Réinstallation des réfugiés: la protection de demain ?

La “réinstallation” est la nouvelle trouvaille de l’ingénierie humanitaire. Elle préfigure peut-être un nouveau mode d’approche plus solidaire de la protection internationale dont le poids principal continue à peser sur les pays pauvres. Aux manettes: Le Haut Commissariat des nations unies pour les Réfugiés. Entretien avec Wilbert van Hövell.
 

L’été dernier, la Belgique a accueilli 47 réfugiés irakiens dans le cadre d’un programme pilote. Le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) demande que les État européens mettent en place ce type de programme. En quoi consiste la réinstallation?

La réinstallation, c’est le transfert organisé de gens dont les besoins de protection ont déjà été établis vers un pays tiers qui a accepté de les admettre comme réfugiés. C’est un outil essentiel dans des situations où d’autres options – retour dans le pays d’origine ou intégration locale dans le pays de séjour temporaire – ne sont pas possibles.

Il ne faudrait pas que les réfugiés soient sélectionnés par les gouvernements dans des camps au détriment de demandeurs d’asile qui ont dû fuir vers l’Europe par leurs propres moyens.

En tant que chef de file de la réinstallation, le HCR accorde une attention spéciale aux réfugiés vulnérables tels que les victimes de torture ou de traumatisme grave et les femmes seules avec enfants. Il en va de même pour des réfugiés qui voient leur sécurité menacée ou qui risquent un refoulement vers le pays qu’ils ont fui. Parfois, nous avons à peine 24 heures pour transférer quelqu’un vers un autre pays afin d’assurer sa sécurité. Grâce à la réinstallation, nous pouvons sauver des vies.

 
Vous le dites, la réinstallation permet de sauver des vies… c’est donc très concret? 
Par exemple, une des personnes admises l’été passé en Belgique était une femme sunnite qui avait vécu avec son mari chiite et leurs cinq enfants à Mossoul, en Irak. En 2005, au cours d’une visite à Bagdad, son mari a été kidnappé et tué. Son corps a été identifié deux mois plus tard dans un hôpital. Cette femme a commencé alors à recevoir de sérieuses menaces des ravisseurs de son mari sous prétexte qu’elle était mariée à un “collaborateur chiite”. Aujourd’hui, en Belgique, elle a enfin la chance de pouvoir reconstruire sa vie avec l’aide des autorités et d’organisations non gouvernementales. Grâce à la réinstallation, nous pouvons redonner de l’espoir à ces personnes. C’est un moyen essentiel de protection et une solution durable.
 
Contrairement à une idée reçue, la plupart des réfugiés restent dans les pays limitrophes des zones de conflits. C’est donc aussi une façon de dire que si “on ne peut pas accueillir toute la misère du monde, chacun doit en assumer fidèlement sa part”? 
Effectivement, en acceptant des réfugiés par le biais de la réinstallation, les États envoient également un signal important de solidarité internationale et de responsabilité partagée avec d’autres pays. Notamment, avec les pays en développement qui accueillent généralement de réfugiés. N’oublions pas que de nombreux réfugiés vivent dans la région dont ils sont originaires. Environ 85% d’entre eux restent dans des pays voisins dont certains sont parmi les plus pauvres du monde. Mais ce n’est pas tout. La réinstallation peut avoir plusieurs effets secondaires positifs comme convaincre les gouvernements des premiers pays d’asile de devenir plus flexibles ou d’améliorer les conditions de vie des réfugiés qui restent dans les camps notamment. La réinstallation peut aussi accroître l’accès humanitaire du HCR ainsi que notre pouvoir d’action. Elle peut donc aussi avoir d’importants avantages stratégiques.
 
Le 1er juillet 2010, la Belgique prend les rênes pour 6 mois de la Présidence européenne. Quelles sont vos attentes au niveau européen en matière de réinstallation des réfugiés? 
Depuis peu, le nombre de pays acceptant de participer à cette initiative est en augmentation, y compris en Europe. Malheureusement, sur les 10,5 millions de réfugiés à travers le monde sous le mandat du HCR, à peine 1% peuvent être réinstallés. Nous espérons que la Présidence belge de l’Union européenne (UE) insistera sur l’importance de cet instrument et fera progresser la mise en œuvre d’un programme commun de réinstallation de l’UE. Celui-ci est en effet un développement tout à fait positif même si la participation des États se fait sur base volontaire. Actuellement, le nombre de places mises à disposition en Europe pour la réinstallation s’élève à peine à 8% de l’ensemble des places disponibles. Évidemment, l’Europe reçoit un certain nombre de demandes d’asile directes. Mais elle peut faire beaucoup plus en matière de réinstallation.
 
