Pénurie de professionnel·le·s des soins de santé

Un manque qui pourrait être comblé

Tandis qu’un besoin structurel de personnel s’exprime dans le secteur des soins de santé, des centaines de personnes migrantes, professionnelles de la santé, diplômées à l’étranger et pleinement disposées à répondre à l’appel ont toutes les peines du monde à faire reconnaitre et à exercer leurs qualifications en Belgique. Un paradoxe interpellant pour le CIRÉ, qui s’explique par une inadéquation des politiques d’équivalence de diplômes et de séjour, au regard des réalités et des besoins de notre société. Un paradoxe qui coûte cher, tant pour les personnes privées de reconnaissance, que pour le personnel soignant épuisé, et pour tout·e citoyen·ne ayant besoin d’être soigné·e.

Une pénurie structurelle qui se renforce

Le manque de personnel dans le secteur des soins de santé et les difficiles conditions de travail qui y règnent sont loin d’être nouveaux1. La crise sanitaire actuelle a exacerbé ces problématiques, désormais sous le feu des projecteurs. Des moyens supplémentaires ont été mis sur la table, mais pas assez, dit-on, et sans résoudre la pénurie à la fois structurelle et criante. Dans de nombreux hôpitaux, maisons de repos et autres établissements de soins, on dit être sur les genoux. Au plus fort de la crise, on a même dû faire appel à des bénévoles – tous profils confondus – pour tenir le coup et continuer à assurer le service minimum.

Des professionnel·le·s empêché·e·s d’exercer

Pendant ce temps, le CIRÉ reçoit quotidiennement des infirmier·e·s, des aides-soignant·e·s, des médecins, des kinésithérapeutes, des dentistes, des pharmacien·ne·s, des laborantin·e·s… qui ont été formé·e·s en dehors de l’Europe, vivent en Belgique, mais sont dans l’impossibilité d’exercer leur métier parce qu’ils/elles ne parviennent pas à faire reconnaitre leur diplôme et, pour certain·e·s, parce qu’on leur refuse l’accès au marché du travail.

La plupart de ces personnes ont le droit de séjourner et de travailler en Belgique, mais elles ne parviennent pas à faire reconnaitre leur diplôme auprès de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB). L’administration en charge des équivalences de diplôme en Belgique francophone prévoit en effet une procédure très exigeante, et se montre intransigeante dans l’examen des dossiers.

Pour certaines de ces personnes, à l’impossible reconnaissance du diplôme s’ajoute l’absence d’un titre de séjour. Bien qu’elles soient souvent en Belgique depuis de nombreuses années et que leur profil professionnel s’avère très utile sur notre marché de l’emploi, ces personnes sans papiers ne parviennent pas à se faire régulariser, en raison des conditions extrêmement strictes du séjour par le travail et de l’absence – déjà décriée par ailleurs – d’une réelle politique de régularisation.

Toutes ces personnes ont le projet de trouver un emploi en Belgique et ne demandent qu’à venir en renfort de notre système de santé, a fortiori en ces temps de crise. Elles sont nombreuses à être venues pallier le manque de personnel soignant, tantôt en s’engageant comme bénévole au plus fort de la crise sanitaire, tantôt en travaillant en noir au chevet d’une personne malade ou âgée. Leurs compétences et leur ferme motivation ont parfois débouché sur une promesse d’embauche d’employeur·euse·s sérieux·ses, à condition bien sûr d’obtenir le droit de séjour et l’équivalence de leur diplôme.

Quelques chiffres

En 2020, dans le cadre de sa mission d’accompagnement aux équivalences de diplôme et d’information sur le permis de travail, le CIRÉ a rencontré pas moins de 136 personnes ayant un diplôme dans les soins de santé : médecins, infirmier·e·s, aide-soignant·e·s, dentistes, kinésithérapeutes, technologues médicaux·les, psychologues, pharmacien·ne·s, diététicien·ne·s…

La grande majorité d’entre elles n’étaient pas européennes. Les Européen·ne·s ne sont pas concerné·e·s par la problématique, puisqu’ils·elles ont d’office accès au marché de l’emploi belge et n’ont pas besoin de l’équivalence de diplôme (la demande d’agrément suffit2).

