Centre fermé: pire que la prison ?

Quand, en 1991, le législateur décide d’enfermer dans des centres séparés les étrangers qui ne disposent pas du titre de séjour requis et qui doivent quitter le territoire, c’est pour leur bien… Mais à l’usage , le centre fermé se révélera, sous certains aspects, pire que la prison. Promulguée le 15 décembre 1980, la loi “sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers” rassemble dans un seul texte des dispositions concernant les étrangers jusqu’alors dispersées dans de nombreux textes juridiques.

Au départ, il s’agit donc d’une opération “technique”. Ce texte contiendra même des améliorations pour les étrangers qui disposeront du fait de cette loi de voies de recours contre les procédures dont ils sont l’objet. Mais en même temps, les étrangers sont constitués en catégorie juridique séparée qui donnera lieu à une branche particulière du droit, le droit des étrangers. Dans un premier temps, les anciennes dispositions sont simplement reprises dans la loi de 1980.

Ainsi, dans le titre IV qui traite des dispositions pénales, on trouve un article 75 qui déclare: “L’étranger qui entre ou séjourne illégalement dans le royaume est puni d’un emprisonnement de huit jours à trois mois et d’une amende de vingt six EUR à deux cent EUR ou d’une de ces peines seulement (…). En cas de récidive dans le délai de trois ans (…), ces peines sont portées à un emprisonnement d’un mois à un an et à une amende de cent EUR à mille EUR ou à une de ces peines seulement.” C’est donc bien clair: le séjour illégal est un délit, et la prison est sa sanction.

Les étrangers en séjour illégal qu’il s’agissait d’éloigner ne devaient pas être considérés comme des délinquants par nature. On reconnaissait ainsi qu’on pouvait se trouver en séjour illégal de bonne foi et sans que quiconque ne puisse s’estimer lésé.

Mais en 1991, l’État belge renoncera à poursuivre ce délit et se limitera à traiter le séjour illégal comme une irrégularité administrative ne pouvant donner lieu à aucune sanction. On sortira alors les étrangers en infraction des prisons et, à partir de 1992, on ouvrira quatre “centres fermés” pour y placer ceux et celles qu’on souhaite éloigner du territoire, dans l’unique but d’organiser plus aisément cet éloignement.

Non coupables

Il y avait plusieurs raisons à cette nouvelle attitude. Une raison technique: mettre les étrangers concernés sous le contrôle exclusif de l’Office des étrangers sans interférence de l’administration pénitentiaire. Mais on pouvait aussi en tirer une leçon d’ordre philosophique: les étrangers en séjour illégal qu’il s’agissait d’éloigner ne devaient pas être considérés comme des délinquants par nature. On reconnaissait ainsi qu’on pouvait se trouver en séjour illégal de bonne foi et sans que quiconque ne puisse s’estimer lésé. Bref, ces personnes n’étaient coupables de rien, il ne fallait pas les mélanger avec des délinquants et il ne fallait surtout pas les traiter comme tels.

Cet objectif a-t-il été atteint? Après vingt ans, on peut se poser la question. À certains égards, le centre fermé est pire que la prison, notamment à cause du “régime de groupe” qui prévaut dans les centres les plus archaïques et qui infantilise des détenus adultes, ainsi que par l’impossibilité d’avoir des activités “utiles”. La brièveté relative du séjour en centre fermé et le manque de ressources culturelles des détenus (langue parlée, connaissance du droit et de leurs droits…) les rendent particulièrement vulnérables face à une institution qui opère à l’abri des regards. Toutefois, grâce à l’opiniâtreté des associations, l’opinion publique a été régulièrement alertée des dérapages qui s’y sont produits et l’Office des étrangers, bon gré mal gré, a veillé à les prévenir. Mais on se rend bien compte à quel point c’est le principe même de l’enfermement des étrangers qui est le problème.

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