Migrations: recruter des médecins et des infirmières à l’étranger pour faire face à la pénurie?

L’Office européen de statistiques (Eurostat) annonce que la population résidant en Belgique passera de 11 millions à près de 13,5 millions d’ici à 2060. À ce moment-là, les personnes de plus de 65 ans représenteront près de 25% de la population. Ce vieillissement posera des défis inédits sur le marché du travail mais aussi dans le secteur de la santé.

La Belgique manque-t-elle de personnel soignant? Ce sujet revient régulièrement à la une de l’actualité. “Pénurie de 120 000 infirmières!”, c’est le titre choisi par Het Nieuwsblad dans son édition du 28 mars 2011. Même si l’on comprend rapidement dans le cours de l’article qu’il s’agit en fait d’une pénurie de 120 000 prestataires de soins, et pas seulement des infirmières, le titre fait mouche.

En fait, le débat sur les pénuries actuelles et futures dans le secteur de la santé en Belgique dure déjà depuis quelque temps. Si diverses projections semblent indiquer que la Belgique ne devrait théoriquement pas manquer d’infirmiers, dans la pratique toutefois bon nombre de maisons de soins et de repos ainsi que d’hôpitaux souffrent réellement d’un manque de personnel au point parfois de compromettre le bon fonctionnement de l’institution.

La population vieillit, le nombre d’inactifs augmente, y compris dans le secteur des soins de santé et de l’aide aux personnes. Le nombre de jeunes diminuant, il peut y avoir des problèmes pour garantir une arrivée suffisante de main-d’œuvre nouvelle sur le marché de l’emploi. Certaines professions se retrouvent ainsi en pénurie. C’est le cas du personnel infirmier – infirmière services d’urgence et infirmière soins palliatifs – gradué-e –, au point que d’après le VDAB, l’organisme chargé de l’emploi et de la formation en Flandre, seuls 3,7% des professionnels de la santé et 1% des infirmiers et infirmières ont éprouvé des difficultés à trouver un emploi un an à peine après la fin de leurs études.

Les principaux pays où l’on recrute du personnel médical sont la Pologne et la Roumanie en Europe, les Philippines et le Liban en dehors des frontières européennes. Dans la plupart des cas, il ne s’agit que de quelques dizaines d’infirmiers et infirmières par an.

Que faut-il penser? Ce qui est clair, c’est que la société évolue. Les besoins augmentent, l’arrivée de jeunes travailleurs sur le marché de l’emploi ne suffit pas pour l’instant à compenser les départs à la retraite, y compris dans le secteur de la santé. La population belge vieillit et son taux de dépendance s’accroit.

Recruter du personnel soignant à l’étranger?

On propose généralement trois pistes pour combler les pénuries : (1) accroître l’attractivité du métier, (2) mener une politique active de recrutement dans le réservoir de main-d’œuvre et (3) recruter du personnel à l’étranger. Jusqu’ici, la politique belge s’est principalement concentrée sur les deux premières pistes. La troisième soulève plusieurs questions, qu’il s’agisse de l’impact de cette migration sur les pays d’origine ou de son incidence sur la société d’accueil ainsi que sur le personnel médical migrant lui-même. Dans ce domaine, certains mythes ont vu le jour, comme celui qui prétend qu’il y aurait aux Philippines une pléthore d’infirmières qualifiées formées pour partir à l’étranger et que ce pays ne souffrirait donc pas d’une pénurie dans le secteur des soins de santé. La première affirmation est exacte, la seconde ne l’est pas.

En Belgique, le recrutement international de professionnels de la santé se fait encore sur une échelle relativement petite mais il progresse depuis quelques années. Ce n’est que depuis très peu de temps que des bureaux de recrutement ont commencé à développer des activités dans ce domaine. Bien que ce recrutement international n’en soit encore qu’à ses balbutiements et que certains bureaux n’en soient toujours qu’à la phase pilote, plusieurs établissements de soins (comme les Cliniques de l’Europe à Bruxelles) font déjà état d’expériences positives. Ces bureaux fournissent souvent des services sur mesure et se chargent, à des degrés divers, de faciliter l’intégration du ­travailleur dans la société belge, notamment par des cours de langue et l’accomplissement de formalités administratives.

