Il ne s’agit pas ici de questionner l’intégration des personnes issues de l’immigration dans la vie politique mais plutôt de renverser la perspective en interrogeant la façon dont les partis politiques les intègrent dans l’appareil. Lorsqu’on aborde le concept controversé d’intégration, l’angle d’analyse est souvent orienté vers les personnes d’origine étrangère et moins vers la responsabilité des organisations pour les incorporer dans les instances exécutives ou décisionnelles.
Il est vrai qu’en Belgique, et plus particulièrement à Bruxelles, la représentation politique des minorités ethnoculturelles est clairement inédite. Contrairement à d’autres pays européens, la Belgique est un modèle en matière de participation politique des citoyens issus d’horizons multiples. Grâce à plusieurs facteurs institutionnels, démographiques et associatifs1, les assemblées parlementaires reflètent assez bien la diversité des populations qui composent le pays. Mais si on examine de plus près l’effectivité de cette représentation, quels sont les éléments que nous pouvons en tirer?
Les élus dits “de la diversité” sont souvent soumis, à des degrés divers, à une vague de suspicion mettant en doute leur loyauté. Les paradoxes se présentent dès la confection des listes électorales. En effet, on sait bien que le premier intérêt des partis pour intégrer des “candidats d’origine” est lié à la volonté de maximiser le nombre de voix. Et ce serait faire un faux procès aux partis politiques de remettre en cause cette stratégie. Le problème est la traduction de ces voix en termes de répartition du pouvoir.
On constate que malgré des scores significatifs, les postes attribués ne répondent pas toujours au résultat électoral. Il faut souligner l’extraordinaire évolution ces dernières années dans l’attribution des postes exécutifs à des Belges aux origines diverses (la désignation de Fadila Laanan comme Ministre de la culture est un bel exemple, mais il ne s’est pas fait sans appréhension de la part des tenants de la haute culture). Cela étant, il y a encore de fortes résistances à envisager un bourgmestre d’origine marocaine, une échevine avec un foulard ou un Ministre-président d’origine turque…
Les élus dits “de la diversité” sont souvent soumis, à des degrés divers, à une vague de suspicion mettant en doute leur loyauté. Les paradoxes se présentent dès la confection des listes électorales
Pourtant, ces élus sont souvent prisonniers de l’assignation identitaire alors qu’ils veulent en sortir. On assiste à un exercice complexe de va-et-vient en termes d’engagement politique. Lorsqu’on les interroge, c’est malheureusement très souvent sous le prisme des questions liées à leurs appartenances culturelles. Avec toujours ce présupposé : sont-ils au service de leur communauté d’origine ou de l’intérêt général?
Certains élus travaillent sur des thématiques portant sur l’économie, l’énergie ou l’environnement, avec une volonté claire de ne pas s’engager sur des questions directement liées à leur communauté d’origine, mais ils ont parfois du mal à être reconnus dans ces thématiques. D’autres vont plutôt jouer la carte communautaire, en investissant les débats culturels ou identitaires. Et puis, il y a ceux qui souhaitent sortir de cette logique exclusivement ethnique tout en faisant de leurs spécificités culturelles et sociales une plus-value dans leur engagement politique.
Dans tous les cas, il y a une difficulté qui se pose en termes de reconnaissance et de légititimité, à deux niveaux. D’une part au niveau intra-communautaire, où les élus sont souvent taxés de “vendus”, de “khobzistes”2, d’Arabe ou Turc de service. D’autre part, au niveau extra-communautaire, où les élus doivent faire plus d’efforts pour être reconnus pour leurs compétences et non uniquement pour leur poids électoral.
C’est à ce double défi que doivent répondre les élus d’origine étrangère. Un défi de reconnaissance et de légitimité pour ce qu’ils sont et pas uniquement pour les voix qu’ils rapportent. En réalité, le véritable challenge porté par l’intégration, loin de s’adresser aux personnes issues de l’immigration, n’est-il pas plutôt celui de l’intégration dans les mentalités des évolutions sociologiques et démographiques de la société?