Réfugiés afghans, réfugiés de longue durée

La longue durée est un élément fondamental pour comprendre le vécu des demandeurs d’asile afghans et pouvoir déterminer leur besoin de protection. Il faut regarder plus loin que le nombre de morts qui tombent chaque mois pour évaluer la gravité du conflit. 

La Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a estimé récemment que quasiment tout le monde en Afghanistan a été directement affecté par le conflit ou par l’une de ses multiples conséquences. Concrètement, ces personnes ont subi les déplacements forcés, la perte de leurs biens, la confiscation de leurs terres, la perte de leurs moyens de subsistance, la disparition de leurs proches. L’organisation non gouvernementale Oxfam explique que toute une génération a grandi sans avoir pu connaître la paix et qu’elle lutte aujourd’hui pour tenter de supporter les conséquences économiques, sociales et psychologiques du conflit dans ses dimensions passées et actuelles.

Le Haut commissariat aux droits de l’Homme des Nations Unies constate pour sa part que la pauvreté est intrinsèquement liée aux violations des droits humains. Elle en est à la fois une cause et une conséquence. Un tiers des Afghans vit sous le seuil de pauvreté et ne peut rencontrer ses besoins de base, tandis qu’un second tiers est à peine en mesure de subvenir à ses besoins alimentaires de base.

Les Afghans et le besoin de protection

Le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) est d’avis qu’un nombre significatif de demandeurs d’asile afghans est en besoin de protection internationale en raison du conflit armé et des graves et très répandues violations de droits humains. Selon le HCR, un conflit armé s’inscrit le plus souvent dans des luttes ethniques, politiques ou religieuses. Le traitement des demandeurs d’asile afghans cristallise dans ses dérives les principales critiques qui peuvent être formulées à l’endroit de la procédure d’asile actuelle.

L’existence d’une situation de violence aveugle ne doit pas faire écran au fait que les atteintes subies puissent constituer des persécutions au sens de la Convention de Genève relative au statut de réfugié. Le HCR estime que, dans le contexte afghan, des communautés entières peuvent éprouver une crainte fondée de persécution sans qu’elles n’aient déjà été confrontées à de potentiels agresseurs –, tout simplement parce que d’autres personnes ayant le même profil qu’elles ont déjà pu être persécutées. L’exigence conventionnelle que le réfugié individualise sa crainte est ici relativisée par la gravité de la guerre qui a lieu actuellement dans ce pays.

La protection subsidiaire en question

À côté du statut de réfugié, le droit européen a conduit à l’introduction en droit belge d’une protection dite “subsidiaire”. Celle-ci vise principalement à couvrir les potentielles victimes d’un conflit armé qui ne peuvent le démontrer par leur qualité propre, mais risquent d’être visées à l’un ou l’autre titre. L’étendue de cette protection dépend de l’intensité du conflit. Notons, et c’est important pour le cas des Afghans, que les instances d’asile n’appliquent pas cette protection à l’ensemble des ressortissants du pays déclaré en guerre. La protection “subsidiaire” ne couvre que les parties du territoire qui sont directement concernées par les violences majeures.

La volonté affichée par le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA) de vouloir délimiter tant géographiquement que dans la courte durée de telles zones d’intensité donne des airs de querelle byzantine à l’octroi de la protection subsidiaire. Pour sa part, la délégation du HCR sur place a estimé qu’elle n’était plus en mesure de désigner de telles zones spécifiques en raison de la volatilité du conflit et des conditions matérielles d’évaluation.

Vision restreinte des instances d’asiles

Si l’on se réfère aux chiffres rendus publics par le CGRA, 1659 demandes d’asile ont été introduites par des candidats afghans au cours de l’année 2009. Il s’agit de la première nationalité et d’une augmentation importante face aux nombres enregistrés de 879 en 2008 et de 696 en 2007. La valeur absolue de ce nombre est à relativiser dans la mesure où les Afghans introduisent également le plus grand nombre de demandes multiples: 733. Ce dernier chiffre particulièrement disproportionné est à tous le moins le signe d’une incompréhension du fonctionnement des instances et de la nature des décisions prises. Au final, en 2009, 114 demandes ont abouti à une reconnaissance du statut de réfugié et 93 à l’octroi d’une protection subsidiaire.