Les principaux pays où l’on recrute du personnel médical sont la Pologne et la Roumanie en Europe, les Philippines et le Liban en dehors des frontières européennes. Dans la plupart des cas, il ne s’agit que de quelques dizaines d’infirmiers et infirmières par an.

Un recrutement qui ne va pas de soi

Les principaux problèmes posés par l’arrivée de ces nouveaux travailleurs sur notre marché de l’emploi concernent les différences linguistiques et culturelles, les différences de contenu des fonctions, le mal du pays dont souffrent les nouveaux arrivés et la question cruciale de la reconnaissance académique des diplômes.

Aujourd’hui, la plupart des médecins et infirmiers d’origine étrangère actifs en Belgique possèdent un diplôme belge. Seuls quelque 30% des quelque 8000 médecins et 15% des quelque 9200 infirmiers et infirmières nés à l’étranger ont obtenu leur diplôme à l’étranger. Les autres sont actifs sur la base de diplômes acquis en Belgique. Ainsi, sur le nombre total de médecins et d’infirmières, seuls 5% des premiers et 1% des secondes ont été diplômés à l’étranger. Bien que l’immigration d’infirmières et de médecins étrangers soit en hausse, les flux en provenance de pays non européens restent encore relativement faibles – surtout par comparaison avec des pays comme le Royaume-Uni.

Quoi qu’il en soit, le recrutement de personnel médical qualifié pose un certain nombre de questions éthiques. L’excédent global de main-d’œuvre dans le Sud n’empêche pas un manque réel de personnel qualifié sur le marché de l’emploi dans les pays d’origine. Dans un rapport de 2006, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime ainsi qu’il manque 4,3 millions de professionnels de la santé dans le monde. Elle cite 57 pays qui souffrent d’un déficit critique dans ce domaine, dont 36 en Afrique subsaharienne.

Certes, l’émigration de travailleurs hautement qualifiés peut, dans une certaine mesure, être un atout pour le pays d’origine en termes de rentabilité économique et sociale. Les migrants qui ont réussi à faire carrière à l’étranger créent des opportunités pour ceux qui sont restés sur le marché local de l’emploi – puisqu’ils réduisent la concurrence – et leur réussite peut inciter les générations suivantes à acquérir les compétences nécessaires pour suivre leur exemple. La perspective d’aller travailler à l’étranger pour un meilleur salaire et dans de meilleures conditions peut aussi inciter davantage de jeunes à entamer des études supérieures. Si ces jeunes diplômés sont ensuite plus nombreux à rester au pays à l’issue de leurs études, cela élève le niveau général de qualification.

En outre, cet effet positif de l’émigration suppose que le pays d’origine continue à disposer d’un minimum de travailleurs qualifiés, ce qui n’est généralement pas le cas pour le personnel médical. S’il n’y a personne pour remplacer les professionnels qualifiés qui quittent le pays, on peut difficilement considérer que la communauté locale en tire un avantage.

La situation varie donc d’un pays, voire même d’une région à l’autre. Pour certains pays, comme les petits États insulaires de Micronésie, la situation est tout simplement dramatique. L’émigration du personnel infirmier d’un grand nombre d’îles du Pacifique et des Caraïbes constitue une véritable perte pour ces pays. Aux Philippines, ce mouvement s’inscrit plutôt dans la stratégie d’exportation de main-d’œuvre développée par le gouvernement philippin. Les Philippines sont souvent citées comme exemple d’un pays qui réussit à utiliser ce “marché” de l’exportation de personnel qualifié (brain business) au bénéfice de son secteur académique et qui se sert de ce moyen pour attirer de l’argent et renforcer ses connexions internationales. Mais les pays qui se sont lancés dans cette voie souffrent également de pénuries de personnel et des mouvements sociaux philippins, soutenus dans le monde industrialisé, tirent aujourd’hui la sonnette d’alarme

Pas de recrutement sans code de bonne conduite

Dans un marché où les rapports de pouvoir sont inégaux, le plus faible est toujours désavantagé. Les pays industrialisés peuvent remédier à cela en adoptant un code de bonne conduite pour éviter la pénurie de personnel soignant dans le pays d’origine.

