Pour une politique d’accueil des primo-arrivants et d’accompagnement digne de ce nom- Carte blanche parue sur le Soir.be

L’intégration dans une société d’accueil est un long processus qui dépend de nombreux facteurs. Les primo arrivants ne deviendront pas citoyens en ingérant des contenus et des valeurs, comme s’ils étaient des coquilles vides qu’il s’agirait de remplir en un minimum de temps. Or, en ces temps de restriction financière, notre crainte est que cette dimension absolument essentielle pour l’avenir ne soit sacrifiée sur l’autel de l’austérité budgétaire.

Il aura fallu que, dans une commune populaire de notre capitale, le contrôle d’identité d’une femme vêtue d’un voile intégral tourne mal pour que des questions de société, de nature pourtant différente, se retrouvent enchevêtrées au devant de la scène médiatique, dans un amas confus de discours qui se veulent plus fermes les uns que les autres. Ainsi, sous couvert d’un débat portant sur l’intégration, des phénomènes sociaux distincts – qu’il s’agisse du fanatisme religieux, des pratiques de discrimination, de l’accueil et l’accompagnement des nouveaux arrivants, de la réforme de l’accès à la nationalité – se voient mélangés pour former un tout problématique auquel les pouvoirs publics se sentent tenus de faire face, comme si derrière l’apparente diversité de ces faits de société se tenait une seule et même cause : l’immigration.

Sortir de la confusion

Il nous semble absolument nécessaire de distinguer ces problèmes de société, lesquels appellent des réponses politiques adaptées.

Une chose est d’accueillir et d’accompagner les primo arrivants par le biais d’un dispositif dédié à cet effet, une autre de réformer, s’il y a lieu, l’accès à la nationalité. Il en va de même avec la réalité multiforme du fait discriminatoire, laquelle n’a rien à voir, dans l’attention qu’elle mérite, avec les velléités fondamentalistes de quelques-uns. À mélanger ces préoccupations comme si elles découlaient d’un même objet, on court le risque de produire des effets contre productifs.

La notion d’intégration entretient régulièrement ces confusions et celles-ci sont dommageables en raison notamment du fait qu’elles mettent sur un même pied celles et ceux qui sont arrivés, et qui continuent à arriver sur notre territoire, et des citoyens nés sous la bannière de la nationalité belge et dont les caractères visibles de l’origine amoindrissent leurs chances de construire une vie de paix et de dignité. Ce faisant, cette confusion envoie à ces derniers un message paradoxal du type ” vous êtes d’ici (vous disposez de la nationalité) mais vous n’êtes pas d’ici (nous persistons à vous considérer comme des étrangers) “. C’est pourquoi, s’agissant des descendants de familles immigrées, nous insistons pour ne plus situer les enjeux de société en termes d’intégration mais bien de lutte contre les discriminations lesquelles constituent autant d’entraves à l’avènement d’une société attachée à la promotion d’une juste égalité des chances.

Concernant les immigrants, la stratégie dominante en matière d’intégration qui, en termes de politiques publiques, a longtemps prévalu du côté francophone, est celle de l’approche dite indifférenciée par laquelle les pouvoirs publics ont considéré que l’intégration des étrangers devait s’appuyer sur des dispositifs sectoriels généralistes (enseignement, santé, formation professionnelle, aide sociale). Selon cette perspective, il s’agit d’œuvrer de façon à ce que les immigrés puissent accéder, selon une logique de droit commun, à l’universalité des services publics, destinés à tous les publics sans distinction. C’est ainsi que les attentes d’intégration ont pu nourrir, dans certaines visions politiques, un imaginaire de la disparition, celui d’une dissolution des immigrés et de leurs spécificités culturelles dans les masses laborieuses d’une société qui intégrait par le travail. Or, et c’est une banalité que de le rappeler, force est de constater que notre société n’est plus en mesure d’intégrer par l’emploi les flux migratoires dont la région bruxelloise, malgré sa taille, absorbe une large partie.

Ce fait exige à tout le moins l’abandon de ces principes généralistes ou indifférenciés des politiques d’intégration au profit de la mise sur pied d’un dispositif spécifique consacré à l’accueil et à l’accompagnement des primo arrivants auxquels il serait proposé sur la base d’une séance d’information obligatoire de suivre un parcours structuré dont les étapes essentielles ont été identifiées par des acteurs spécialisés en la matière. (Recevoir les primo arrivants dans un bureau d’accueil ; si nécessaire, les diriger vers des cours de langues ; les inviter à participer à des ateliers d’initiation citoyenne, et amorcer avec eux un processus d’insertion socio professionnelle).

Aussi, à l’heure où se prépare l’institution par la Cocof d’un décret sensé organiser l’offre sociale destinée aux migrants récemment arrivés – même s’il eut été souhaitable que cette politique soit menée à l’échelle de la région bruxelloise – nous formulons la crainte que les composantes de ce dispositif consacré à l’initiation citoyenne ne soient perverties par d’autres questions politiques liées au durcissement de l’accès à la nationalité. Ainsi, il est de plus en plus question d’instaurer, pour les candidats à la naturalisation, le passage d’un test qui attesterait de leur volonté d’intégration. Outre le fait que ces pratiques font écho à une époque où l’on jugeait utile de demander ce que mangeaient les candidats à la nationalité pour déterminer si ces derniers étaient habités par une intention aussi pure que désintéressée – en un mot, authentique – Cette articulation entre deux enjeux de société différents participe d’un amalgame qui englobe artificiellement des personnes aux prises avec des réalités différentes.

Notre position

Le CBAI et le CIRÉ considèrent qu’il faut tout d’abord donner aux primo arrivants des informations de première nécessité relatives à leur établissement sur notre territoire ainsi que des informations concernant des lieux de référence, inscrits dans le réseau institutionnel et associatif bruxellois. Il est en outre indispensable de transmettre les clés de compréhension de la société belge, du point de vue historique, institutionnel, géographique, social et culturel. A cet égard, il nous semble que le dispositif Inburgering qui y consacre 80 h constitue une référence pertinente.

L’intégration dans une société d’accueil est un long processus qui dépend de nombreux facteurs. Les primo arrivants ne deviendront pas citoyens en ingérant des contenus et des valeurs, comme s’ils étaient des coquilles vides qu’il s’agirait de remplir en un minimum de temps. Il faut en finir avec cette conception fastfood et digestive de la citoyenneté laquelle se fortifie au fil du temps de l’insertion sociale et/ou professionnelle du migrant.

C’est pourquoi, nous craignons qu’en ces temps de restriction financière, cette dimension absolument essentielle pour l’avenir, car elle engage des hommes et des femmes dont les enfants sont et seront les garants de nos institutions démocratiques, ne soit sacrifiée sur l’autel de l’austérité budgétaire.

Fred Mawet, Directrice du CIRÉ
Christine Kulakowski, Directrice du CBAI

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