couverture du rapport annuel du CIRÉ pour l'année 2019

Le rapport annuel du CIRÉ pour l'année 2018

Il est ardu de rendre compte du contexte dans lequel nous avons œuvré, sensibilisé, combattu et résisté au cours de l’année 2018 à travers nos services, nos campagnes, nos réalisations, nos projets et nos actions, tant les événements se sont enchaînés à une vitesse impressionnante. Nous n’en citerons que quelques-uns.

Le début de l’année a été marquée par l’affaire dite des “Soudanais”, qui a révélé la collaboration entre l’État belge et les autorités de Khartoum dans le cadre de l’expulsion de ressortissants soudanais. Le rapport du Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA), publié en février, a mis en exergue le fait que les autorités belges n’avaient pas fait le nécessaire pour s’assurer que les personnes expulsées du territoire ne subiraient pas de traitements inhumains et dégradants une fois débarquées de l’avion. Plutôt que de circonscrire cette affaire à la véracité des témoignages des victimes, il eut été remarquable de retenir qu’aux yeux du CGRA, nos autorités ont bien été – et restent – défaillantes au regard de leur obligations nationales et internationales.

En janvier, au terme de plusieurs mois de débats parlementaires, de résistance de la société civile et d’éclairages par des magistrats ou des policiers, le gouvernement fédéral a fini par renoncer à son projet de loi visant à permettre des visites domiciliaires dans les lieux d’hébergement des personnes en situation irrégulière, migrants en transit ou étrangers sans titre de séjour. Ne nous leurrons pas, les intentions politiques sont restées identiques et le projet ressortira des placards, en toute discrétion, à un moment probablement plus favorable à son adoption.

En février, nous avons assisté, estomaqués, à l’arrestation de plusieurs personnes en situation irrégulière, mais également d’artistes qui exposaient leurs œuvres dans les locaux de l’association culturelle bruxelloise Globe Aroma. L’effroi provoqué par ces arrestations a rassemblé des associations de secteurs divers et comptant parmi leurs bénéficiaires des personnes en situation irrégulière autour d’un large consensus, refusant que leurs services ou leurs manifestations ne soient utilisées par les autorités comme des occasions d’organiser de véritables rafles.

Mai 2018 restera à jamais marqué par la mort de Mawda Shawri, à l’âge de deux ans, tuée dans les bras de sa mère, à bord d’une camionnette transportant plusieurs migrants et prise en chasse par la police. Ce drame met en lumière l’aveuglement de nos dirigeants, pour qui tous les moyens semblent bons, ou à tout le moins justifiés, pour arrêter des migrants en transit, même un tir policier qui, cette fois-ci, toucha mortellement une fillette innocente.

Mai 2018 restera à jamais marqué par la mort de Mawda Shawri, à l’âge de deux ans, tuée dans les bras de sa mère, à bord d’une camionnette transportant plusieurs migrants et prise en chasse par la police.
Juin a vu les dirigeants européens décider, pour endiguer les flux migratoires, de procéder à une détention généralisée des migrants, demandeurs d’asile et réfugiés à l’intérieur des frontières européennes comme à l’extérieur. Tout est bon, nous le disions, pour lutter non pas contre les trafiquants mais bien contre les êtres humains qui migrent.

En août, la Belgique a franchi une ligne rouge supplémentaire en enfermant quatre enfants étrangers en séjour irrégulier. Une fratrie dont l’aîné était âgé de six ans et le plus jeune d’à peine un an. Leur mère, de nationalité serbe, n’avait pas respecté les ordres de quitter le territoire qui lui avaient été notifiés. Tant pis pour les enfants, qui ont bien malgré eux inauguré les unités de détention pour les familles du centre fermé 127 bis, en restant derrière les barreaux pendant la durée maximale prévue par la loi, soit 28 jours d’affilée. Ces premiers enfants détenus ont été rejoints, le jour de la rentrée scolaire, par d’autres. Pour le CIRÉ, la reprise de la détention des enfants étrangers en centre fermé n’est ni justifiable, ni acceptable. Nous ne cesserons de le répéter: on n’enferme pas un enfant, point.

