Alama: les mots pour les maux

Née en Albanie, “sans-papiers” en Italie puis en Belgique, cette ancienne interprète devant le Tribunal de Première instance de Bruxelles est aujourd’hui médiatrice interculturelle à l’hôpital Saint-Pierre. Un métier où Alama excelle: sa connaissance des langues et des cultures l’aide à décoder ce que médecin, patient et famille tentent de se dire.

À 40 ans, Alama a enfin avoir trouvé sa place en Belgique. Je suis Albanaise à 100%“, insiste-t-elle avec une énergie et un sourire qui flattent ses origines méditerranéennes. “J’ai quitté l’Albanie sur un coup de tête. Si c’était à refaire aujourd’hui, avec mon expérience et ma maturité, je ne le referais pas!“, le ton est donné. Non pas qu’elle ne se sente pas à sa place aujourd’hui en Belgique. Mais parce que la route pour y arriver a été longue et sinueuse.

Au tribunal et sans papiers

L’histoire commence par un départ précipité d’Albanie en 1997. Sans-papiers en Italie, Alama obtient une régularisation de son séjour en 1998. Installée à Bari (Italie), elle achève son diplôme d’interprète “français-italien-albanais”. Pendant ses études, elle travaille tous les soirs dans un restaurant de 19h à 2h du matin avec son mari. Ici on dirait un restaurant “italien”. En 2003, Alama part en Erasmus à Bruxelles pour parfaire son français et travailler sur son travail de fin d’études avec un professeur de Louvain-la-Neuve spécialiste du sujet.

“Je m’étais toujours dit qu’à 30 ans, je devais être diplômée et avoir des enfants. J’ai déposé mon mémoire en septembre 2014. Et quelques jours plus tard, j’accouchais de mon premier enfant”. Juste avant la date de son 30ème anniversaire, pari tenu donc. Après son congé de maternité, Alama doit maintenant trouver un emploi. C’est là qu’elle tombe sur une offre de formation à l’Institut pour le Commerce extérieur italien à Bruxelles. Tiens, tiens, Bruxelles à nouveau. “Un signe” pense-t-elle.

J’étais encore sans-papiers en Belgique quand j’ai prêté serment devant le Tribunal. Je rédigeais des procès-verbaux, je faisais de la traduction de documents officiels et j’étais interprète pendant les audiences

Retour dans la capitale de l’Europe donc. Mais cette fois Alama prépare le terrain pour sa famille. Elle travaille d’abord comme interprète bénévole chez Bruxelles-Accueil où elle effectue des prestations dans les hôpitaux bruxellois, les centres Fedasil et la police fédérale.

En même temps, elle s’inscrit à la Chambre des interprètes et traducteurs et passe les examens pour devenir “Interprète juré devant le Tribunal de Première instance de Bruxelles”. “C’est drôle quand j’y repense. J’étais encore sans-papiers en Belgique quand j’ai prêté serment devant le Tribunal. Je rédigeais des procès-verbaux, je faisais de la traduction de documents officiels et j’étais interprète pendant les audiences, souvent des dossiers de grand banditisme“.

Ni trop sensible ni trop “cash”

Ses études d’interprète, Alama les a surtout faites pour manger. Elle était, comme elle le dit elle-même, “douée pour les langues“. Mais fondamentalement, elle a toujours eu la fibre sociale. Elle aurait pu être assistante sociale. Alors quand elle tombe sur cette annonce de “médiateur interculturel de langue albanaise” à l’Hôpital Saint-Pierre de Bruxelles, elle saisit sa chance. À l’entendre, rien n’aurait pu l’arrêter. Elle a tout fait pour avoir ce contrat. “J’aime ce travail parce que je suis dans le social. À l’hôpital, je joue un rôle de facilitateur. Je fais un travail de décodage entre le patient, la famille et le médecin“. Un travail difficile aussi quand il faut annoncer les mauvaises nouvelles au patient. “Je suis la personne qui annonce le diagnostic à la famille et au patient. Il faut être ni trop sensible ni trop “cash”. Il ne faut rien cacher mais dire les choses avec humanité“.

Dans son parcours, on devine une sorte de fil rouge: permettre aux gens de disposer de l’information correcte, au bon moment, comprendre les enjeux et prendre la bonne décision. “Derrière tout ça, il y a probablement l’idée de réparer ce qui m’a parfois fait défaut. C’est sans doute quelque chose de très inconscient. Une sorte de revanche par rapport à ma propre histoire“.

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