Aux portes de l’hiver 2010, beaucoup de demandeurs d’asile se sont retrouvés à la rue ou dans des abris de fortune, dans des gares et dans des squats. Incapable de prendre en charge ces milliers de personnes, le gouvernement belge ne respecte pas ses obligations internationales. Fin 2010, après bientôt 3 années de crise, plus de 7.700 personnes se retrouvent sans place d’accueil.
Face à une situation désastreuse et à ce qu’il convient d’appeler une “crise humanitaire”, de nombreux citoyens et associations se mobilisent pour venir en aide aux demandeurs d’asile à la rue. Cela fait trois ans que tous les acteurs de l’accueil, associations en tête, tirent la sonnette d’alarme. L’hiver 2009 était déjà très chaotique mais celui de 2010 s’annonçait encore pire. À la fin du mois de novembre 2010, le secrétaire d’État à l’Intégration sociale, Philippe Courard, lance un appel à solidarité aux associations, CPAS et communes pour tenter de faire face à cette urgence humanitaire. Le constat est partagé par tous: l’accueil des demandeurs d’asile est en crise.
Face à cette situation sans précédent, les réticences politiques sont nombreuses, à tous les niveaux. Finalement, près de 3.000 places d’accueil temporaires, réparties essentiellement dans des casernes et des centres de vacances, sont créées à partir de la mi-décembre (et jusqu’au début février 2011). Les effets de ces mesures se font sentir très rapidement. De mi-décembre 2010 jusqu’à fin avril 2011, tout nouvel arrivant bénéficie d’une place d’accueil et FEDASIL ne procède plus à de nouvelles non-désignations. Une tendance qui semble aujourd’hui de nouveau s’inverser…
Mais comment en est-on arrivé là? Pour comprendre les multiples raisons d’une crise qui était prévisible, il faut revenir plusieurs années en arrière. Certaines causes comme la hausse des demandes d’asile sont conjoncturelles. D’autres sont politiques comme les réformes législatives, le manque d’anticipation et l’absence de gouvernement. Enfin, certaines sont liées au système d’accueil lui-même. Toujours est-il que, fin 2010, c’est à une réelle crise de l’asile et plus uniquement de l’accueil à laquelle la Belgique doit faire face.
2007 | Des réformes aux conséquences prévisibles
Suite à la réforme de la procédure d’asile (2006) et à la suppression de la phase de recevabilité, la loi sur l’accueil des demandeurs d’asile et autres catégories d’étrangers voit le jour en janvier 2007. Contrairement au système précédent qui prévoyait une partie de l’accueil en aide financière, la nouvelle loi “Accueil” organise un accueil matériel pendant toute la durée de la procédure d’asile y compris les recours et les demandes de séjour. Avec pour conséquence un allongement de la durée de séjour en structure d’accueil. Dès lors, On fait face à un véritable jeu de ping-pong entre les deux administrations au détriment du demandeur d’asile qui se retrouve à la rue. Cette loi élargit également le public bénéficiaire de l’accueil aux familles en séjour irrégulier, aux mineurs étrangers non accompagnés et non demandeurs d’asile ainsi qu’aux étrangers déboutés de leur demande d’asile qui ont vu leur aide matérielle prolongée pour raisons médicales (les “9ter”). Le plan de répartition permettant à certains demandeurs d’asile d’être pris en charge par les CPAS est quant à lui supprimé.
À l’époque, le réseau d’accueil n’est occupé qu’à 90%. Mais le gouvernement n’anticipe pas le besoin de places supplémentaires structurelles nécessaires pour mettre en œuvre sa nouvelle politique. Or, dès l’été 2007 et comme on pouvait s’y attendre, le réseau d’accueil fait face à une croissance importante du nombre de personnes accueillies.
2008 | Hausse des demandes d’asile et critères de régularisation en attente
Il ne faut pas attendre très longtemps pour que les demandes d’asile repartent à la hausse avec une augmentation importante des demandes multiples. Celles-ci sont notamment dues au non-octroi de la protection subsidiaire aux demandeurs d’asile afghans et irakiens qui réintroduisent donc des demandes. Les délais de traitement des dossiers d’asile1 et de séjour (9ter) sont peu respectés par les instances (Commissariat général aux réfugiés et apatrides et Office des étrangers). L’arriéré des dossiers à traiter croît anormalement. Conséquence: en attendant l’examen de leur dossier, les personnes restent plus longtemps dans le réseau d’accueil…
À cela s’ajoute la question des critères de régularisation. Nos responsables politiques, en mettant autant de temps à s’accorder sur les critères de régularisation, ont amené plusieurs personnes, dans l’attente de ceux-ci, à “s’accrocher” à leur place d’accueil. D’autres, pensant qu’il fallait faire valoir un séjour légal pour pouvoir introduire une demande de régularisation, ont probablement introduit une (nouvelle) demande d’asile pour rentrer dans lesdites conditions.
Au mois de mai, un premier signal d’alarme est lancé par les associations: le taux d’occupation du réseau est supérieur à 94%, ce qui signifie qu’il est arrivé à saturation. FEDASIL ne peut déjà plus accueillir tous les bénéficiaires de l’accueil dans le réseau et met en place des actions urgentes (notamment avec le SAMU social) pour répondre aux besoins d’accueil.