En septembre, le gouvernement fédéral a “géré” le phénomène des migrants en transit non pas en mettant en œuvre des solutions humaines, mais en arrêtant et en détenant le plus grand nombre. Faisant fi de l’approche développée par les ONG et les citoyens, le gouvernement a méprisé la vulnérabilité des migrants en transit, pourtant originaires de pays dont les ressortissants sont souvent reconnus comme réfugiés. Dissuader les migrants plutôt que de tenter de les comprendre et de les protéger; détenir pour libérer ensuite, sans aucune prise en charge.

Cette année éprouvante s’est finalement terminée avec le départ de la N-VA du gouvernement fédéral, sur fond de dissensions autour du Pacte mondial des Nations unies sur les migrations. Nous aurions pu applaudir le fait que certains partis de la majorité campent sur nos principes fondamentaux, mais il était trop tard pour se réjouir, compte tenu des nombreux coups de canif assénés – et assumés – par les mêmes aux droits fondamentaux, qui devraient en principe être garantis à tous les êtres humains, étrangers, même en séjour irrégulier, compris.

Faisant fi de l’approche développée par les ONG et les citoyens, le gouvernement a méprisé la vulnérabilité des migrants en transit, pourtant originaires de pays dont les ressortissants sont souvent reconnus comme réfugiés.

Pour résister à ce climat politique nauséabond, le CIRÉ a œuvré pour expliquer l’inexplicable, dénoncer l’inacceptable et attaquer en justice l’injustifiable.

Nous avons remporté des victoires, mais elles ont été trop peu nombreuses. L’adversité a néanmoins permis de faire émerger une résistance riche et transversale, ralliant les acteurs et les secteurs. Pensons par exemple aux plus de 250 associations et collectifs qui se sont rassemblés autour du refus des rafles de personnes en situation irrégulière dans leurs locaux et lors d’activités qu’ils organisent. Songeons, aussi, aux citoyens qui sont restés mobilisés cette année pour rendre un peu de dignité aux migrants en transit.

Au CIRÉ, au-delà du travail politique et de la communication, nous avons organisé des activités riches, au jour le jour, pour permettre aux étrangers de construire leur avenir et de s’outiller pour affronter les difficultés qu’ils rencontrent en Belgique.

Notre école de français a accueilli plus de 400 apprenants étrangers, en cours de jour ou du soir, dans le cadre d’un parcours d’accueil ou simplement parce qu’ils souhaitaient apprendre le français. Notre service Travail, équivalences et formation a accompagné plus de 1.000 personnes désireuses de valoriser leurs compétences, acquis ou diplômes étrangers, afin de s’intégrer sur le marché de l’emploi. Plus de 200 personnes ont suivi des séances d’information de notre service Logement pour se lancer dans l’aventure de l’acquisition immobilière à travers un groupe d’épargne collective et solidaire. Enfin, 1.700 personnes ont été reçues par notre permanence sociojuridique pour des difficultés liées à leur situation administrative ou à leurs droits.

Le CIRÉ a œuvré pour expliquer l’inexplicable, dénoncer l’inacceptable et attaquer en justice l’injustifiable.

À la veille d’une importante échéance électorale, nous constatons que 2019 sera indéniablement l’année des choix. Le choix d’une nouvelle vision des migrations, le choix d’une réelle politique migratoire qui dépasse les idées reçues, le choix d’en finir avec l’épouvantail de “l’appel d’air”, le choix de rompre avec la peur irrationnelle des migrations.

Les citoyens sont à l’évidence de plus en plus mobilisés autour de causes et de combats qui leur sont chers, qu’il s’agisse d’adopter une politique ambitieuse pour s’attaquer au dérèglement climatique ou de refuser un système politique et économique qui peine à protéger les individus qui travaillent et s’appauvrissent malgré tout. Gageons que dans les urnes, les citoyens enverront aussi un signal fort par rapport aux migrations, celui du refus que la Belgique poursuive une politique basée sur une vision aussi étriquée des migrations, des exilés et des étrangers.

Sotieta Ngo
Directrice générale du CIRÉ

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