En décembre 2012, Rachid Madrane était encore député fédéral1. C’est lui qui a dirigé les discussions pour le groupe PS. Nous avons voulu revenir avec lui sur la proposition de loi et les discussions qui ont abouti à la réforme du Code de la nationalité. Avec un message du côté du PS qui en rappelle un autre: “Sans nous, ça aurait été pire…”
La Belgique disposait-elle d’un Code de nationalité trop libéral?
Avec les modifications apportées par la loi de 2000, on a effectivement facilité et assoupli les conditions d’accès à la nationalité. Mais je ne trouve pas qu’on ait été trop généreux. Si l’on tient compte de l’ensemble des procédures de la politique migratoire, il n’est pas juste de dire que la Belgique était plus laxiste que d’autres États européens. Il faut ouvrir les yeux: s’il y a eu autant de demandes de nationalité, c’est aussi parce que toutes les autres portes migratoires ont été cadenassées. En ce qui concerne les réformes de 2012, je n’étais pas contre l’idée de rationaliser parce qu’il y avait plus d’une douzaine de façons d’obtenir la nationalité. Ce point figurait d’ailleurs noir sur blanc dans l’accord de gouvernement.
Pouvait-on parler d’un nouveau canal migratoire comme on a pu le lire à l’époque?
Je ne pense pas que c’était devenu une nouvelle filière. Bien sûr, il y a eu des abus, je ne vais pas le nier. Mais plus sur les moyens qui donnent accès à la nationalité, comme les mariages blancs par exemple. À l’époque, on a un peu mélangé toutes les procédures. Ceci dit, un des éléments pour lequel je peux entendre la critique, intellectuellement, c’était la possibilité ouverte par la loi à un moment donné de devenir belge sans avoir jamais résidé sur le territoire. On a essayé d’influencer les discussions. Si vous aviez vu ce texte au départ, c’était pour nous le catalogue des horreurs.
À côté des abus, certains ont aussi pointé l’absence d’intégration des personnes qui demandaient la nationalité belge…
Moi j’ai toujours entendu dire que la nationalité favorisait l’intégration. Mais il y avait vraiment deux visions idéologiques de l’intégration qui s’opposaient dans les débats: une vision progressiste de gauche – que je partage – qui dit qu’acquérir la nationalité permet de mieux s’intégrer parce que c’est le début de quelque chose et une vision conservatrice, disons de la droite, et qui était aussi la thèse du côté néerlandophone selon laquelle l’acquisition de la nationalité constitue le terme du processus d’intégration. Aujourd’hui, dans la société belge, l’acquisition de la nationalité semble être davantage voulue comme l’aboutissement de quelque chose et non plus comme le début d’un processus. Pour nous, la diversité est une richesse: plus il y a de gens différents qui embrassent la nationalité, mieux c’est. D’autres manifestement vivent ça comme un problème.
Le fait que la N-VA était très en pointe sur ces questions a-t-il joué un rôle?
Sans doute qu’en Flandre, cela a influencé les discussions. Mais, en réalité, l’approche des partis flamands sur les questions migratoires est la même. C’est une question transversale. Il y avait une sorte de consensus, un diagnostic partagé en Flandre qui m’a impressionné. Tous les partis du nord du pays voulaient modifier ce texte, aidés en cela par un certain parti francophone2 qui estimait manifestement que c’était l’occasion ou jamais pour lui de faire passer ses idées. Le PS était isolé sur cette thématique. Avec une Flandre majoritaire numériquement, parlant d’une même voix sur cette thématique, cette proposition de loi serait passée de toute façon. Alors on a essayé d’influencer les discussions. Si vous aviez vu ce texte au départ, c’était pour nous le catalogue des horreurs.
Pourtant, le groupe PS à la Chambre a quand même voté ce texte…
Le groupe PS à la Chambre a voté ce texte mais, à titre personnel, je me suis abstenu. C’était une façon de montrer que nous n’étions pas d’accord avec l’ensemble du texte. Je le répète, nous n’étions pas demandeurs mais avec le contexte de crise que nous connaissons actuellement, la responsabilité d’un homme politique impose aussi d’entendre le malaise qui existe sur ces questions.
Et pour vous, il ne s’agissait pas de ménager un certain électorat d’origine étrangère?
Vous savez, l’électorat dont vous parlez, il est multiple. C’est comme quand on parle de “la” communauté, pour moi ça ne veut rien dire ! Parmi les Belges d’origine étrangère, il y a des personnes qui vivent, ressentent et pensent les choses de manière très différente.
Cette proposition de loi n’était-elle pas la réponse du berger à la bergère des libéraux flamands qui n’ont toujours pas avalé le droit de vote des étrangers?
C’est exactement mon sentiment.
Propos recueillis par François Corbiau