Introduction
La réforme du Code de la nationalité belge (CNB) de 2012, qui insère l’intégration sociale comme condition d’accès à la nationalité, a entraîné un véritable changement de vision.
Cette analyse aborde l’accès à la nationalité sous l’angle de l’intégration d’un point de vue historique, et revient sur les modifications législatives concernant la condition d’intégration sociale dans les déclarations de nationalité. Elle vise aussi un décryptage critique de la décentralisation de cette politique et de l’éclatement des pouvoirs (au niveau des communes, parquets, ou centres régionaux et bureaux d’accueil) dans les procédures de déclaration de nationalité, les différences de traitement par les services et autorités concernés et les changements significatifs liés à la compétence des parquets dans la procédure.
Avant 1984: la nationalité sans code
Sous l’Ancien Régime, c’est le Jus sanguinis (critère de la filiation selon lequel un enfant reçoit la nationalité de ses parents de sang ou adoptifs, indépendamment de son pays de naissance), et le Jus soli (qui détermine la nationalité d’après le lieu de naissance de l’enfant) qui sont appliqués pour l’acquisition de la nationalité.
Au moment où la Belgique se constitue en État-nation, et pour encore environ cent cinquante ans, il n’existera pas de code spécifique pour la nationalité: le Code civil et les prescrits constitutionnels privilégient l’application du Jus sanguinis. Celui-ci témoigne des valeurs prédominantes de l’époque, que sont l’unification nationale et la construction d’une identité nationale.
De 1831 à 1922, un régime libéral de la nationalité repose sur le principe de Jus sanguinis et propose une grande naturalisation et une petite naturalisation (via le Parlement). À l’époque, la figure dominante de l’étranger (comme menace) est le Hollandais, considéré comme l’espion.
L’histoire, en matière d’acquisition de la nationalité belge connaît alors une parenthèse avec, de 1909 à 1922, l’introduction du Jus soli qui repose sur le principe de l’assimilation comme “présomption favorable”.
De 1922 à 1984, le régime patriotique que l’on connaît en Belgique fait de la figure dominante de l’étranger comme menace un traître à la patrie, surtout après la Première Guerre mondiale. La nationalité et le patriotisme se superposent et c’est la moralité de la personne et son attachement patriotique à la Belgique qui sont examinés.
Le Jus sanguinis est appliqué au sens strict et une nouvelle procédure voit le jour -la naturalisation-, qui nécessite de fournir des preuves de son assimilation. Ce sont les aptitudes qui vont être jugées pour octroyer la nationalité et “des preuves d’assimilation à la vie nationale, d’attachement à la Belgique, à ses mœurs et ses institutions” vont être demandées. L’idonéité, ou l’adéquation des aptitudes pose la question de la “manière dont on est intégré”: soit parce qu’on a des parents belges, soit parce qu’on est assimilé·e.
1984: l’impact des migrations
C’est à partir de 1984 que l’accès à la nationalité belge sera clairement impacté par les migrations. Il tient compte de la stabilisation de l’immigration de l’après-guerre et de l’installation définitive des immigré·es sur le territoire belge, et vise à accroître les droits des populations étrangères pour les rendre égaux à ceux des Belges.
La politique en vigueur repose alors sur trois principes: supprimer les discriminations entre les femmes et les hommes, favoriser l’intégration des enfants des deuxième et troisième générations (double Jus soli), et faciliter les procédures d’option et de naturalisation.
Le premier Code de la nationalité belge est adopté le 28 juin 1984.
Dorénavant, ce sont les parquets qui octroient la nationalité par attribution, tandis que le Parlement se charge de l’octroi de la nationalité par acquisition (procédure qui comprend la naturalisation conçue comme une faveur exceptionnelle et la déclaration, ou l’option, qui constituent des droits). Le terme “volonté d’intégration” apparaît alors et celui-ci se retrouvera d’ailleurs dans toutes les réformes législatives jusqu’en 2000. Les preuves de l’intégration consistent essentiellement à montrer sa “volonté d’intégration”, qui sera vérifiée dans la pratique par des officiers de police, via des interviews sur base d’un questionnaire, la remise par l’étranger·ère d’une liste de soutiens, etc. On vérifie également si l’étranger·ère est auteur·rice de “faits personnels graves”, tout élément de criminalité entravant dorénavant l’accès à la nationalité, à l’instar de ce qui se fait dans de nombreux autres pays.
