaires, squats et camping. La commune d’Etterbeek aurait même organisé un convoi de bus pour les lâcher en territoire ixellois, porte de Namur. La patate chaude…

Leur situation est complexe. Ils sont européens mais pas franchement les bienvenus. Alors, ils bougent au gré des humeurs communales et des bons ou mauvais conseils qui se pressent autour d’eux. Ils espèrent beaucoup, sans trop savoir quoi et pratiquent la méthode Coué. “La situation va s’améliorer, nous affirme Vladislav avec aplomb, avant de reprendre. On attend. Il y aura du travail, les enfants vont à l’école. Les choses iront mieux“.

Une douche hebdomadaire

Lorsqu’on franchit la vaste porte cochère, rue de la Concorde, c’est une étrange mélancolie qui s’impose. Le contraste entre le lustre d’antan et la déliquescence d’aujourd’hui est saisissant. Des peintures s’effritent et les moulures au plafond sont gorgées d’eau. De petites pluies tombent du plafond. Elles forment des flaques. Des sacs d’ordure et de vieux jouets s’amoncellent.

Plus loin, à l’arrière-cour, un autre bâtiment laisse entrevoir de la lumière. C’est là qu’une trentaine de personnes sont accueillies par la Commune d’Ixelles. Les familles sont à l’abri. Et elles disent apprécier cette situation enfin stable. Le temps de souffler un peu. Certes, elles regrettent de ne “pas pouvoir prendre de douche”, mais elles reçoivent chaque jour des boissons, de la soupe, de quoi se nourrir. Quant à la douche, elles sont invitées une fois par semaine par la commune d’Ixelles à en prendre une dans d’autres locaux.

À première vue, le confort est assez spartiate. Cinq familles roms y croisent des exilés de Tchétchénie ou d’Afghanistan.

Il fait très chaud dans la pièce où plusieurs familles nous reçoivent. Leur lieu de vie. Deux plaques électriques, un grand lit et un discret sapin de Noël constituent le mobilier. On ne sait pas à combien ils vivent dans cette unique pièce. À première vue, le confort est assez spartiate. Cinq familles roms y croisent des exilés de Tchétchénie ou d’Afghanistan. Des victimes de la crise de l’accueil, des demandeurs d’asile. Un lieu de vie transitoire où la commune fournit une aide pour l’hiver, jusqu’au mois de mars. Après ils verront, ils croient en leur bonne étoile.

“Il y a un grand racisme en Slovaquie”

Si ces familles ont quitté la Slovaquie pour s’installer en Belgique, c’est avant tout parce qu’elles s’y sentaient menacées. “Il y a un grand racisme en Slovaquie“, affirme Veronica. Teresa, mère de cinq enfants évoque même la “violence des blancs contre les Roms”. “Certains jours, on ne laissait pas les enfants entrer dans le bus de l’école. Les blancs nous attaquaient“, dit-elle. Ils viennent de Košice, à l’Est de la Slovaquie. Une ville où les faits de discrimination, voire de persécution, sont régulièrement rapportés par la presse. Le cocktail y est explosif.

C’est à Košice, et plus particulièrement dans le quartier Lunik IX, que l’on croise la plus grande concentration de Roms de Slovaquie. Le racisme s’y exprime en toute lumière. “Il y a beaucoup de problèmes de logement pour les Roms, insiste Teresa. On vivait dans des tentes, dans les bois“. Une violence telle que pour Ivetta, l’épilogue fut des plus tragiques. “Mon mari a été tué“, lâche-t-elle, préférant ne pas s’épancher sur ce drame.

C’est donc vers la Belgique que se sont dirigés ces citoyens slovaques. “On est mieux ici. On nous considère comme des égaux“, espèrent-ils. Ces familles, pour la plupart, n’en sont pas à leur premier séjour. Teresa, par exemple, a demandé six fois l’asile. Elle a parfois bénéficié d’un accueil dans des centres fédéraux. “Puis on a eu des décisions négatives du Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA), alors on est retourné, puis on est revenu“, raconte-t‑elle, laconique.