2009 | Ping-pong FEDASIL-CPAS et premiers demandeurs d’asile à la rue
Tandis que les partenaires d’accueil redoublent d’efforts pour accroître le nombre de places d’accueil structurelles – 1.300 places sont créées entre 2008 et fin 2009 – le réseau se dote d’un accueil d’urgence pour prendre en charge tous les demandeurs d’asile via le Samu social, le Petit-Château et la Croix-Rouge. Malgré ces mesures, des demandeurs d’asile se voient notifier des non-désignations (= non-prise en charge par FEDASIL). Ces demandeurs d’asile sont alors renvoyés vers les CPAS qui, pour une grande partie d’entre eux, ne s’estiment pas compétents et considèrent que la responsabilité de l’accueil revient au fédéral. Les CPAS renvoient alors les demandeurs d’asile à FEDASIL qui n’est pas plus en mesure de les prendre en charge. Dès lors, on fait face à un véritable jeu de ping-pong entre les deux administrations au détriment du demandeur d’asile qui se retrouve à la rue. Les premières condamnations visant à forcer FEDASIL à héberger les demandeurs d’asile non accueillis sous peine d’astreintes tombent dès le mois de juin. Pour y faire face, l’accueil est organisé en hôtels. Initialement limité à 700, le nombre de personnes accueillies dans les hôtels s’élève rapidement à 1.200 personnes. Ce chiffre restera stable jusque fin 2010.
En même temps, FEDASIL prend différentes mesures et instructions qui visent à libérer des places dans les structures d’accueil et à restreindre les entrées: modification et suppression – sur base volontaire ou non – de l’aide matérielle pour permettre à 4.800 demandeurs d’asile de bénéficier de l’aide financière pour libérer des places dans le réseau, exclusion — sans base légale – de certaines catégories de bénéficiaires de la loi “Accueil” comme les familles en séjour irrégulier, les mineurs non accompagnés non demandeurs d’asile et les demandeurs d’asile européens.
Malgré toutes ces mesures et malgré la création de places d’accueil structurelles supplémentaires et de places d’urgence (notamment en hôtels) et les différents budgets dégagés par le Conseil des ministres, la crise de l’accueil perdure et devient structurelle. Fin 2009, plus de 1.400 personnes ne bénéficient pas de la place d’accueil à laquelle elles auraient pourtant droit conformément à la loi.
Le 30 décembre, cette même loi est révisée: des mesures légales sont prises pour soulager le réseau d’accueil. Outre les modifications portant sur l’accès (limitation de l’accueil à partir de la troisième demande d’asile) et la sortie du réseau d’accueil (personnes en demande de régularisation pour raisons médicales), les modifications portent essentiellement sur les prolongations et la fin de l’aide matérielle et les délais de prise en charge.
Mais, surtout, la possibilité de recourir à un nouveau plan de répartition après décision du Conseil des ministres est à nouveau inscrite dans la loi.
2010 | Crise humanitaire et crise de l’asile
Tout au long de l’année, ce sont encore 1.500 places d’accueil structurelles qui sont créées pour atteindre, fin 2010, un réseau d’accueil qui compte 21.500 places (accueil d’urgence et hôtels compris)2. Malgré cela, 6.284 personnes (23% du nombre total de bénéficiaires) voient leur droit à une place d’accueil bafoué en 2010. Parmi celles-ci, les plus chanceuses bénéficient d’une aide financière auprès d’un CPAS ou d’un accueil solidaire auprès de membres de la famille ou de leur communauté. Mais beaucoup d’entre elles occupent les places d’accueil dans les abris de nuit pour sans-abris ou se retrouvent à la rue, dans des campements de fortune et dans des squats.
Durant le deuxième semestre de 2010, la Belgique fait également face à une véritable crise de l’asile. Pour différents partis, la crise de l’accueil devient le prétexte pour réviser une série de lois dans le but de restreindre le droit à l’asile en en limitant l’accès.
Au mois d’octobre, le Conseil des ministres décide enfin de créer 2.500 places d’accueil d’urgence3, 2.000 places supplémentaires en Initiatives locales d’accueil-ILA (2e phase d’accueil) et de renforcer les instances d’asile afin que le traitement des dossiers soit plus rapide en vue de libérer des places d’accueil pour les nouveaux arrivants. Mais certains membres du gouvernement continuent à s’opposer farouchement à la mise en application du plan de répartition.
Dans la mesure de ses possibilités, FEDASIL essaie de réintégrer dans le réseau d’accueil les anciens non-désignés, au compte-goutte et sur base de critères de vulnérabilité. Des transferts sont organisés depuis les hôtels vers les places structurelles en espérant pouvoir les vider le plus rapidement possible.
Mais les places d’accueil d’urgence, devenues la première étape d’accueil obligée pour tous, sont bien vite occupées et le restent au-delà du délai maximal prévu de 10 semaines. Le taux de demandes d’asile reste élevé et les flux d’entrées dans le réseau (et notamment dans les structures d’accueil d’urgence) restent plus importants que les flux de sortie. L’équation n’est malheureusement pas bien compliquée…
Une crise prévisible dont on ne voit toujours pas la fin? Et qui n’aura pas de fin tant que le politique ne prendra pas conscience qu’ouvrir de nouvelles places n’est pas suffisant pour la résoudre.