Quelle stratégie nationale pour l’intégration des roms?

À l’instar de tous les États européens, la Belgique devait rendre à la Commission européenne un plan stratégique d’intégration des Roms. Mais on connaît peu de ce plan, encore en gestation. S’agira-t-il d’une coquille vide ou d’une série d’actions concrètes? Dans ce cadre, un nouvel acteur s’apprête à émerger: un Conseil national des Roms… qui fait grincer quelques dents.

La Belgique devait rendre sa copie le 31 décembre 2012. Mais elle est en retard. Changement de gouvernement oblige. La Commission européenne attendra. Car la stratégie belge pour l’intégration des populations roms est encore à l’état d’esquisse.

C’est au mois de mars 2011 que les institutions européennes ont pris de nouvelles mesures pour les Roms. Une réaction suite aux expulsions en masse qu’avait organisées la France de Nicolas Sarkozy. Le Parlement européen, d’abord, se manifestait en réclamant qu’on prenne la “problématique roms” à bras le corps et qu’on respecte leurs droits fondamentaux. Car il n’y a pas que la France qui est montrée du doigt. Dans l’Europe entière, et plus particulièrement dans certains pays de l’Est, les Roms sont victimes de discriminations ou, pire, de persécutions. La Commission européenne a embrayé en présentant son “Cadre pour les stratégies nationales d’intégration des Roms”, avec quatre grands objectifs: l’accès à l’éducation, au travail, aux soins de santé et au logement. Quant aux États, ils n’ont, pour une fois, pas ralenti le mouvement. Au contraire, dès le mois de juin, ils se sont engagés à présenter des stratégies nationales pour la fin de l’année.

En Belgique, il a fallu réunir les Régions, les Communautés, le Fédéral, les associations de Roms et de Gens du voyage, les associations de défense des droits des étrangers en un grand groupe de travail. Le tout sous l’égide de Philippe Courard, alors Secrétaire d’État à l’Intégration sociale. Léger avantage comparatif de la Belgique: un tel groupe avait été monté avant que l’Union européenne ne le réclame. Le cabinet de Philippe Courard a souhaité, non sans fierté, insister sur ce point: “La Belgique n’a pas attendu la stratégie de l’Union européenne pour agir, expliquait Pascale Lambin, alors conseillère du Secrétaire d’État. Il y a des actions sur le terrain, menées par les Régions, depuis longtemps. Et au niveau fédéral, Philippe Courard a toujours été sensible au destin des Roms. C’est un sujet qui avait été mis à l’agenda européen dans le cadre du trio de présidence Belgique-Espagne-Hongrie“.

Une politique “ethnique”?

Des deux réunions du groupe de travail est sorti un plan stratégique provisoire. Puis, l’ambiance procrastination de “fin d’affaires courantes” suivie de la mise sur pied de l’équipe de Maggie De Block, désormais en charge de cette compétence, font qu’aujourd’hui, le plan stratégique semble laissé entre parenthèses.

Comme dans les grandes batailles, élaborer une “stratégie” nécessite une réflexion approfondie, une analyse poussée des forces et des faiblesses avant de passer à l’action. Mais dans ce cas-ci, il semble que les stratèges aient quelque peu négligé cet aspect des choses. Il n’existe pas vraiment d’étude complète et sérieuse sur les problématiques roms, nous souffle-t-on au CIRÉ. Il faut dire que parler des Roms et leur consacrer des politiques particulières, donc sur une base “ethnique” – car “Rom” n’est évidemment pas une nationalité – peut susciter de l’embarras. D’où l’impression de flou qui pouvait régner lorsque le cabinet de Philippe Courard accepta de répondre à nos questions.

Une valse-hésitation entre général et particulier qui pourrait expliquer le faible nombre de mesures concrètes prévues dans les ébauches de plan stratégique.

Pascale Lambin déclarait: “Avec les Roms, on est bien dans le cadre de différentes politiques générales. Les législations qui s’appliquent à eux, s’appliquent à tout le monde. D’abord, il faut reconnaître l’absence d’étude objective sur la situation. Mais les statistiques ethniques ne sont presque pas possibles. On reconnaît qu’il y a une discrimination des Roms, mais on doit faire attention à tout le monde. Avec ce plan, il s’agit de prendre des mesures spécifiques dans le cadre de politiques générales qui touchent des populations fragilisées. Prendre des mesures pour les Roms sans qu’elles soient exclusives”. Une valse-hésitation entre général et particulier qui pourrait expliquer le faible nombre de mesures concrètes prévues dans les ébauches de plan stratégique.

Quelles mesures pour quels Roms?

