Depuis le début des années 90, la Belgique s’enrichit chaque année d’environ 40.000 nouveaux Belges, dont une partie constitue de nouveaux électeurs. Leur arrivée a-t-elle transformé l’échiquier politique? Comment votent-ils, comment sont-ils perçus, comment se comportent-ils une fois élus?
La visibilité sociopolitique des “nouveaux Belges” est réelle. Comme le soulignent Dirk Jacobs et Andrea Rea, le Parlement régional bruxellois issu des élections de 2004 compte 20% d’élus d’origine non européenne. Cette même année, Émir Kir, Belge d’origine turque, occupe le poste de Secrétaire d’État à la Région de Bruxelles-Capitale. Fadila Laanan, d’origine marocaine, est ministre de la Culture dans le gouvernement de la Communauté française de Belgique, Gisèle Mandaïla, d’origine congolaise, est Secrétaire d’État aux familles et à la personne handicapée dans le gouvernement fédéral1. Existe-t‑il pour autant un vote ethnique ou identitaire?
Vote “ethnique” ou “communautaire”?
Pour Fatima Zibouh, auteur de plusieurs ouvrages sur la participation politique des musulmans et élus d’origine maghrébine à Bruxelles, il convient avant tout de souligner l’hétérogénéité des attitudes et des affiliations politiques des électeurs et des élus2. Ces dernières sont moins déterminées par une appartenance ethnique ou nationale que par l’origine sociale et le parcours professionnel de chacun. Ainsi, des musulmans issus de la classe ouvrière ou de milieux défavorisés se retrouvent plus facilement dans les valeurs des partis de gauche et principalement du parti socialiste.
Comme l’explique Fatima Zibouh, on peut identifier trois types de campagne électorale chez les candidats/élus maghrébins. Une approche “différentialiste” mettant l’accent sur les questions politiques spécifiques de la communauté d’origine (moins d’un tiers des élus belges d’origine maghrébine). Une approche “universalo-communautariste”, consistant à tenir un discours sur des valeurs d’intérêt général, tout en tirant parti d’un ancrage et d’une spécificité ethnique (plus d’un tiers des élus belges d’origine maghrébine). Enfin, une approche assimilationniste caractérisée par une mise à distance de toute relation avec le pays d’origine ou le rapport au religieux (un tiers au moins des élus belges d’origine maghrébine).
L’origine ethnique n’est qu’un des nombreux paramètres déterminant le choix d’un électeur.
Une fois élus, les représentants des communautés issues de l’immigration tendent à assumer les valeurs du parti qu’ils ont rejoint. En résumé, l’origine ethnique n’est qu’un des nombreux paramètres déterminant le choix d’un électeur : son appartenance socio-économique, mais aussi son âge, son sexe, son capital scolaire sont autant de variables intervenant dans les choix politiques. “Avec le temps, on constate même une professionnalisation plus grande du vote : les électeurs sont devenus désormais plus exigeants, et des élus “communautaires” qui ont déçu sont désormais délaissés au profit d’élus «autochtones» qui représentent mieux les attentes et les valeurs des électeurs.”3
Les minorités ethniques : enjeu électoral des différents partis
La variable communautaire/ethnique apparaît pourtant dans les stratégies des partis eux-mêmes. Ainsi, selon Fatima Zibouh, “le Parti socialiste cible plus particulièrement les Marocains, le CDH les électeurs d’origine sud-saharienne, le parti Ecolo les latino-américains… Il s’agit moins d’une “ethnicisation” des cibles que d’une stratégie politique bien comprise en fonction des origines socio-économiques des électeurs (Marocains), de leur affinité avec des valeurs chrétiennes éventuellement relayées par des églises locales (Afrique sud-saharienne) ou encore d’une stratégie profitant de l’effet d’entraînement produit par la présence d’une élue latino-américaine charismatique sur l’ensemble de la communauté immigrée (cas de Marie Nagy, élue écolo belge d’origine colombienne).” Là encore, il faut relativiser, les partis ne se contentent pas de cibler ces électeurs-là, mais la “cible ethnique” constitue une des nombreuses stratégies de conquête du pouvoir. Selon Andrea Rea et Dirk Jacobs, “aujourd’hui, tous les partis politiques – à l’exception de l’extrême droite – voient dans la population issue de l’immigration un électorat à séduire. Cela a permis à plusieurs quartiers populaires des grandes villes de retrouver aux yeux des politiques publiques un certain intérêt“4.
Élu d’origine étrangère: quel impact?
C’est là un des non-dits des hésitations à étendre le droit de vote – en tout cas au niveau régional ou fédéral – aux étrangers, notamment musulmans. Dans le climat d'”islamophobie” ambiant, on voit bien d’ailleurs ce que recouvrent ces hésitations: peur de voir des élus d’origine musulmane imposer des horaires séparés dans les piscines et de la viande halal dans les cantines scolaires, d’empêcher toute législation limitant le port du voile islamique, de mettre en cause les droits des femmes…
Or, à examiner l’attitude des élus belges d’origine étrangère depuis plusieurs années, c’est en fait tout le contraire qui se produit. Une fois élues, en effet, ces personnalités politiques tendent à assumer une grande loyauté vis-à-vis de leurs partis politiques, lesquels d’ailleurs ne leur laissent que peu de marge de manœuvre pour lancer des initiatives de type communautariste. Si changement social il y a, on peut imaginer qu’il est le résultat des évolutions de la société elle-même plutôt que d’une action impulsée au niveau politique. “Dans certains cas, souligne Fatima Zibouh, comme la question du voile à l’école par exemple, il y a même un net décalage entre les attentes de la communauté et le discours politique des élus musulmans, peu enclins à se laisser entraîner sur ce sujet.“5
Une fois au pouvoir, donc, les élus d’origine étrangère ne semblent pas se caractériser par une attitude communautariste particulière. Ainsi, la participation politique des Belges d’origine étrangère se caractérise avant tout par une grande hétérogénéité. L’appartenance communautaire et/ou nationale y a moins d’importance que les trajets individuels, l’appartenance professionnelle ou socio-économique. La relation entre vie politique et origine ethnique ou communautaire doit avant tout être vue comme une relation dynamique et en constante évolution, à l’instar de la société elle-même.