Ce 27 octobre, la Cour européenne des droits de l’Homme a condamné à l’unanimité l’État belge pour le renvoi au Soudan de M.A., au risque qu’il y subisse des traitements inhumains et dégradants et en violation du droit à un recours effectif contre la décision d’expulsion qui le frappait. La CEDH confirme par là ce que nous dénonçons depuis longtemps: la politique du retour “à tout prix” menée jusqu’à présent par la Belgique est contraire aux droits fondamentaux.
M.A. est l’une des victimes de “l’affaire des Soudanais”. En septembre 2017, dix migrants soudanais avaient été expulsés après avoir été identifiés en centres fermés par des agents de l’État soudanais et de son ambassade à Bruxelles, à la demande du secrétaire d’État à l’Asile et la Migration de l’époque. Cette mission d’identification avait soulevé de fortes réactions de la société civileet conduit à une enquête du CGRA et à la mise en place de la “Commission Bossuyt”, en vue d’évaluer la politique de retour menée par la Belgique.
Le cas de M.A. est emblématique du non-respect des droits fondamentaux et des lacunes procédurales de cette politique. En voici les détails.
M.A, jeune homme de 25 ans arrivé en Europe par l’Italie, a été détenu au centre fermé 127bis le 18 août 2017. Sans avoir pu rencontrer d’avocat, M.A. fait part des raisons pour lesquelles il craint pour sa sécurité au Soudan, où il est recherché, et introduit une demande d’asile. La “mission d’identification” se met en place et cette collaboration de l’État belge avec le régime soudanais est médiatisée, y compris dans la presse soudanaise. Dans ce contexte de méfiance à l’égard des autorités belges et des instances d’asile, sans avocat ni interprète officiel, M.A. signe un formulaire pré-imprimé en néerlandais dans lequel il déclare se désister de sa demande de protection internationale. Il est alors identifié par la délégation soudanaise et un laissez-passer est délivré.
M.A., ayant enfin accès à un avocat, saisit le tribunal de première instance d’une requête de mise en liberté. Avant qu’il ne soit statué sur l’affaire, M.A. est averti qu’il doit embarquer pour un vol vers le Soudan. Une deuxième instance est alors saisie par M.A., qui interdit le rapatriement avant que les juridictions se soient prononcées sur la mesure de privation de liberté. L’Office des Étrangers annule l’expulsion, mais M.A. est quand même transféré à l’aéroport. Il y est accueilli par un homme en uniforme qui lui explique en arabe que s’il refuse de monter dans l’avion, d’autres tentatives d’éloignement seront organisées et que des sédatifs pourraient lui être administrés. Un document en anglais sans entête lui est présenté pour signature : une déclaration de “retour volontaire”. M.A. le signe et est embarqué vers Khartoum.
Dans son arrêt, la CEDH reconnait que “le requérant ne saurait être considéré avoir volontairement quitté la Belgique” et que “les autorités belges ont délibérément agi en dépit de l’interdiction, pourtant exécutoire, et ont montré leur détermination à l’éloigner avant qu’une décision soit prise sur sa détention“. La Cour indique également que le fait que M.A. ne disposait pas d’avocat pendant les premières semaines de sa détention et qu’il n’y avait pas d’interprète pendant son premier entretien en détention a pu constituer un obstacle au bon déroulement de la procédure. Tout au long de sa détention, M.A. a reçu des documents dans des langues qu’il ne comprenait pas. Son seul interprète était un codétenu qui traduisait parfois ses déclarations vers l’anglais à l’assistant social du centre fermé… De là, “la Cour juge en particulier que les lacunes procédurales dont se sont rendues responsables les autorités belges préalablement à l’éloignement du requérant vers le Soudan (…) ont conduit les autorités belges à ne pas suffisamment évaluer les risques réellement encourus par le requérant au Soudan. D’autre part, en éloignant le requérant vers le Soudan en dépit de l’interdiction qui leur en était faite, les autorités ont rendus ineffectifs les recours que le requérant avait initiés avec succès“.
À aucun moment de la procédure, les autorités belges n’ont réellement examiné le risque personnel que M.A encourait en cas de retour au Soudan, alors qu’il avait déclaré y être recherché et qu’en outre, la situation générale de non-respect des droits humains dans ce pays était bien connue.
Le principe de non-refoulement impose pourtant aux États de ne renvoyer aucune personne lorsqu’il existe un risque réel de violations graves des droits humains et de procéder à une analyse de risque appropriée pour chaque cas individuel. Par ailleurs, l’analyse de l’article 3 de la CEDH (interdiction absolue de la torture et des traitements inhumains et dégradants) s’applique également aux personnes qui ne demandent pas l’asile. Le fait de ne pas introduire de demande d’asile ne dédouane en rien l’État belge de ses obligations de respect des droits fondamentaux des personnes qu’il envisage d’expulser.
Il est urgent que la Belgique mène une politique migratoire réellement respectueuse des droits humains et des obligations internationales. Il est urgent qu’elle mette en place des garanties et procédures spécifiques pour assurer le respect effectif de l’article 3 de la CEDH avant d’envisager un éloignement. Il est urgent que le nouveau secrétaire d’État à l’Asile et la Migration agisse en ce sens.
Signataires
- CIRÉ
- CNCD-11.11.11
- Jesuit Refugee Service Belgium
- Ligue des droits humains
- Point d’Appui asbl