Abdelhak Ziani avait 34 ans quand il est arrivé en Belgique, l’été 2004. Sans-papiers, travailleur au noir, il a fini par être régularisé en 2007. À travers son témoignage, nous découvrons l’engagement méconnu d’(ex) sans-papiers dans des actions de solidarité. Avec peu de moyens, mais plein d’énergie! Un article qui vous est proposé en bonus web du dossier “Belgique: la fin d’un périple, le début d’une rencontre”.
Quand Abdelhak Ziani parle, ses mots arrivent aisément. C’est un plaisir de l’écouter. Il nous remercie modestement pour le compliment: “C’est le cumul de mon expérience de plaidoyer dans des collectifs de sans-papiers et l’habitude de côtoyer différentes classes sociales qui m’ont aidé à rehausser mon niveau.” Il ajoute: “Très jeune, j’ai aimé la langue française. J’écoutais avec délectation les Dossiers extraordinaires de Pierre Bellemare, retransmis à la radio marocaine.“
Avec cinq amis, sans-papiers et ex sans-papiers comme lui, Abdelhak participe au projet CollectActiv qui a pris naissance chez Pigment, une association d’accueil et d’accompagnement de sans-abris et d’autres personnes précarisées. “Nous avons mis en place une solidarité horizontale avec les gens concernées, pour monter une structure de récupération alimentaire, et préparer des repas hebdomadaires. Nous avons donc commencé à récupérer des pains, des fruits, des légumes. Il nous fallait trouver un local pour stocker la nourriture. Ce qui nous a amenés à contacter l’asbl Communa, engagée sur les questions du droit au logement. Nous avons ainsi décidé d’organiser des tables d’hôtes.“
Dans notre société, le sans-papiers est rarement perçu comme une personne qui apporte un plus. Les stéréotypes qui circulent sont coriaces et la peur distillée permet de penser que ces étrangers sont “de trop”, “qu’il faut s’inquiéter pour demain”, “qu’ils nous prennent notre place”.
Le dimanche, ces gars, dotés d’un humour certain, deviennent “les Pirates des abattoirs” d’Anderlecht. Sur cet énorme marché, ils récupèrent 1.500 kilos de nourriture destinée à la poubelle. Ils la trient puis la donnent aux 120 familles qui viennent chaque dimanche.
On se demande souvent comment casser les préjugés. CollectActiv y travaille, à sa mesure, et ça a l’air de marcher! “Les personnes impliquées dans Communa sont des étudiants en droit, qui vivaient très loin des choses de l’immigration. Ils ont pris connaissance de la situation des sans-papiers non pas via des gens qui se victimisent ou que l’on victimise, mais via des hommes actifs dans un projet qui fonctionne. Cette relation a permis, avec le temps, de déconstruire beaucoup de préjugés contre les migrants sans-papiers. Le public qui fréquente nos tables d’hôtes, issu de toutes classes sociales, nous demande qui est ce collectif… à partir de leur question, nous leur évoquons nos conditions de vie, les centres fermés, les incohérences de la politique migratoire,… tout en les sensibilisant sur la récupération et la lutte contre le gaspillage.“
Le pouvoir du collectif
Apparemment, ces citoyens ont trouvé une place dans la société. Leur force: rechercher collectivement des solutions. “C’est un exemple que des sans-papiers donnent au quotidien: le pouvoir collectif peut changer la vie! Je pense que les Belges n’ont pas assez développé cette capacité. Or ils devraient s’y intéresser, vu l’austérité qui pèse sur leur dos.”
Le dimanche, ces gars, dotés d’un humour certain, deviennent “les Pirates des abattoirs” d’Anderlecht. Sur cet énorme marché, ils récupèrent 1.500 kilos de nourriture destinée à la poubelle. Ils la trient puis la donnent aux 120 familles qui viennent chaque dimanche. Il y a beaucoup: “Nous ne sollicitons que 5 ou 6 marchands sur une centaine. Imaginez la totalité que nous pourrions récupérer! Ces tonnes pourraient résoudre le problème de la précarité alimentaire.” En février 2014, le parlement wallon a signé un décret qui autorise que les invendus consommables des grandes surfaces soient donnés à des associations. Le parlement bruxellois ira-t-il dans le même sens?
“À travers CollectActiv, nous sentons que nous jouons un rôle politique sur la question du gaspillage alimentaire. Nous avançons donc sur une voie politique, en parallèle avec la lutte pour les papiers, une lutte frontale mais nécessaire pour faire évoluer les mentalités et obliger les politiques à prendre des positions. Car ils sont à la fois dans l’incapacité d’expulser tous les sans-papiers, et dans l’incapacité – d’après ce qu’ils disent – de régulariser leur situation. De surcroît, certains nous utilisent pour faire peur à leur électorat…”
Actifs au Parc Maximilien
En septembre 2015, ils ont installé leur cuisine mobile dans le désormais célèbre parc Maximilien, face à l’Office des étrangers à Bruxelles. L’équipe préparait deux repas par jour pour 500 bouches en moyenne. “Les premiers arrivés, nous avons été les derniers à quitter le parc, poussés par la police. Ce mois intense nous a mis face à nos responsabilités car nous avons ouvert les yeux sur une précarité présente et pesante autour de nous.”
Avec ses complices, Abdelhak Ziani se dit porteur d’un message de solidarité en faveur des réfugiés, des sans-papiers, des sans-abris et de toutes les personnes précarisées. C’est pourquoi ils ont décidé de remplacer leurs tables d’hôtes par “Cuisine du monde pour tout le monde”. Le principe reste le même à ceci près que leur équipement devient mobile pour partir à la rencontre des gens! ” Nous nous élargissons aussi, car il s’agit d’un projet plus global qui comprend non seulement la cuisine, mais également la logistique, la communication, le suivi avec les donateurs. 30 bénévoles sont impliqués, en plus d’un groupe de jeunes, filles et garçons tous âgés d’une vingtaine d’années et issus du quartier Maximilien.” Tout citoyen est ainsi invité à rejoindre le projet.