Syrie: la Belgique doit joindre le geste à la parole

Découvrez la carte blanche sur la Syrie, signée par le CNCD, le CIRÉ, le MOC, Amnesty international, Oxfam-Solidarité et Pax Christi, dont une version synthétique est parue dans le journal Le Soir de ce jeudi 23 janvier.

Genève 2, la conférence pour la paix en Syrie, s’est ouverte hier. La Belgique ne prend pas part aux négociations. Seules les grandes puissances du Conseil de sécurité et de la région sont présentes et en mesure de peser sur les deux camps impliqués. Un cessez-le-feu et de réels changements sur le terrain ne sont envisageables que si les parties prenantes à la Conférence s’engagent résolument pour une solution politique. Pour notre part, nous considérons que la Belgique devrait être davantage impliquée à trois égards: sur le plan de l’acheminement de l’aide humanitaire, le soutien aux militants syriens des droits de l’homme et l’accueil des réfugiés.

Le ministre Didier Reynders souligne qu’aujourd’hui l’attention doit être tournée vers la diplomatie. Presque trois ans après le début des protestations contre le régime de Bachar al-Assad, la révolution s’enlise dans la guerre civile. Le régime est toujours bien en place et les citoyens continuent à être les principales cibles des attaques, comme le montrent les récents bombardements sur Alep ou encore la famine imposée aux habitants de Muadamyiah et au camp de réfugiés palestiniens de Yarmouk. Dans le même temps, l’influence et la violence de groupes djihadistes dans le nord du pays ne cessent de s’intensifier. La terreur parmi la population augmente, l’aide humanitaire est souvent bloquée et les exécutions arbitraires sont de plus en plus fréquentes.

La prudence reste de mise en ce qui concerne la conférence de Genève 2, même s’il n’y a pas d’alternative à une solution politique. Une partie de l’opposition refuse de retourner à la table des négociations tant que le régime ne s’engage pas à libérer les femmes, les enfants et les blessés emprisonnés et à cesser les bombardements et le siège des localités considérées comme hostiles. Quoiqu’il en soit, si une solution politique venait à être trouvée, il faut s’assurer qu’elle soit juste et qu’elle ne bafoue en aucune manière les droits fondamentaux. Les droits de l’homme doivent être au cœur de toute solution au conflit. Sur ces aspects, la Belgique peut contribuer à revigorer la position de l’Union européenne. Celle-ci doit également appeler à un cessez-le-feu et s’assurer que les voix de la société civile et des femmes syriennes soient prises en compte.

Jusqu’à présent, notre pays s’est concentré sur l’aide aux populations. Cette action doit s’accompagner du souci du respect du droit international humanitaire. Il faut notamment s’assurer que les différentes parties au conflit permettent un accès sans entrave à l’aide humanitaire et aux soins médicaux destinés aux citoyens syriens sans aucune discrimination. Tout déplacement de populations par la force doit être proscrit. Il est essentiel que la communauté internationale fasse tout ce qui est en son pouvoir pour faire pression sur les différentes parties pour s’assurer du respect des règles humanitaires fondamentales. À cet égard, la Belgique doit plaider pour que des poursuites judiciaires contre les responsables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité soient entreprises et ne laissent libre cours à l’impunité.

Une contribution belge trop modeste

La Belgique a contribué à hauteur de 9 millions d’euros à l’aide humanitaire dédiée à la Syrie. Il s’agit d’une contribution modeste si on la compare à celle de pays comme les Pays-Bas (74 millions d’euros), l’Allemagne (320 millions d’euros) ou encore la Suède (60 millions d’euros). Mais les Syriens ont besoin de bien davantage que de l’argent. L’accès très limité des acteurs humanitaires au terrain constitue l’une des causes principales du désastre qui est en train de se dérouler. Le Comité international de la Croix-Rouge a dénoncé, à ce sujet, le fait que les inspecteurs ont un accès bien plus aisé et sécurisé aux sites de stockage d’armements chimiques que les organisations humanitaires aux zones qui sont le théâtre de situations d’extrême urgence. En octobre 2013, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté une déclaration, sans caractère contraignant, qui demandait aux parties de lever les obstacles qui entravent la fourniture de l’aide humanitaire. Elle proposait notamment que le gouvernement en place permette que l’aide soit acheminée à partir des pays limitrophes. Cependant, seules des mesures minimales ont été appliquées en ce sens. Les bailleurs de fonds tels que la Belgique devraient augmenter la pression et insister pour qu’une résolution obligatoire soit adoptée par le Conseil de sécurité des Nations Unies.

La Belgique peut également faire davantage pour soutenir le mouvement démocratique syrien et les réseaux de citoyens qui se sont mis en place, de façon spontanée, afin de fournir aux populations aides alimentaires, soins médicaux et éducation. Des organisations de femmes et de journalistes ont également vu le jour afin d’agir concrètement pour la démocratisation. Ces acteurs de la société civile condamnent tout à la fois la violence du régime et celle de certains groupes de l’opposition. Ils répertorient les violations qui sont commises et facilitent l’information les concernant. Or, pour le moment, ils sont laissés pour compte. Ils constituent la cible privilégiée des groupes armés des deux camps et ne bénéficient de pratiquement aucun soutien extérieur. Si le ministre Didier Reynders souhaite fournir un réel soutien à la société civile syrienne, il est primordial que des contacts soient pris avec ce type d’organisations. Il devrait également faire pression auprès de l’UE pour qu’elle mette en œuvre des mécanismes de protection des défenseurs des droits de l’homme en Syrie.

La Belgique et l’UE devraient aussi redoubler d’efforts pour protéger et aider les réfugiés à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières syriennes. Si les images terribles de Lampedusa ont suscité une grande émotion, le drame qui touche les réfugiés syriens reste lui largement dans l’ombre. Ces derniers ne disposent d’aucun moyen juridique pour se rendre en Europe afin d’y trouver refuge. Il est absolument nécessaire que les États de l’UE collaborent afin d’instruire une approche coordonnée qui permette aux réfugiés d’obtenir un accès prioritaire au sol européen. Pour y arriver, des procédures visant à faciliter l’obtention de visas et le regroupement familial doivent être mises en œuvre. La Belgique devrait plaider auprès des institutions européennes pour que ce type de mesures soient prises au plus vite. Sans attendre, les États européens devraient, à l’instar de la Suisse, inviter sur leur sol les réfugiés bloqués dans les pays voisins, comme le permet la législation européenne. Ce type de procédure peut être mené via un programme de réinstallation. En ce sens, la Belgique a annoncé que 75 Syriens pourraient venir s’installer en 2014. Une goutte dans l’océan par rapport au nombre de Syriens déplacés dans les pays voisins ! Si notre pays veut être fidèle à sa réputation de terre d’accueil des personnes persécutées, il doit agir dès maintenant pour défendre les réfugiés syriens et les forces démocratiques.

  • Arnaud Zacharie, secrétaire général du CNCD-11.11.11
  • Frédérique Mawet, directrice du CIRÉ
  • Christian Kunsh, président du MOC
  • Philippe Hensmans, directeur d’Amnesty International
  • Stefaan Declercq, secréataire général d’Oxfam-Solidarité
  • Nicolas Bossut, secrétaire général de Pax Christi Wallonie-Bruxelles

 

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