En utopie, nous aurions pu dire que face à l’adversité sanitaire, c’est la solidarité qui l’a emporté. Nous aurions pu saluer la compréhension par toutes et tous que c’est ensemble que nous faisons société, et que c’est ensemble que nous luttons contre une pandémie. Nous serions sorti·e·s de cette crise sanitaire plus fort·e·s, plus soucieux·ses du sort de nos concitoyen·ne·s, et plus dignes.
Il n’en est malheureusement rien. La crise sanitaire a certes révélé la solidarité envers les personnes précarisé·e·s, notamment par la multiplication des initiatives de distribution de colis alimentaires. De même, les citoyen·ne·s ont témoigné quotidiennement leur solidarité avec le personnel soignant. Mais cette crise a surtout aggravé la précarisation de très nombreuses personnes.
Dès le début de la crise en mars 2020, nous avons vu, entendu et diffusé les appels à l’aide des personnes sans papiers, qui vivaient déjà dans des squats précaires et qui n’arrivaient plus à se procurer des produits de première nécessité…
Nous avons vu et entendu les travailleur·euse·s sans papiers craindre le pire devant la disparition de leurs revenus déjà indignes.
Nous avons vu et entendu la détresse des demandeur·euse·s de protection internationale face à la fermeture des portes des instances d’asile pendant plusieurs semaines, en plein hiver, alors que tous les services sociaux s’étaient confinés…
Nous avons reçu les appels des étudiant·e·s étranger·e·s privé·e·s de tout revenu et de la possibilité de solliciter une aide sans perdre leur titre de séjour…
Nous avons recueilli l’incompréhension des personnes étrangères diplômées et aguerries dans les métiers de la santé, interdites de pourvoir épauler leurs pairs parce que leur diplôme étranger n’était pas reconnu comme équivalent, ou parce qu’elles n’étaient pas en ordre de séjour. Nous avons relayé cette incompréhension devenue indignation.
Nous avons reçu des femmes étrangères victimes de violences familiales, mais qui ne pouvaient quitter leur domicile – et puis pour aller où? – au risque de perdre leur titre de séjour. Nous avons éprouvé l’impossibilité de faire constater les lésions, ou de déposer une plainte, et d’alimenter un dossier administratif qui leur permettrait de se mettre à l’abri.
Nous avons vu se poursuivre la délivrance d’ordres de quitter le territoire et les détentions en centres fermés, alors que les frontières et l’espace aérien étaient bloqués.
Nous avons vu la fragilité accrue des personnes étrangères au statut de séjour précaire.
Avec la formation du gouvernement fédéral, nous avons espéré une évolution. Mais nous avons été déçu·e·s. Nous avons salué un changement de ton, mais avons attendu – et attendons toujours – les perspectives si nécessaires.
Nous avons lu l’accord de gouvernement et avons constaté avec effroi l’absence de prise en compte de la situation des personnes sans papiers. Nous avons vu grandir leur détresse, mais aussi leur détermination, pour se faire entendre, se faire voir et se battre pour leur humanité.
Dans ce contexte, nous avons tenté de rester accessibles et présent·e·s, pour ne pas laisser les invisibilisé·e·s être plus encore enfoncé·e·s dans la sous-citoyenneté.
À l’heure où la pandémie est mondiale, où des vaccins issus de collaborations transfrontalières circulent, nous aurions pu rêver de l’ouverture du carcan des migrations. Il n’en a rien été, mais nous sommes résilient·e·s, comme les migrant·e·s qui n’ont pas le choix. Et nous continuerons de combattre, avec et pour les personnes étrangères en Belgique.
Cette année de pandémie a ouvert des champs de réflexion pour s’opposer à un “retour à l’anormal”. Nous y inscrivons notre vision d’un nécessaire changement de paradigme en matière de migrations et de politiques migratoires. Comment, en effet, justifier une politique qui, lors de la première vague du virus, a continué de placer derrière les barreaux des centres fermés des personnes auxquelles un ordre de quitter le territoire était délivré, alors que tout retour vers le pays d’origine, volontaire comme forcé, était impossible à défaut d’avions?
Comment justifier les décisions prises par l’Office des étrangers concernant les demandes de séjour qui, pour “absence de motif justifiant l’introduction de la demande à partir de la Belgique” invitent le/la demandeur·euse à retourner dans son pays d’origine pour y introduire sa demande, quand les déplacements internationaux sont à l’arrêt ?
Comment accepter le refus de délivrer le permis unique (de séjour et de travail) à un infirmier étranger, formé et diplômé en Belgique, que le CHU de Liège souhaite engager en pleine pandémie, parce qu’il est sans papier?
Comment expliquer à ce chirurgien égyptien, qui justifie de plus de dix ans d’expérience, que son diplôme étranger n’est pas reconnu équivalent parce que le cursus qu’il a suivi n’est pas le même que celui organisé par la Belgique?
La pandémie a fait apparaître l’abjection d’une politique qui fait fi de la réalité du phénomène migratoire, de la richesse des migrations, des compétences des migrant·e·s et qui permet de considérer les personnes migrantes et étrangères comme une catégorie mineure d’êtres humains.
Nous continuerons à combattre ce carcan et à œuvrer pour des migrations acceptées et la prise en compte des personnes migrantes dans leur dignité, leurs compétences et leur richesse.
Au sommaire
p6 – CIRÉ, Coordination et Initiatives pour Réfugiés et Étrangers
p10 – Éditorial > Que retenir de cette année si particulière?
p12 – Les services
p14 – Accueil des demandeur·euse·s d’asile > Vers un redéploiement de la structure d’accueil et l’élargissement de nos partenariats pour un accueil sur mesure
p16 – Accueil général > Continuer malgré tout à informer les étranger·ère·s de leurs droits
p18 – Ateliers citoyens pour les primo-arrivant·e·s > Les ateliers citoyens s’adaptent et tentent l’expérience en ligne
p20 – École de Français Langue Étrangère > Nous ne savions pas que c’était impossible, alors nous l’avons (presque) fait
p22 – Logement > Au plus près de nos bénéficiaires en temps de pandémie
p24 – Travail, Équivalences et Formations (TEF) > Garder le cap et le lien
p26 – Les thématiques politiques
p28 – Accueil et protection internationale > Des combats et des victoires
p30 – Enfermement et expulsions > L’échec et mat de la politique belge
p32 – Intégration des personnes étrangères et primo-arrivantes > Travail de réseaux, d’accompagnement et de complémentarité
p36 – Séjour > Continuer à agir en justice, interpeller et informer sur les droits fondamentaux des étranger·ère·s
p38 – Communication > Plier sans rompre