Un plan stratégique d’intégration des Roms. Pourquoi pas. Mais sait-on vraiment de qui l’on parle? “De tout le monde, nous rassurait Pascale Lambin. Nous nous référons à la définition de l’Union européenne. Les Gens du voyage, les Roms, les Manouches sont concernés.” Les discussions, lors des deux réunions du groupe de travail, ont eu lieu sans tabou, affirmait la conseillère: “Nous avons abordé les sujets du logement, du séjour, du permis de travail, des conditions qui font que leur intégration serait plus facile”. Si elle admettait volontiers que le public visé était assez large, Pascale Lambin ajoutait que “les Roms qui arrivent des pays de l’Est préoccupent davantage le Secrétaire d’État à l’Intégration sociale”.

Et les mesures concrètes? Pascale Lambin estimait en décembre qu’il était trop tôt pour en parler, avant d’avancer quelques pistes: “Il faut déjà savoir que ce plan devrait être un cadre global, une coordination des différents niveaux de pouvoir pour avoir un impact sur ces populations. Il y a néanmoins quelques pistes concrètes inspirées de bonnes pratiques. Il y a comme projet de permettre à des CPAS d’embaucher des médiateurs à visée d’intégration socioprofessionnelle pour les Roms. Des communes ont déjà répondu. Il y a aussi un Helpdesk Roms qui sera créé au sein de l’administration de l’Intégration sociale pour répondre aux demandes des communes ou des CPAS”. Enfin, la conseillère fait référence à la nécessaire représentation des Roms. Le Conseil national des Roms (voir encadré) jouera le rôle d’interlocuteur de référence.

Avouons-le: il y a peu à se mettre sous la dent. Le plan stratégique est encore à faire. Mais tout de même: chaque pays européen aura bientôt son plan d’intégration des Roms. Reste à voir si ces plans ne seront que des coquilles vides ou plutôt des sources d’inventivité. En Belgique, pour en savoir plus, il faudra attendre que Maggie De Block commence à s’exprimer.

Un conseil national des roms

C’est au cours du premier trimestre 2012 que va naître le Conseil national des Roms. Ou le Conseil des Roms, Sinti et Gens du voyage. On ne sait pas très bien. Ce que l’on sait, c’est qu’il s’agira d’une association coupole censée représenter les Roms. On sait aussi que depuis que Joëlle Milquet l’a appelé de ses vœux, ce Conseil se constitue, malgré les polémiques.Une ONG européenne, Erio (European Roma information office), spécialisée dans le lobby de la cause rom, a la lourde tâche de mettre sur pied ce Conseil national.
 
Le Conseil a beau n’être encore qu’en gestation, certains n’hésitent pas à le critiquer. Des associations comme le Comité national des Gens du voyage ont jugé d’un mauvais œil cet ensemble hétéroclite que devrait constituer le Conseil. Entre un membre de la communauté des Gens du voyage, de nationalité belge, sur le territoire depuis sa naissance et un Rom demandeur d’asile fuyant la Slovaquie, quels points communs, interpellent-ils? D’autres y ont vu une action de la société civile téléguidée par le politique.
 
Du côté du cabinet de Joëlle Milquet, désormais à l’Intérieur, on préfère botter en touche et renvoyer vers Erio. Ivan Ivanov est directeur exécutif de l’association. Il défend mordicus ce projet qui est, selon lui, “issu de la société civile”. Car, explique-t-il, “beaucoup d’organisations locales de Roms en Belgique ont voulu ce Conseil pendant longtemps. Ce n’est pas l’initiative de Joëlle Milquet, mais bien notre initiative, qu’elle a soutenue”. Le but d’une telle association est, aux yeux du directeur d’Erio, essentiel: “Il s’agit de trouver des solutions, de faire de la médiation, de coopérer, de conseiller le gouvernement”. Quant au public que ce Conseil devra représenter, il sera le plus large possible. “Il y aura des Roms de différents pays, mais aussi des Gens du voyage”, dit-il. Une précision qui n’est pas anodine, car les critiques les plus virulentes ont justement été émises par des associations de Gens du voyage. Son discours s’adresse donc à eux, tout particulièrement. “Certes, les Gens du voyage ont des problèmes particuliers, liés au style de vie, au nomadisme, dit-il. Mais au fond, tous souffrent des mêmes discriminations. Les enjeux sont les mêmes: l’accès aux soins, à l’éducation, au logement…”
 
Face à cette crise de légitimité, Ivan Ivanov aime à rappeler que ce Conseil est “issu de la base”. Mais surtout, il s’appuie sur l’initiative européenne qui demande aux États de concevoir leurs plans stratégiques nationaux en dialogue avec des organes de représentation des Roms. CV

 

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