En règle générale, les candidats à l’asile afghans voient leurs demandes traitées dans le rôle néerlandophone. Des chiffres rendus publics au Sénat nous ont appris que, pour l’année judiciaire 2008-2009, le taux de reconnaissance en appel devant les chambres néerlandophones du Conseil du contentieux des étrangers (CCE) était de 0,7% et le taux d’octroi de la protection subsidiaire de 2,3%, et ce alors qu’ils ont à traiter de la majeure partie des zones de conflits armés. Ces chiffres divergent fortement de ceux émanant du rôle francophone du CCE. Il n’est pas illusoire de penser qu’une autre façon d’envisager l’examen de l’appel permettrait de corriger en droit certains manquements que nous dénonçons. L’audition des demandeurs d’asile par le CGRA se concentre souvent sur des questions de contrôle ayant trait à la géographie, aux événements politiques récents et à des faits considérés comme marquants.

Ces questions fermées ne permettent pas l’expression de déclarations spontanées et font glisser l’évaluation de la crédibilité du demandeur d’asile vers un contrôle de connaissance dont l’étalon ne nous est pas fourni. Dans de très nombreux cas, cet examen aboutit à la conclusion que le candidat réfugié démontre une connaissance insuffisante de l’Afghanistan. Partant, le CGRA estime impossible de déterminer avec certitude quel est son lieu d’origine et ne peut exclure qu’il ne bénéficierait pas déjà d’un titre séjour stable dans un pays tiers tel que l’Iran ou le Pakistan.

Éviter la question centrale

Ce raisonnement crée un malaise. D’abord parce que l’instruction menée s’avère régulièrement perfectible. Ensuite, parce que l’examen de la crédibilité d’un demandeur d’asile n’est qu’une étape du processus et non sa finalité. En l’absence de protection, ces personnes sont dès lors susceptibles d’être expulsées à Kaboul alors que le CGRA s’est dispensé de toute évaluation d’un risque pour l’avenir. En dehors des réseaux familiaux et claniques, il n’y a pas de survie en Afghanistan et le HCR considère que tout retour doit être exclu en leur absence.

Si le doute émis par le CGRA sur le moment du départ devait s’avérer fondé, ces mêmes personnes risquent alors de vivre des difficultés insurmontables en cas de retour forcé en Afghanistan (perte d’un accès à la terre, connexions familiales rompues, perte des repères au sein de la société d’origine voire nouveau mode de vie décalé de la tradition…). Le traitement des demandeurs d’asile afghans cristallise dans ses dérives les principales critiques qui peuvent être formulées à l’endroit de la procédure d’asile actuelle. Une procédure qui s’abstrait du vécu en préférant l’information à l’expérience et construit alors une réalité objective qui ne reconnait pas le réfugié.

Une guerre de 30 ans

L’histoire des réfugiés afghans est aussi longue que celle de la guerre en Afghanistan. La question des exilés afghans s’imposa rapidement comme une des données essentielles du conflit de telle sorte que les pays voisins, l’Iran et le Pakistan, devinrent à l’échelle mondiale les pays accueillant le plus grand nombre de réfugiés. Cette situation fut à bien des égards exceptionnelle.

On estime ainsi que, jusqu’en 2002, près de 8 millions d’Afghans se sont réfugiés à l’étranger. Fuyant dans un premier temps l’invasion de l’armée soviétique et associés aux “Freedom fighters”, ils ont pu bénéficier du soutien international et de la tolérance des pays hôtes. Dans les premières années suivant la chute des Talibans, les retours furent massifs (plus de 5 millions). Aujourd’hui les retours constituent une part négligeable des flux et les raisons de quitter l’Afghanistan sont à nouveau bien présentes. Mais les temps ont changé, l’Iran et le Pakistan manifestent de différentes manières la fin du régime de tolérance passé et les exilés se cherchent d’autres destinations.

 
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