Entre deux cours de français, Safwan travaille dans une maison médicale située à Laeken. Il y a peu de temps encore, c’est sur la ligne de front en Syrie qu’il exerçait la médecine. Déjà proche des réfugiés là-bas, Safwan poursuit son engagement ici, notamment au Parc Maximilien devant l’Office des étrangers.
Avec son index, il fait défiler les photos sur sa tablette. Rapidement. Sous nos yeux, des images d’enfants victimes des bombardements en Syrie. Des corps brûlés, calcinés, parfois de très petite taille. Mais face à l’horreur, Safwan reste impassible. L’homme est marqué. Il a côtoyé l’horreur de près. À moins que ce soit devenu une déformation professionnelle chez ce gastro-entérologue qui pratique la médecine de guerre depuis 2011.
“Quand la guerre a éclaté, j’étais en première ligne. Du côté de l’armée syrienne libre!“, précise-t-il. “Je soignais clandestinement les blessés chez moi à Raqqa.” Cette ville située sur le front est aujourd’hui devenue un des fiefs les plus importants de l’État islamique. Elle a été le théâtre de multiples exactions. D’abord celles commises par le régime de Bachar El-Assad. Ensuite celles de l’État islamique. “Cela me rend malade de savoir que les hommes de l’État islamique occupent aujourd’hui mon cabinet médical.“
Diplôme européen
En 2014, ce gastro-entérologue décide de fuir son pays avec sa femme et ses 3 enfants. Il se réfugie provisoirement en Turquie. C’est un ami syrien exilé en Arabie Saoudite qui lui parle en premier de la Belgique et un médecin syrien qui vit là-bas. “L’accueil des Syriens y est bon”, paraît-il. Direction Bruxelles donc, avec toute sa famille. À son arrivée, il est pris en charge par des Syriens exilés en Belgique qui l’aident dans ses multiples démarches. Dans son malheur, Safwan a un peu plus de chance que les autres. Son cas est pour le moins atypique puisque ce médecin qui a exercé la plus grande partie de sa carrière en Syrie a fait ses études de médecine en Roumanie au début des années 1980. Par la suite, il a travaillé pendant 6 ans dans un hôpital de Timisoara, avant de poursuivre sa carrière en Syrie.
Dans son malheur, Safwan a un peu plus de chance que les autres puisqu’ il a fait ses études de médecine en Roumanie au début des années 1980. Avec un diplôme européen en poche, les choses sont plus simples ici.
Avec un diplôme européen en poche, les choses sont plus simples ici. Après 9 mois, il reçoit son numéro Inami et l’autorisation d’exercer en tant que généraliste en Belgique. Safwan prend son cachet de médecin et l’imprime sur une feuille comme pour prouver que ce qu’il raconte est vrai. Il y a tout: son nom, son titre, l’adresse de son cabinet et les 11 chiffres caractéristiques d’un numéro Inami. “J’ai commencé à travailler il y a 2 mois dans une maison médicale à Laeken. Tous les après-midi, je fais des consultations, des prises de sang et de temps en temps des gardes.“ Les journées sont longues: cours de français le matin et consultations l’après-midi jusqu’à 20h au minimum. “La plupart des patients parlent arabe. Pour le moment, ce n’est pas un problème si je ne parle pas bien français“.
Donner de son temps
Safwan se sent concerné par le sort des réfugiés qui frappent aujourd’hui à la porte de l’Europe et de la Belgique. Il a proposé ses services à Médecins du Monde qui l’emploie bénévolement plusieurs fois par semaine comme traducteur et assistant médical. “C’était important pour moi de le faire. Je connais la langue, la médecine. Je me suis moi aussi retrouvé sur la route de l’exil il y a quelques mois”. Au parc Maximilien devant l’Office des étrangers à Bruxelles, certes, ce n’est pas de la médecine de guerre. Mais quand il faut faire face à l’urgence et la détresse des nombreux réfugiés qui ne sont pas accueillis, des fois, ça y ressemble.