©Cédric Gerbehaye

Alternative “light”: surveillance électronique

Et voici l’alternative “light”. Beaucoup moins ambitieuse, pas du tout révolutionnaire et peut-être du coup beaucoup plus réaliste. Car, même à politique d’expulsions inchangée, on peut se passer des centres fermés.

C’est entendu: les centres fermés ne sont qu’un outil au service d’une politique. Il va de soi que “qui veut la fin veut les moyens”. Si on veut être logique et cohérent, si on conteste l’existence ou le fonctionnement des centres fermés, c’est à la politique qui a mis sur pied ces centres qu’il faut s’attaquer. Une politique qui aboutit à expulser des êtres humains dans des conditions particulièrement discutables et que nous discutons précisément. 

Or, cette politique n’est elle-même que la conséquence d’un postulat qui régit jusqu’à nouvel ordre le droit international: il n’y a pas de droit universel à la migration et à l’établissement. Jusqu’à nouvel ordre, l’autorisation de séjour reste un des attributs de la souveraineté nationale étatique qui peut choisir ou non de la délivrer en fonction de critères qu’il appartient à l’État d’apprécier. En corollaire, tout État a le droit souverain d’expulser de son territoire toute personne qui ne disposerait pas d’un titre de séjour en règle. L’alternative “full” met en cause ce postulat. Mais même si on adhère à la perspective d’un monde où la liberté de circulation et d’établissement serait acquise, même si cette perspective peut constituer une boussole pour l’action au titre d’”utopie directrice”, ce n’est pas être défaitiste que de considérer qu’on en est encore très loin.

La recherche d’une alternative “light” aux centres fermés s’inscrit dans le cadre du postulat actuel, dans une perspective de court terme. Elle se justifie par le fait que les centres fermés sont un scandale du point de vue des droits humains et qu’on ne peut sûrement pas attendre que ce postulat soit aboli pour abolir les centres fermés.l’alternative “light” s’inscrit dans le cadre du postulat actuel, dans une perspective de court terme. Car on ne peut sûrement pas attendre que ce postulat soit aboli pour abolir les centres fermés.

Abolir l’outil sans en abolir la cause?

Il faut alors résoudre ce paradoxe: peut-on abolir un outil sans abolir la politique que cet outil sert? Notre hypothèse: oui, c’est possible.

Il faut revenir à l’objet “légal” de l’enfermement en centre fermé: mettre un étranger à disposition du gouvernement en vue de son éloignement. À côté de cet objet “légal”, on ne peut négliger un objet “secondaire” implicite. Quand on met en évidence l’efficacité ridicule des centres fermés en termes de ratio d’expulsions effectives, on rétorque souvent: “Ne soyez pas naïf. Le but n’est pas d’expulser mais de dissuader.” Or, cet effet dissuasif n’a jamais été démontré. Si même les dizaines de morts par noyade ne dissuadent personne de tenter l’aventure risquée de la traversée, si des milliers de candidats à la migration survivent dans les pires conditions dans les forêts qui entourent les enclaves espagnoles au Maroc de Ceutà et Melilla, ce n’est sûrement pas la perspective de quelques semaines de détention dans un bâtiment chauffé où l’on est tout de même soigné, nourri et blanchi qui dissuadera quiconque de tenter l’aventure de la clandestinité.

Par rapport à l’objet “légal”, rappelons d’abord que, depuis 1991, le séjour illégal n’est plus poursuivi comme un délit. Alors que, pour les personnes détenues dans le système pénitentiaire pour avoir enfreint le code pénal, il s’agit en même temps de protéger la société et de préparer la réinsertion future du délinquant, aucune de ces motivations ne peut être avancée pour justifier l’enfermement de personnes en vue de leur expulsion. La seule motivation est “technique”: il faut avoir ces personnes “sous la main” pour le jour où l’expulsion aura pu être effectivement programmée. Les avoir “sous la main”, ça n’implique pas forcément les enfermer.

Mutatis mutandis, le système pénitentiaire nous offre une piste “technique”: la surveillance électronique. Ce système prend la forme d’un bracelet électronique fixé à la cheville et relié à un dispatching central, qui permet de contrôler une assignation à résidence, en y incluant des plages horaires de mobilité moins contraignante. Dans le système pénitentiaire, cette mesure, présentée comme une alternative à la détention, fonctionne comme un sas spatio-temporel préparant la réinsertion du justiciable dans la vie normale. À l’heure actuelle, un peu plus d’un millier de personnes (sur plus de dix mille détenus en prison) bénéficient de ce système. Selon le ministre de la Justice Stefaan De Clerck, le taux d’échec serait de 14%: 2% pour récidive et 12% pour non-respect des conditions fixées (suivi psychologique, suivi d’une formation, recherche d’emploi… ). il faut avoir ces personnes “sous la main” pour le jour où l’expulsion aura pu être effectivement programmée. Les avoir “sous la main”, ça n’implique pas forcément les enfermer. Ce dispositif relativement récent en Belgique a été critiqué par la Ligue des droits de l’Homme qui y voit une extension problématique du lieu pénal. “Traditionnellement limitée aux enceintes de la prison, la peine suit le détenu, sur un lieu de travail dans un cas, dans son domicile et ses déplacements dans un autre. Cette révolution, illustrant l’État Big Brother dont la surveillance et le maintien de l’ordre demeureraient les compétences privilégiées, mériterait une réflexion éthique avancée…”.1

L’application d’une telle mesure aux personnes “en attente de leur expulsion” échappe pourtant à cette critique. Il ne s’agit pas de les réinsérer dans la société, puisque l’objectif est bien… de les en “désinsérer” complètement. Il ne s’agit pas non plus d’élargir potentiellement à toute la société le champ physique de l’exécution des peines, puisque la personne détenue n’est réputée “coupable” de rien et qu’en l’occurrence elle ne preste aucune peine. C’est la raison pour laquelle une association aussi sourcilleuse des droits humains qu’Amnesty International s’est prononcée en faveur d’une telle mesure, partant de la nécessité de solutions pratiques de substitution à la détention.

Deux balises

Toutefois, Amnesty International pose deux balises indispensables à l’application de la surveillance électronique aux migrants irréguliers que l’État souhaite éloigner:

1. Il s’agit strictement d’une alternative à la détention et rien de plus. Autrement dit: la surveillance électronique ne pourrait s’appliquer à des personnes qui n’auraient pas été placées en détention. Pas question donc d’en faire un mécanisme de contrôle élargi des personnes en séjour irrégulier et de l’appliquer à des personnes inexpulsables mais dont on souhaiterait limiter la liberté de mouvement.

2. Pour garantir la restriction qui précède, il faudra profiter de l’introduction d’une telle mesure pour mieux cadrer le risque d’arbitraire: “La surveillance électronique doit faire l’objet d’un contrôle de la part d’une autorité compétente et indépendante, judiciaire ou autre afin qu’elle ne soit appliquée qu’en cas de stricte nécessité et de manière proportionnée à l’objectif légitime déclaré, au moment considéré, et que son usage ne soit ni discriminatoire ni arbitraire ni indûment prolongé.”

Avec ces deux balises, la surveillance électronique devrait pouvoir s’imposer comme alternative “light” à la détention, quoi qu’on pense par ailleurs de la question plus fondamentale, dont la réponse n’est pas près de faire consensus: l’expulsion d’étrangers en séjour irrégulier est-elle légitime? 

Notes:
1 “La prison hors de son enceinte: des peines réellement alternatives?”, Julien Pieret in La Chronique de la Ligue des droits de l’Homme n°107, janvier-février 2005 (dossier: Prisons: des vies hors le monde).
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