75% de ces personnes étaient en séjour légal en Belgique. Toutes avaient l’objectif de trouver un emploi stable, idéalement dans leur domaine professionnel. Les autres 25%, souhaitaient également trouver un emploi, mais n’avaient pas de titre de séjour stable, étant soit sans-papiers, soit en demande d’asile.

En 2019, nous avions rencontré un nombre à peu près équivalent – soit une centaine – de personnes dans cette situation. Et pour 2021, déjà pas moins de 90 personnes (dont 80 de nationalité non européenne) dans cette situation ont été rencontrées entre janvier et août.

Là où ça coince

Pour toutes ces personnes qui ont mené leurs études en dehors de l’Europe, l’obstacle commun et principal se situe au niveau de la reconnaissance académique de leur diplôme. La Fédération Wallonie-Bruxelles applique en la matière une réglementation non seulement coûteuse, mais aussi particulièrement complexe, exigeante et rigide quant aux documents à fournir et au format requis pour ces documents, et aux similarités entre le programme d’études suivi et ceux qui existent en Belgique, a fortiori dans le domaine de la santé. Le moindre écart ou manquement au dossier justifie un simple refus d’équivalence spécifique – c’est-à-dire qui reconnait les qualifications liées au diplôme. Or, sans l’équivalence spécifique du diplôme, il est impossible d’obtenir l’autorisation d’exercer une profession médicale ou paramédicale auprès du Ministère de la Santé.

Dès lors, les demandes d’équivalence de diplôme dans le domaine des soins de santé donnent en général lieu à des résultats très décevants. D’après notre expérience, il est quasi impossible d’obtenir la reconnaissance spécifique d’un diplôme non européen d’infirmier·e ou de médecin auprès des services d’équivalence de diplôme de la FWB. Les personnes auxquelles la reconnaissance des qualifications est refusée sont invitées à reprendre leur formation – parfois depuis le début -, ou à chercher un emploi dans un autre domaine. Certaines se résoudront à aller exercer leurs qualifications dénigrées en noir, auprès de particuliers, avec tous les risques que cela implique pour les deux parties. S’agissant d’un domaine professionnel à juste titre très réglementé, ces exigences de l’administration ont sans doute leur part de légitimité, mais elles nous semblent à certains égards démesurées, d’autant plus au vu des limites auxquelles le système de santé belge fait face aujourd’hui.

Autre élément interpellant, la procédure du côté néerlandophone est nettement plus clémente sur les plans administratif (de simples copies suffisent, envoi du dossier via email) et financier (gratuité accordée à de nombreux publics). Elle donne aussi des résultats plus favorables, en particulier pour les diplômes dans les soins de santé. En effet, le CIRÉ a observé, dans les décisions du NARIC-Vlaanderen, la reconnaissance d’une partie, voire pour certains dossiers de la totalité des qualifications présentées par des personnes ayant étudié en dehors de l’Europe : reconnaissance d’un master en médecine, d’un « graduaat » en soins infirmiers…  Lorsqu’il considère ne pas pouvoir reconnaitre complètement le diplôme présenté, le NARIC-Vlaanderen examine la possibilité d’accorder une équivalence spécifique de niveau inférieur, comme hygiéniste dentaire à défaut de dentiste, ou aide-soignant·e/infirmier·e A2 à défaut d’infirmier·e A13, ce qui permet à la personne de voir une partie de ses compétences reconnues et de continuer à travailler dans son domaine professionnel. L’écart notable de pratiques observé entre la FWB et la Communauté flamande nous a amené·e·s en 2020, à orienter près de la moitié des personnes rencontrées ayant un diplôme dans les soins de santé vers la procédure proposée par le NARIC.

Le NARIC-Vlaanderen n’acceptant que les demandes des personnes résidant ou se projetant professionnellement en Communauté flamande (y compris Bruxelles), les infirmier·e·s et médecins qui résident en Wallonie n’ont en principe accès qu’à la procédure proposée par la FWB et se voient de facto exclues de toute reconnaissance spécifique.

