Les mots peuvent blesser. Ils peuvent aussi soigner. Après avoir subi une agression verbale, la Liégeoise Lisette Lombé a décidé de les faire claquer. Mi-rap, mi-poésie, le slam est son exutoire.
“Sale négresse! Tu devrais apprendre à écrire.” On a beau savoir que le racisme se banalise, l’injure fait mal. Lisette Lombé la reçoit en pleine face, un jour dans le train Bruxelles-Liège. “Apprends à écrire.” Romaniste, Lisette a longtemps enseigné le français en école secondaire. L’insulte en est d’autant plus absurde, incompréhensible. Elle entre dans une colère noire. “Sale négresse.” Elle qui, de père congolais et de mère belge, cherche encore son identité métissée, est affligée par cette violence.
Scander les luttes
“Je n’arrivais pas à canaliser ma colère“, explique-t-elle. Le slam est devenu un exutoire. Le genre dérive directement du terme anglais “claquer”. Pas question de sonnets à l’ancienne ici. Les rimes interpellent, bousculent, s’improvisent lors de scènes ouvertes. Pour répondre à l’injure, Lisette fait claquer ses mots. Ce n’est pas un hasard si son premier slam fait aussi résonner ceux de Patrice Lumumba, le héros sulfureux de l’indépendance congolaise. “Qui oubliera qu’à un Noir on disait ‘tu’, non certes comme à un ami, mais parce que le ‘vous’ honorable était réservé aux seuls Blancs!” Cinquante ans après ce fameux discours, qui fit frémir le roi Baudouin, les mots de Lumumba trouvent un écho aujourd’hui. Lisette Lombé les mêle à son quotidien, reliant les discriminations d’hier à celles d’aujourd’hui. “Qui oubliera?“, scande-t-elle au fil du texte. Et le public lui répond : “Pas nous!” Car le slam est un genre participatif. “On est à la fois spectateur et acteur.“
Dans les séances de micro ouvert, chacun est invité à monter sur scène. “Il ne s’agit pas tant de maîtriser les mots que de trouver sa propre voix. Toutes les paroles sont légitimes. On dit parfois que c’est la voix des sans-voix“, explique-t-elle. Le slam libère la parole. Au point que des ateliers sont désormais organisés dans les écoles, les prisons, les hôpitaux et même dans les entreprises, pour favoriser l’expression personnelle. Lisette a d’ailleurs créé son propre collectif, L Slam, qui vise à encourager les femmes à monter sur scène, grâce un système de marrainage. Car la lutte contre le racisme n’est pas son seul cheval de bataille : elle milite aussi pour l’égalité hommes-femmes et pour les droits LGBT. Et se mêle parfois de politique.
Dans un beau slam intitulé “Bleu marine“, elle décoche des flèches poétiques à la candidate du Front national, Marine Le Pen. “Le bleu marine, c’est la couleur du dragon / Un dragon racé et élégant, beau parleur, enfumeur de rétines / Un dragon affable, flatteur de pensées étriquées, brocardeur d’étrangers / Un dragon qui a fait peau neuve – du rose sur les joues, du fard sur les marécages – et qui a réussi à nous faire oublier qu’il était un dragon.” Lisette, elle, réussit à nous rendre la mémoire.