La Belgique impuissante à protéger des Syriens d'Alep?

Depuis plusieurs semaines, les projecteurs sont tournés sur l’affaire des visas humanitaires. Les débats de ces derniers jours ont démontré, s’il le fallait encore, que les positions des uns et des autres sur le sujet sont assez tranchées voire inconciliables. Au-delà des polémiques, il est essentiel de revenir au fondement de l’affaire. Une opinion parue le 18 décembre sur le site de la RTBF.

De qui parle-t-on? D’une famille syrienne avec deux enfants, tentant de survivre à Alep dans des conditions inhumaines et insupportables et qui vit dans la crainte permanente de mourir. La situation en Syrie et particulièrement à Alep est d’une gravité extrême. Des bombardements massifs ont frappé intensément la ville et les derniers événements en cours font état de massacres à l’encontre de civils.

Pourquoi un visa? Pour échapper à cette violence, le père s’est rendu au Liban afin de demander un visa humanitaire à l’ambassade de Belgique. Ici, une famille namuroise est prête à les accueillir et à les prendre en charge. Solliciter ce visa est le seul moyen pour eux de fuir sans devoir risquer leur vie en s’en remettant à des passeurs et en tentant la périlleuse traversée de la Méditerranée. Une mer qui a déjà vu mourir plus de 4.700 migrants cette année. Un record absolu.

Ce visa, refusé par trois fois par l’Office des étrangers, doit pourtant leur être délivré en vertu d’une décision du Conseil du contentieux des étrangers (CCE) saisi en appel. Plusieurs jugements ultérieurs viennent confirmer que ces visas doivent leur être délivrés. Rien n’y fait. L’État belge ne souhaite pas leur donner ce ticket de sortie, cette chance de survie. Pire, le Gouvernement leur propose comme solution d’aller s’installer au Liban voisin. Ce pays de quelque 4 millions d’habitants qui accueille déjà plus d’un million de réfugiés syriens sur son sol. Ils y vivent, pour la plupart, dans des conditions indignes: discriminations, grandes difficultés pour se nourrir, se loger et obtenir un travail, exploitation sexuelle. Dans ces conditions, on voit mal comment les réfugiés pourraient obtenir une protection effective au Liban. D’ailleurs, ce pays n’a pas ratifié la Convention de Genève relative au statut des réfugiés. Pas tout à fait comparable donc avec les standards de protection que notre pays pourrait leur offrir.

Car oui, la Belgique, tout comme les autres pays de l’Union européenne, s’est engagée, en vertu de cette Convention, à protéger toute personne fuyant les persécutions et qui ne peut bénéficier d’une protection dans son pays. Avec cet instrument et la Convention européenne des droits de l’Homme, ce sont nos valeurs de paix, de solidarité et de protection des droits humains que nous consacrons. Le problème est que pour pouvoir solliciter une protection dans un autre pays, il faut s’y trouver. Seules les personnes présentes sur le territoire belge ou à la frontière ont accès à une procédure d’asile et peuvent, le cas échéant, être reconnues réfugiées. La mise en œuvre de ce droit fondamental n’est pas possible dans le cas du non accès au territoire. Et l’ambiguïté est qu’il n’existe pas de droit de pouvoir entrer dans un autre pays. Les États demeurent souverains quant au contrôle de leurs frontières. À défaut d’y être autorisés, la toute grande majorité des demandeurs d’asile qui arrivent ne franchissent pas la frontière régulièrement et le font au péril de leur vie. Une des seules possibilités d’avoir accès légalement et de manière sûre au territoire est d’obtenir ce fameux visa humanitaire.

La meilleure manière de lutter contre les passeurs et de stopper les morts en mer, c’est donc bien d’octroyer davantage de ces visas. La Belgique peut, à titre de faveur, octroyer des visas humanitaires notamment pour des personnes en danger dans leur pays. Et la Belgique le fait sur base du pouvoir discrétionnaire du Secrétaire d’État à l’asile et à la migration. Or, comme l’a pointé le CCE, ce pouvoir n’est pas totalement discrétionnaire car il doit se conformer aux obligations internationales en matière de droits fondamentaux et notamment à l’obligation de ne soumettre aucun individu à la torture et aux traitements inhumains et dégradants, même indirectement. Actuellement, les visas sont accordés de manière arbitraire. En 2015, 282 Syriens d’Alep ont reçu un visa humanitaire pour rejoindre légalement notre pays et y demander l’asile. Pourquoi cette famille d’Alep qui demande la même chose et qui a des attaches en Belgique ne peut pas en bénéficier aujourd’hui? Par peur de créer un précédent? Alors qu’en 2015 l’administration avait déjà délivré 573 visas humanitaires (toutes nationalités confondues) à des personnes qui ont ensuite pu demander l’asile en Belgique, force est de constater que l’administration n’a pas été confrontée à une déferlante de demandes de visas humanitaires. Le mythe de l’appel d’air ne résiste pas à l’examen. Chaque situation doit être examinée individuellement, au cas par cas, et des critères de base pourraient être définis si le Gouvernement le souhaitait réellement. Le seul précédent dont il est question ici est que le Gouvernement décide et assume de ne pas respecter une décision de justice pourtant exécutoire.

En réalité, nous sommes face à une volonté belge et européenne de se décharger de ses responsabilités d’accueil et de protection des réfugiés sur d’autres pays plus instables, plus pauvres, moins respectueux des droits humains. Au plus loin des frontières, au mieux! Alors que la quasi-totalité des réfugiés dans le monde sont accueillis dans les pays en développement et que la majorité des 5 millions de Syriens qui ont fui la guerre sont aujourd’hui en Turquie, au Liban, en Jordanie, en Irak, en Égypte…

Sommes-nous donc prêts à nous enfoncer dans ce basculement: sacrifier les droits humains, le droit d’asile et nos valeurs sur l’autel de craintes infondées qui surfent dangereusement sur le populisme et le repli sur soi? Telle est vraiment la question essentielle à se poser dans cette affaire. Si nous ne sommes pas capables de voir aujourd’hui les conséquences des politiques menées par nos dirigeants, c’est notre responsabilité à toutes et tous qui sera engagée.

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