La Commission parlementaire des naturalisations est créée en 1997, avec pour objectif d’examiner les demandes de naturalisation. Une enquête complémentaire, un ajournement, l’adoption, ou le rejet de la demande peuvent éventuellement être proposés par cette commission.
Dès 1991, le législateur applique le Jus soli simple, c’est-à-dire le droit du sol, selon lequel un individu qui répond à certaines conditions peut acquérir la nationalité du territoire sur lequel il est né. La distinction entre la grande naturalisation et la petite naturalisation (ordinaire) disparaît.
2000: le tournant le plus libéral
Les changements législatifs de 2000 voient essentiellement la suppression des preuves d’intégration, donc de “la volonté d’intégration” et de toute autre forme de condition d’intégration formelle, ainsi que la gratuité des procédures.
Des débats communautaires sont menés, notamment face à la volonté des néerlandophones de vérifier la connaissance linguistique, la consommation des médias culturels et le niveau scolaire. Pour obtenir la nationalité sous le mode de la déclaration, la durée de séjour (sept ans) est prise en compte comme preuve d’intégration. L’idée de la “présomption favorable” fait son retour en faisant reposer l’intégration sur un critère objectif: l’exigence unique de résidence légale en Belgique.
2012: le retour des preuves d’intégration
La réforme du Code de la nationalité belge de 2012, qui a donné naissance à la législation actuelle, répond à l’objectif d’ériger une loi qui soit neutre d’un point de vue migratoire, c’est-à-dire qui ne lie plus la nationalité et les politiques migratoires.
Le titre même de la loi, “Loi modifiant le CNB afin de rendre l’acquisition de la nationalité belge neutre du point de vue de l’immigration” questionne la nationalité – comme l’intégration d’ailleurs – en ce qu’elle deviendrait une condition de la migration elle-même. La fonction de cette loi est en réalité de gérer la migration, ce qui est quelque chose de tout à fait neuf, alors que l’idée de base de l’accès à la nationalité est de faire des étranger·ères des citoyen·nes à part entière. Ainsi, le fait de devoir être autorisé·e à s’installer définitivement en Belgique et d’y avoir sa résidence principale traduit l’intention du législateur d’éviter que l’octroi de la nationalité belge ouvre la porte à l’obtention du séjour, ou à sa consolidation.
Cette loi a été votée à un moment où il n’y avait pas de gouvernement et où la Belgique était en période d’affaires courantes, en passant directement au Parlement. Le Vlaams Belang faisait pression sur la N-VA, la loi de 2000 qui supprimait la vérification de l’intégration des candidat·es à la nationalité étant jugée trop “ouverte”, et le Parlement ne pouvait plus prendre en charge la procédure, les déclarations de nationalité augmentant fortement.
Les principes qui régissent dorénavant l’accès à la nationalité sont le rétablissement des preuves objectives d’intégration, la possibilité d’y accéder par deux voies (la déclaration et la naturalisation), l’augmentation du nombre de demandes traitées par le parquet, la diminution des dossiers traités par le Parlement, ainsi que des (é)preuves documentaires.
Seules les personnes qui ne sont pas autrices de faits personnels graves peuvent prétendre à la nationalité, éléments qui sont dorénavant interprétés sur base d’une liste de faits (rendue limitative en 2022) et non plus sur des interviews réalisées par des officiers de police.
La décentralisation du traitement des dossiers s’accroît fortement, ce qui entraînera des variations dans la mise en œuvre de la législation et l’intervention d’une multitude d’acteur·rices de la procédure. Et ce, tant aux niveaux régional (parcours d’intégration, emploi, formations professionnelles) et local (administrations communales), qu’au niveau des arrondissements judiciaires (parquets).
