Le rapport annuel du CIRÉ pour l’année 2019

Nul besoin de rappeler que l’année 2019 a été une année électorale.

L’année 2018 s’était terminée avec la sortie de la N-VA du gouvernement fédéral. Nous savions que nous ne pouvions en tirer aucun espoir de changement, tant les droits fondamentaux des personnes étrangères avaient été mis à mal par les partenaires de la N-VA dans la majorité fédérale. 2019 a confirmé notre sentiment.

C’est dans le combat que la moindre avancée devait être envisagée. Et c’est dans l’attaque, par l’action en justice, que les reculs les plus choquants seraient mis à néant.

En matière d’actions en justice, 2019 n’a pas été une année épargnée, puisque l’État persiste à adopter tambour battant une série de dispositions législatives considérées au mieux comme stigmatisantes et inefficaces, au pire comme illégales. Retenons notamment la redevance administrative dont le payement est exigé lors de l’introduction des demandes de séjour. Si une participation aux frais de l’État peut éventuellement se concevoir, nous n’avons pas été les seuls à considérer que les montants réclamés (363 euros au moment d’écrire ces lignes) constituaient non pas une participation aux frais, mais bien un frein à l’introduction des demandes de séjour. Une redevance utilisée comme outil de gestion des migrations, en quelque sorte. Le Conseil d’État a considéré que la redevance n’était pas établie de manière légale en septembre 2019. Pourtant, l’Administration continue d’en réclamer le payement en utilisant la technicité de la matière, et rares sont les citoyens concernés qui parviennent à en réclamer le remboursement. Pire, l’Office des étrangers continue de déclarer irrecevables des demandes de séjour introduite sans le payement de ladite redevance. Nous continuons donc d’attaquer en justice les arrêtés qui la concernent…

Une autre illustration de ce climat difficile, dont les personnes étrangères sont les premières victimes, est la détention administrative des familles avec enfants. Largement dénoncées, ces détentions ont été suspendues en mars 2019, non pas parce qu’il aurait été jugé illégal ou disproportionné de priver de liberté des enfants mineurs en raison du statut administratif de leurs parents, mais parce que les conditions de détention ont été considérées comme les exposant trop à des nuisances disproportionnées et ne respectant pas leur vie privée et familiale.

Il est important de nous réjouir de ces victoires collectives, mais nous ne pouvons nous reposer sur nos lauriers, tant la détermination de certains est solide pour lutter par tous les moyens possibles contre, si pas l’immigration, les migrants.

La situation des personnes sans papiers continue de nous inquiéter et de nous révolter.

Dix années après la dernière opération de régularisation, les critères de délivrance d’un titre de séjour “humanitaire” en raison d’un ancrage solide en Belgique, d’une participation économique ou sociale, ou de liens familiaux sont toujours absents de la loi belge. Pourtant actifs économiquement dans des secteurs où leur présence est essentielle, comme les métiers du soin (care), les gardes d’enfants ou de personnes âgées, l’horeca, ou la construction, les travailleuses et travailleurs sans papiers restent invités à “quitter le territoire”. Ces femmes, ces hommes et ces enfants sont encore présentés comme des abuseurs, des fraudeurs. La violence de certains discours à leur égard est significative. Il suffirait de reconnaître leur rôle dans nos sociétés, leur participation économique et leur présence. Il suffirait de reconnaître que le pouvoir discrétionnaire – comme dans la délivrance des visas humanitaires – est source non seulement d’insécurité juridique, mais aussi de trop d’arbitraire et surtout de détresse insupportable.

Il est impossible de ne pas lier ce contexte de 2019 à l’actuelle crise sanitaire du Covid. Alors que le confinement était ordonné pour la sécurité de toutes et tous, et alors que les frontières étaient fermées, la Ministre à l’Asile et à la Migration a osé simplement rappeler qu’ “un ordre de quitter le territoire est un ordre de quitter le territoire”. Comble de cynisme puisqu’il était alors impossible de quitter le territoire. Volonté de montrer la fermeté, pour éviter d’apparaître comme plus laxiste que des adversaires politiques.

Année électorale, écrivais-je? Assurément, mais si les propos choquants et l’utilisation de la migration à des fins électorales se limitaient aux périodes électorales…! Même une crise sanitaire qui a conduit la classe politique à appeler à se protéger pour protéger l’ensemble des citoyens ne semble pas être un contexte suffisant pour admettre que, sans papier ou pas, nous sommes tous citoyens du même État, nous nous croisons tous sur les trottoirs, ou dans les magasins. Protéger les personnes sans papiers, c’est non seulement leur accorder un peu de dignité, mais aussi leur permettre de nous protéger.

Cette lutte contre la migration et les migrants doit cesser!

En 2019, nous n’avons pas été les seuls à le considérer, loin s’en faut. Nos alliés sont aussi déterminés que nous à dénoncer, protéger, et attaquer.

Ensemble, il nous faudra encore dénoncer le sort des migrants secourus en mer Méditerranée, refuser que les navires leur venant en aide soient, comme ils l’ont été en 2019, renvoyés d’un port à l’autre. Il nous faudra nous opposer à ce que leurs capitaines soient poursuivis en justice.

Il nous faudra nous montrer solidaires à l’égard de ces citoyens toujours plus nombreux qui refusent de se taire, comme ces passagers qui s’insurgent des conditions d’expulsion par avion, ou comme ces hébergeurs qui ouvrent leur porte et se voient parfois associés à des trafics.

2019 a été une nouvelle année difficile sur le front des migrations, surtout pour les migrants. 2020 ne nous semble malheureusement pas opérer un changement de cap… Nous resterons, donc actifs, plus que jamais.

Sotieta Ngo
Directrice générale du CIRÉ

Découvrez notre rapport 2019

En un clin d’œil

Photo de couverture: 28 février 2020 – Marie Tihon / Hans Lucas

Nous avons ouvert les portes, et cela va continuer ainsi“, suite à cette déclaration du président turc Recep Tayyip Erdogan le 27 février 2020, des milliers de réfugiés se sont précipités à la frontière gréco-turque dans l’espoir d’atteindre l’Europe. Au lendemain de cette annonce, Türkiye, qui tient son bébé d’un an et demi dans les bras, se trouve à quelques kilomètres du poste-frontière de Pazarkule avec ses quatre autres enfants et son mari.

Cette mère de famille syrienne originaire d’Alep, vit en Turquie depuis quatre ans. En quête d’un meilleur avenir pour ses enfants, cette famille n’a pas hésité une seconde avant de tout laisser derrière elle et de prendre la route. Ils voulaient à tout prix saisir ce qu’ils ont cru être une opportunité tant rêvée.

Et puis la déception se lit sur le visage de Türkiye. Elle ne s’attendait pas à se retrouver coincée dans la zone tampon face aux forces de l’ordre grecques qui dissuadent la foule de traverser à coups de gaz lacrymogènes. Elle ne s’attendait pas non plus à devoir passer plusieurs nuits dans ce camp de fortune à la frontière dans le froid et la pluie. Enfin, cette famille, comme des milliers d’autres ne s’attendait pas à être utilisée comme moyen de pression politique contre l’Europe, incapable de fournir une réponse humaine à cette crise.

Photo prise à la frontière gréco-turque. © Marie Tihon / Hans Lucas
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