Il n’était pas concevable de ne pas articuler cette introduction à notre rapport d’activités 2021 avec les faits qui se déroulent au moment d’écrire ces lignes: le conflit en Ukraine, qui jette sur les routes de l’exil des millions de personnes.
L’élan de solidarité qui se manifeste pour l’accueil des personnes qui fuient l’Ukraine est à saluer. En notre qualité d’acteurs de plaidoyer, de sensibilisation et d’offre de services au bénéfice des personnes exilées, nous ne pouvons que relever que les besoins qui paraissent très justement évidents pour les exilé·e·s ukrainien·ne·s sont niés pour bien d’autres personnes en exil, qui fuient elles aussi des conflits. Il est compréhensible, humain, que cette situation nous émeuve particulièrement, vu sa proximité géographique. Que les discours et les actes des autorités soient à ce point différents selon l’origine des personnes exilées est par contre plus que contestable.
La décision d’activer la protection temporaire à l’échelle européenne (et donc belge) pour les Ukrainien·ne·s qui fuient leur pays est judicieuse. Elle permet de gagner du temps quant au statut administratif et à l’accès aux droits de ces nouveaux·elles réfugié·e·s. Sans apaiser la douleur de l’exil, elle leur assure un cadre, dans lequel il ne leur reste “plus qu’à” lancer les multiples démarches pour organiser leur vie en Belgique.
L’activation de cette protection -inédite depuis son apparition dans l’arsenal de la protection internationale il y a vingt ans- permet aussi de préserver notre système d’accueil et la procédure d’asile. Et l’enjeu n’est pas des moindres! La Belgique enregistre chaque année entre 20.000 et 30.000 demandes de protection internationale (en 2021, 25.971 personnes ont introduit une demande, 27.742 en 2019). Pour y répondre, Fedasil, qui organise l’accueil des demandeur·euse·s pendant leur procédure, peut compter sur un réseau d’accueil d’environ 30.000 places.
Si les quelque 30.000 personnes enregistrées dans le cadre de la protection temporaire avaient été jointes aux autres demandeur·euse·s de protection dans la procédure d’asile et avaient été accueilli·e·s par Fedasil, cela aurait mis à mal -voire anéanti- notre système d’asile et d’accueil, déjà largement défaillant.
En novembre 2021, des centaines de demandeur·euse·s de protection de toutes nationalités ont été empêché·e·s d’introduire leur demande d’asile et d’exercer leur droit à être accueilli·e·s par Fedasil. L’insuffisance des places d’accueil et des capacités d’enregistrement des demandes par l’Office des étrangers est une litanie annuelle. Chaque année, le CIRÉ introduit avec des partenaires des procédures en justice contre l’État belge, pour ses manquements en la matière. Les victoires judiciaires s’accumulent, mais nos demandes de prendre en compte les besoins des exilé·e·s et de respecter leurs droits restent vaines.
Gageons que la solidarité qui se manifeste envers les Ukrainien·ne·s qui arrivent en Belgique fera tache d’huile auprès de nos autorités, qui se montrent sourdes et aveugles aux souffrances et aux besoins des réfugié·e·s originaires d’autres régions, parfois aussi en proie à des conflits. Nous pensons notamment aux Afghan·e·s, dont les demandes d’asile ont été gelées après la reprise du pouvoir par les Talibans, et qui ne savaient toujours pas fin 2021 si les motifs de leur exil seraient pris en compte, malgré les évidences géopolitiques.
2021 a également été marquée par le combat des personnes sans papiers qui, par diverses actions, dont la campagne “We are Belgium too“, ont dénoncé l’indifférence des autorités à l’égard de leur situation. L’occupation de l’Église du Béguinage, de locaux de l’ULB et de la VUB à Bruxelles et la longue grève de la faim menée par près de 500 personnes ont assurément fait date. Ce combat, que nous avons tenté de soutenir de diverses manières, s’est soldé par un dialogue de sourds avec les autorités, qui s’est poursuivi jusqu’à des auditions au Parlement fédéral. Il a semblé impossible de faire comprendre que les sans-papiers sont également des exilé·e·s. Certain·e·s ont fui des situations de conflit, mais n’ont pas bénéficié de la protection temporaire. Leur demande d’asile s’est soldée par une décision négative pour “défaut de crédibilité”. De candidat·e·s réfugié·e·s, iels sont passé·e·s dans la “catégorie sans papiers”, frappé·e·s d’un ordre de quitter le territoire.
L’exil est un phénomène complexe. Lorsqu’il est contraint, que ce soit sur fond de guerre, de violences, ou de misère économique, il est toujours entouré de souffrances, mais aussi d’espoirs. C’est en mettant en risque leurs corps et leurs vies que les sans-papiers du Béguinage, de l’ULB et de la VUB ont tenté d’ouvrir les yeux des autorités sur leurs souffrances et sur leurs espoirs. De multiples acteurs de la société civile se sont joints à leur lutte. Le CIRÉ a notamment organisé un séminaire sur “la fabrique des sans papiers“, pour tenter de fissurer les simplismes régulièrement assenés par les autorités sur les sans-papiers, qui n’auraient qu’à respecter les procédures et à obtempérer à l’ordre de quitter le territoire, et montrer que ce sont en grande partie les procédures administratives qui fabriquent les sans-papiers. Quand les procédures dysfonctionnent, que ce soit pour l’octroi opaque des titres de séjour humanitaires, le regroupement familial, la migration économique, ou la procédure d’asile, nous devons le dénoncer et exiger des réponses. Le combat des sans-papiers s’est heurté au mépris des autorités. Mais il ne s’arrêtera pas. Ni de la part des sans-papiers, toujours relégué·e·s dans une sous-citoyenneté, ni de la part du CIRÉ, de ses membres et de ses partenaires.
Durant cette année, le gouvernement fédéral est aussi resté fermé à l’intérêt supérieur de l’enfant, qui devrait conduire à inscrire dans la loi l’interdiction de la détention des enfants, aux droits des demandeur·euse·s d’asile et aux obligations de l’État en termes d’accueil de ces personnes… Nous avons poursuivi inlassablement notre suivi du travail politique, nos dénonciations et avons encore dû mener plusieurs recours en justice (qui ont atteint cette année de tristes records) contre l’État.
Une année 2021 difficile donc, mais qui n’a pas entamé notre détermination à lutter aux côtés des personnes dont les droits sont bafoués.