La loi est fédérale, mais sa mise en œuvre dépend désormais des politiques régionales d’intégration sur lesquelles elle aura un impact. La Flandre révisera l’inburgering beleid (2004), tandis que les deux autres Régions mettront en place un parcours d’intégration (Wallonie, 2014) et un parcours d’accueil (Bruxelles, 2016).
La loi de 2012 va imposer aux candidat·es à la nationalité de faire état d’un séjour légal ininterrompu (cinq ou dix ans), ou de résider en Belgique depuis leur naissance.
Les candidat·es qui font état d’un séjour légal ininterrompu de cinq ans (procédure quantitativement la plus importante) doivent prouver leur intégration de trois manières: la connaissance d’une des trois langues nationales, leur participation économique et leur intégration sociale. Cette intégration sociale pourra être prouvée par le travail ininterrompu au cours des cinq dernières années (comme travailleur·euse salarié·e, et/ou comme agent·e statutaire nommé·e dans la fonction publique, et/ou comme travailleur·euse indépendant·e à titre principal), le suivi d’une formation professionnelle (d’au moins quatre cents heures et reconnue par une autorité compétente), par un diplôme ou un certificat délivré par un établissement d’enseignement organisé, reconnu ou subventionné par une Communauté, ou par l’École royale militaire (au moins du niveau de l’enseignement secondaire supérieur), ou par le suivi d’un cours d’intégration (qui deviendra le “suivi du trajet d’intégration du parcours d’accueil ou du parcours d’intégration avec succès” avec la modification du CNB de 2018).
La grande nouveauté de cette loi est l’idée qu’il faut démontrer qu’on a contribué au trésor belge, en répondant au critère économique de 468 jours de travail équivalent temps plein au cours des cinq dernières années. Le mérite de la nationalité passe donc par l’exercice du travail, ce qui n’est pas sans entraîner de la discrimination par rapport au public candidat qui ne travaille pas, ou n’aurait pas assez travaillé.
Des preuves documentaires (attestation de fin de parcours d’accueil ou d’intégration, diplômes, acte de naissance, comptes annuels, certificat de formation professionnelle…), spécifiées dans une liste limitative qui vise à renforcer la sécurité juridique du dispositif, sont exigées avec une certaine variabilité. Ainsi, par exemple, si la connaissance d’une des langues nationales reste un critère de la procédure, la preuve de cette connaissance pourra varier entre les Régions. En effet, si les connaissances linguistiques prises en compte dans tous les pays pour accéder à la nationalité sont exigées au niveau A2 du CECR, ce niveau doit avoir été “suivi” du côté francophone, tandis qu’il doit être “atteint” du côté néerlandophone.
Si des pratiques différenciées sont observées dans la procédure (certaines communes découragent les candidat·es, d’autres informent plus ou moins bien, voire pas du tout, certaines vérifient la résidence ou envoient la police de quartier et d’autres pas…), c’est l’autonomie des parquets qui se pose en véritable boîte noire de l’accès à la nationalité. La nationalité est une faveur de l’État, et certainement pas (ou plus) un droit de la personne requérante.
Conclusion
La nationalité a toujours été envisagée comme une faveur de l’État et pas un droit du requérant et la législation qui prévoit l’accès à la nationalité belge a connu de multiples modifications. Mais c’est sans conteste la loi de 2012 qui entraîne une nouvelle approche ou vision de l’accès à la nationalité. Cette nouvelle loi introduit des critères objectifs d’intégration: le niveau de connaissance d’une des langues nationales et un nombre minimal d’activités de travail. La nationalité est considérée comme une récompense de la bonne intégration et non plus comme levier d’intégration dans la société belge: l’idée de “volonté d’intégration” a été remplacée par la “réussite de son intégration” qui doit être prouvée par différents critères qu’il convient de remplir.
Cette législation pose aussi la question de la politisation d’une politique: au départ fédérale, la politique de la nationalité belge s’en remet aux régions dans l’appréciation de ladite intégration sociale. Elle a un impact sur les Régions et leurs dispositifs d’intégration, qui assument aujourd’hui une grande partie de la mise en œuvre de cette politique.