Pour les personnes n’ayant pas de titre de séjour stable, s’ajoute à l’impossible reconnaissance du diplôme l’interdiction d’accès au marché du travail. La législation belge prévoit des conditions très strictes et restrictives d’accès au séjour par le travail, qui empêchent toute personne déjà présente sur le territoire d’accéder au séjour pour ce motif. La récente mobilisation et la grève de la faim de personnes sans papiers à l’église du Béguinage et dans deux universités bruxelloises a en outre mis en exergue les limites de la politique de régularisation belge, et le désespoir des personnes coincées dans cette situation de non droit.

Enfin, la situation des demandeur·euse·s d’asile est particulière, car l’accès au marché de l’emploi leur est ouvert à partir de quatre mois de procédure (sans décision négative du CGRA). Mais décrocher un contrat de travail avec un titre de séjour dont la validité est limitée à trois mois est dans les faits très compliqué. S’ajoute pour ce public spécifique et pour les personnes reconnues réfugiées, la difficulté d’entrer en contact avec les autorités de leur pays d’origine pour obtenir les documents nécessaires au dossier d’équivalence, soit parce que ces dernières sont injoignables, soit parce que les contacter pourrait représenter un danger.

Des obstacles qui coûtent cher

Pour les personnes directement concernées, l’impossibilité de faire reconnaitre leur diplôme signifie renoncer à un métier parfois exercé depuis de longues années, ou accepter de l’exercer dans la clandestinité, donc sans aucune reconnaissance ni sécurité.  Cela peut aussi signifier devoir reprendre des études – parfois depuis le début -, se résigner à accepter un emploi moins qualifié et moins rémunéré, mettre à rude épreuve son estime de soi… Dans tous les cas, avoir le sentiment de ne pas être reconnu·e, accepté·e par la société d’accueil.

L’impossibilité d’intégrer sur le marché de l’emploi des professionnel·le·s de la santé parce qu’ils/elles ont été formé·e·s en dehors de l’Europe est un gaspillage de compétences disponibles, un manque de réalisme face aux besoins de notre marché de l’emploi et une occasion manquée de réduire le taux de chômage. Elle maintient notre système de santé en situation périlleuse et adresse un message lourd de sens à l’égard des populations migrantes. Elle marque aussi un pas de côté (ou en arrière) en termes d’insertion, de cohésion sociale et de vivre ensemble.

Quelle société voulons-nous?

Qu’est-ce qui retient la Belgique de se donner les moyens et prendre les mesures qui s’imposent, pour mettre à profit des qualifications nécessaires à notre système de santé, ainsi qu’à tout·e citoyen·ne qui y fait appel?

Une naïve absence de vision? Un manque grave de réalisme et de sens pratique? Un protectionnisme économique poussé à l’extrême? La tentation de ne pas froisser certaines idéologies xénophobes? La production indirecte d’une main-d’œuvre malléable et très bon marché?

Le CIRÉ appelle à la recherche de solutions qui permettraient à tou·te·s ces professionnel·le·s des soins de santé qui ont été formé·e·s à l’étranger d’être reconnu·e·s et de mettre enfin leurs qualifications au service de la société belge.

Souhaitons-nous une société de la participation et de l’égalité des chances, ou une société de l’exclusion, à double voire triple vitesse? La réponse à cette interrogation devrait nous aider dans les choix à poser, les approches à adopter, les portes à ouvrir. Et, pourquoi pas, nous permettre d’innover, tant sur le plan de la reconnaissance des diplômes et de l’accès aux métiers réglementés, que sur le droit de séjour par le travail.

L’analyse au format PDF

1// Le CIRÉ avait déjà publié un article sur cette thématique, abordée cependant sous un tout autre angle, en 2012, sur base d’une analyse de la Fondation Roi Baudouin: https://www.cire.be/migrations-recruter-des-medecins-et-des-infirmieres-a-l-etranger-pour-faire-face-a-la-penurie/

2// Cf. Directive européenne 2005/36/CE relative à la reconnaissance de qualifications professionnelles.

3// En FWB par contre, la division de l’administration des équivalences de diplômes en deux services distincts -l’un pour l’enseignement secondaire, l’autre pour l’enseignement supérieur-, exclut la possibilité de reconnaitre le titre d’aide-soignant·e ou d’infirmier·e breveté·e (niveau secondaire) à quelqu’un disposant d’un bachelier en soins infirmiers (niveau supérieur).

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