Ces jeudi et vendredi, les États membres de l’Union européenne ont l’intention de conclure un accord avec la Turquie sur la question des réfugiés. Pour le CIRÉ, cet accord est un marchandage illégal, irresponsable et indigne des valeurs européennes. Le Belgique doit impérativement marquer son opposition à l’adoption de cet accord.
L’Union européenne s’apprête à conclure un accord avec la Turquie sur la question des réfugiés. Cet accord est en réalité un véritable marchandage: en échange de milliards d’euros, la Turquie devrait reprendre sur son territoire non seulement les personnes en situation irrégulière qui auraient transité par la Turquie, mais aussi les demandeurs d’asile syriens arrivés sur les îles grecques en passant par la Turquie. Et pour chaque Syrien renvoyé en Turquie, un autre Syrien sera réinstallé en Europe.
Ce qui est sur la table des négociations est tout simplement illégal. Pourquoi ?
Tout d’abord, parce que renvoyer les demandeurs d’asile vers la Turquie suppose de recourir à la notion de “pays tiers sûr”. Une notion qui ne peut être appliquée par les États européens que si certaines conditions essentielles (non-recours à la persécution et aux mauvais traitements, respect du principe de non-refoulement, examens des demandes d’asile conformément à la Convention de Genève) sont remplies. La Turquie, outre ses agissements envers ses propres ressortissants kurdes et son triste bilan en matière de respect des droits humains, n’offre qu’un statut de “réfugié conditionné” pour les non-européens, pratique le refoulement envers les Syriens bloqués à la frontière et ne respecte pas les droits fondamentaux des réfugiés sur son sol. La Turquie ne peut clairement pas être considérée comme un « pays tiers sûr » au sens même du droit européen.
Ensuite parce que renvoyer les migrants sans enregistrer et examiner leur demande de protection sur le sol européen va à l’encontre du droit d’asile prévu par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et du principe de non-refoulement contenu dans la Convention de Genève. Ces retours et ces réadmissions vers la Turquie s’apparentent également à des expulsions collectives, qui, au regard de la Convention européenne des droits de l’Homme, sont interdites.
Les termes de cet accord sont également irresponsables. Pourquoi ?
Parce qu’en demandant à la Turquie de contenir loin des frontières européennes les 3 millions de réfugiés déjà présents sur son territoire et y en renvoyant les demandeurs d’asile, l’Union européenne se soustrait tout simplement à ses responsabilités légales et à son devoir d’humanité. Elle “délocalise” et sous-traite les contrôles, l’accueil et le traitement des demandes d’asile en Turquie. Elle externalise purement et simplement sa politique d’asile.
Par ailleurs, les États membres n’ont pas accepté de réinstaller davantage de réfugiés ou d’admettre sur base humanitaire des Syriens de Turquie. Ils s’étaient déjà difficilement accordés à réinstaller 22.000 réfugiés en deux ans, sur base volontaire. Ce qui était déjà largement insuffisant. Le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés estime qu’il faudrait d’urgence réinstaller 480.000 Syriens en Europe. Et ce chiffre ne représente que 10% des réfugiés qui se trouvent dans les pays voisins de la Syrie.
Soyons clairs : cet arrangement n’empêchera pas les gens d’arriver s’ils ont obligés de fuir la guerre et les violences. Cela ne fera que déplacer les routes migratoires et renforcer leur dangerosité. Sans une politique de réinstallation massive (et non conditionnée) depuis la Turquie et d’autres régions et surtout à défaut de véritables voies d’accès légales, ces mesures ne permettront pas d’éviter les morts en mer et le recours aux passeurs pour arriver en Europe.
Ce marchandage cynique avec la Turquie et ces murs érigés pour empêcher les réfugiés de passer sont inacceptables. En faisant cela, l’Union européenne tourne le dos aux hommes, femmes et enfants qui fuient la guerre et les violences. Et elle viole ses obligations légales et morales en matière de protection des réfugiés. Elle est tout simplement en train de perdre son âme et de piétiner ses valeurs.
Le tournant actuel que représente cet accord réclame des positions fortes et un courage politique sans précédent. La Belgique doit impérativement s’opposer à cet accord, quelle que soit la position des autres États membres, si elle veut rester un pays fidèle à ses valeurs démocratiques.