Justement, à combien estimez-vous le nombre de réfugiés dans le monde qui auraient besoin d’être réinstallés à court et moyen terme ?
Au moins 200.000 réfugiés pris en charge sous notre mandat auraient besoin d’être réinstallés cette année. En 2009, nous avons procédé à la réinstallation de 129.000 réfugiés, ce qui constitue une augmentation par rapport à 2007. Lorsque nous encourageons les États membres de l’UE à réinstaller plus de réfugiés, nous répétons systématiquement que la réinstallation doit être complémentaire aux systèmes d’asile et non s’y substituer. (99 000). En 2009,  84.000 réfugiés ont en fait été réinstallés. Dont la majorité dans trois pays qui se taillent traditionnellement la part du lion en la matière: 62 000 personnes aux États-Unis, 6.500 au Canada et 6.500 en Australie. On le voit, l’UE joue encore un rôle modeste en terme de réinstallation à l’échelle mondiale, avec à peine un peu plus de 7.000 personnes réinstallées l’an dernier. Beaucoup sont des réfugiés irakiens. Ils ont été réinstallés depuis la Syrie et la Jordanie grâce à un programme spécial qui a été lancé par l’UE en 2008. Nous espérons que ces efforts ponctuels préfigurent la mise en place d’un programme de réinstallation annuel et régulier.
 
La réinstallation de réfugiés ne présente-t-elle pas un risque de détourner les États de leurs obligations d’accueil et de protection des demandeurs d’asile qui se présentent sur leur territoire?
Bien entendu, nous devons y être attentifs, mais je ne m’inquiète pas trop. Le droit d’asile est ancré dans le droit international. Les besoins de protection d’un nombre considérable de demandeurs d’asile sont toujours reconnus. Lorsque nous encourageons les États membres de l’UE à réinstaller plus de réfugiés, nous répétons systématiquement que la réinstallation doit être complémentaire aux systèmes d’asile et non s’y substituer. Il ne faudrait pas que les réfugiés soient sélectionnés par les gouvernements dans des camps au détriment de demandeurs d’asile qui ont dû fuir vers l’Europe par leurs propres moyens.
 
À côté des engagements actuels et futurs de l’Union européenne en matière de réinstallation des réfugiés, existe-t-il d’autres pratiques dans le monde qui vont dans le même sens et qui mériteraient d’être approfondies? 
Il y a notamment le concept des sponsors privés au Canada, pays qui possède une tradition très ancienne en matière d’accueil des réfugiés par le biais de la réinstallation. En plus des programmes de réinstallation menés par l’État, des groupes privés sont devenus des partenaires importants au Canada, offrant un sponsoring qui dépasse celui des gouvernements. Cela a permis à des milliers de gens, qui autrement n’auraient pas reçu une telle chance, de trouver refuge au Canada. Avec ce modèle, des citoyens, des organisations et des associations peuvent sponsoriser des réfugiés. Même des universités et des étudiants sont impliqués, avec succès. À travers le soutien privé, les coûts pour l’État sont sensiblement allégés. L’implication de citoyens privés et d’organisations est également une bonne chose pour la cohésion sociale au sens large. Actuellement, cette pratique n’existe pas au sein l’UE, mais cela vaudrait certainement la peine de l’envisager.
Permettez-moi également d’exposer une initiative plus proche, à savoir le centre spécial de transit et d’évacuation à Timisoara, en Roumanie. Ce centre est le premier du genre en Europe. Il a ouvert ses portes début 2009 et a été créé conjointement par le gouvernement roumain, le HCR et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). L’objectif est d’apporter un havre temporaire de sécurité et une protection immédiate à des réfugiés qui ont besoin d’être évacués immédiatement en raison de menace mortelle, avant d’être réinstallés dans d’autres pays. Ce séjour temporaire apporte sécurité et assistance aux personnes, avant de procéder à une réinstallation dans d’autres pays.
 
Propos recueillis par François Corbiau et Sotieta Ngo 
 

Définition

La réinstallation permet d’offrir une solution durable aux réfugiés en reconstruisant leur vie dans un pays tiers lorsque le rapatriement ou l’intégration au sein du pays où ils se trouvent ne sont pas envisageables. La procédure de réinstallation consiste donc à identifier un réfugié (ou un groupe de réfugiés) qui est dans une situation qui s’éternise, sans perspective d’avenir, ne pouvant ni retourner dans son pays d’origine ni s’installer dans son premier pays d’accueil. Ce réfugié pourra alors s’installer définitivement dans le “pays hôte” et bénéficier des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels similaires à ceux des nationaux.

Source: CIRÉ, La réinstallation des réfugiés, un outil de protection, octobre 2009,disponible sur www.cire.be
 
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