Des écarts culturels

Aujourd’hui, l’enjeu, pour ces familles est d’abord d’obtenir un statut. Ce à quoi s’échine leur avocat, Franz Geleyn. Sur le papier, il existe peu de solutions. Les demandes d’asile de Roms issus de pays européens ne mènent à rien. “Le CGRA admet très rarement que des Roms, effectivement victimes de discriminations, soient victimes de persécutions. Ils partent du principe que l’Europe est “sûre”. Mais ce qui se passe en Slovaquie n’est pas aussi clair que ça“, dit-il. Quant au droit des familles en séjour irrégulier à être accueillies, il est sérieusement mis à mal depuis que la crise de l’accueil est passée par là.

Reste enfin la possibilité d’obtenir le “statut d’Européen”. Comme chaque Européen, un ressortissant slovaque peut s’installer librement en Belgique pour trois mois. Pour rester plus longtemps, il devra travailler ou s’inscrire en tant que demandeur d’emploi s’il a des “chances réelles” d’en trouver un. Ce qui implique au moins de montrer une volonté d’insertion professionnelle. “C’est la solution théorique, mais c’est complexe, nous glisse l’avocat. C’est assez improbable qu’ils soient reconnus comme résidents européens. Car pour l’instant, ils ne peuvent se prévaloir d’avoir un travail ni vraiment de pouvoir en obtenir un à court terme“.

L’avenir de ces familles roms, considérées par beaucoup comme indésirables, est donc loin d’être rose. Qu’adviendra-t-il au mois de mars?

Des démarches en ce sens ont tout de même été entamées. “La plupart de ces familles sont inscrites à la commune. Elles vont recevoir une aide sociale du CPAS pour entamer un parcours d’intégration. Les enfants sont inscrits à l’école. Les adultes bénéficieront de cours de français et de formations“, détaille Dorothée Catrysse, collaboratrice du bourgmestre d’Ixelles. Selon elle, “la commune a fait tout ce qu’elle pouvait pour leur mettre le pied à l’étrier. Nous les avons accueillis par souci humanitaire pour ne pas laisser des enfants à la rue en hiver. Mais tout cela a un terme, nous ne souhaitons pas entrer dans une logique d’assistanat“.

Les Roms d’Ixelles suivront-ils ce chemin qu’on leur trace? Rien n’est moins sûr. Si les enfants sont tous inscrits à l’école, Frédéric Dognies, coordinateur des éducateurs de rue d’Ixelles regrette que l’intégration ne fonctionne “qu’à moitié”. Pas facile d’accepter de nouveaux élèves en cours d’année, surtout quand ils ont l’étiquette “Roms”. Du coup, beaucoup s’absentent, font des aller-retour, se débattent dans un système scolaire belge qui leur est inconnu. Frédéric Dognies constate que la communication n’est pas toujours facile au quotidien. “Les écarts culturels nécessitent de s’adapter les uns aux autres, dit-il. Ils ont par exemple une forte culture de la consommation, “on prend on jette”. Les vêtements qu’on leur donne, ça ne les intéresse pas“. Des affirmations qui font réagir Dorothée Catrysse: “Il y a une volonté de notre part qu’ils se fassent aussi à la culture du pays dans lequel ils sont. On leur donne des pistes mais ils ne veulent pas en prendre beaucoup“.

Des propos partiellement confirmés par l’avocat, qui laisse entendre que le parcours d’intégration “classique” pour un citoyen européen n’est peut-être pas adapté à la réalité des Roms, dont le vécu a été marqué par l’exclusion et le dénuement. Vladislav dit par exemple avoir été “faucheur dans les champs”, et rien d’autre. S’insérer en quelques mois dans la vie socioprofessionnelle belge relève certainement de la gageure. “La situation n’est pas facile à ce niveau-là, reconnaît Franz Geleyn. C’est une population difficile à aider. Ils peuvent donner l’impression de ne pas avoir la volonté de trouver un job“.

Veronica, sur le seuil de la porte, dit au revoir sans se départir d’un certain optimisme: “Les conditions de vie, ici, c’est beaucoup mieux qu’avant. La Commune cherche pour nous des formations, du travail. En janvier, on nous a inscrits aux cours de français. On va aussi aller chez Actiris. Si la Commune ne trouve pas de travail, on va continuer à chercher“. Car, évidemment, comme le rappelle à juste titre Vladislav, “quand on cherche, on trouve!”.

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