Au cours de la dernière décennie, certains pays ont élaboré un tel code éthique pour le recrutement de personnel médical dans les pays en développement. La Commission européenne fait pour sa part également pression pour favoriser ce recrutement éthique et les partenaires sociaux européens actifs sur le terrain en ont développé un de leur côté. Un certain nombre d’initiatives prises dans ce domaine se réfèrent systématiquement à des débats en cours au sein de l’OMS. Celles-ci ont clairement pris forme au début 2010 avec l’adoption d’un code de conduite de l’OMS lors de la World Health Assembly. Ce code fournit un modèle qui permet d’alimenter le débat dans le contexte belge. En effet, il intègre aussi bien les intérêts des pays d’origine, des pays de destination et des migrants individuels que le rôle des pouvoirs publics, des employeurs et des intermédiaires comme les bureaux de recrutement.

S’il n’y a personne pour remplacer les professionnels qualifiés qui quittent le pays, on peut difficilement considérer que la communauté locale en tire un avantage.

Dans les faits, on compte 23,7 médecins praticiens par 10 000 habitants soit un chiffre nettement inférieur au taux de 40 médecins praticiens par 10 000 habitants basé sur un total théorique de 40 000 médecins. De plus, il s’agit là d’une moyenne qui ne tient pas compte des grandes disparités géographiques.

En outre, suite à l’augmentation du nombre de médecins entre les années 1970 et 1990, un système de contingentement a été mis en place. Durant toutes ces années, seule une partie des nouveaux diplômés a eu accès à l’exercice de la profession. À cela s’ajoute une autre tendance : le nombre de médecins praticiens n’a cessé de diminuer alors que l’on constate une stabilisation du nombre de spécialistes.

Pour le personnel infirmier aussi, il est très difficile de se faire une idée exacte du nombre total de personnes qui travaillent dans le secteur des soins de santé. On peut lire dans le rapport de la Fondation Roi Baudoin que l’une des principales causes de ce problème est liée au suivi de l’enregistrement des infirmiers et infirmières. Lorsque ceux-ci achèvent leurs études et entament leur carrière, le SPF Santé publique les enregistre dans leur lieu d’implantation. “Cet enregistrement était valable trois ans et devait être renouvelé à l’issue de cette période. Mais pour des raisons pratiques, administratives et financières, cela n’a plus été fait depuis le début des années 1980, avec pour conséquence que l’on ne connaît plus le nombre d’infirmiers qui exercent effectivement ce métier”, indique ce rapport. Pourtant, le métier d’infirmier est depuis 2000 une fonction critique par excellence.

Certains secteurs des soins de santé sont réellement confrontés à un manque de personnel qualifié, comme en atteste le nombre d’offres d’emploi non satisfaites dans différents établissements. “Parmi les principales raisons à cela, il y a le fait que beaucoup d’infirmiers et d’infirmières travaillent à temps partiel et font preuve de peu d’enthousiasme pour travailler dans le secteur du troisième âge, notamment dans des maisons de repos”. Or, la demande de personnel dans les soins gériatriques ne fera qu’augmenter sous l’effet du vieillissement de la population. Sans oublier que la demande de soignants est aussi grande dans le secteur des soins lui-même. On peut s’attendre à ce qu’elle augmente notamment dans le secteur des soins à domicile, en raison du vieillissement de la population.

Extraits de “La migration: la solution aux pénuries de personnel dans le secteur des soins et de la santé?”, Fondation Roi Baudouin 2011.
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