Plan de répartition, solution introuvable?

Un plan de répartition permettrait de dégonfler la crise de l’accueil. En basculant de l’aide matérielle à l’aide financière, des places d’accueil seraient libérées. En répartissant la charge de cette opération entre les CPAS, on éviterait les déséquilibres entre communes. Mais les résistances sont fortes, notamment de la part de certains CPAS mais aussi par certains membres du gouvernement qui agitent le spectre de l’appel d’air.

La crise de l’accueil des demandeurs d’asile n’a jamais vraiment cessé depuis l’été 2007. Elle a juste été contenue, par moments, à coup de places d’urgence et d’ouverture de casernes, mais jamais résolue. À chaque poussée de fièvre, notamment médiatique, lorsque des demandeurs d’asile se retrouvent à la rue, on reparle d’un “plan de répartition” des demandeurs d’asile. Puis on l’oublie et on en reparle, les débats s’échauffent, des noms d’oiseaux s’échangent, alors on le laisse de côté. Il faut dire que les enjeux sont importants.

Car l’instauration d’un plan de répartition revient à poser la question: qui doit accueillir les demandeurs d’asile en temps de crise et surtout… qui va payer?

Le plan de répartition des demandeurs d’asile est un outil qui peut être expliqué en quelques mots. Depuis 2007, en situation “normale”, les demandeurs d’asile sont accueillis dans des centres ou des petites structures intégralement financées par l’État fédéral. Ils sont nourris, logés, accompagnés. L’aide qu’ils reçoivent est matérielle. En cas de saturation de ce réseau d’accueil, la loi de 2007 prévoyait de faire “basculer” cette aide matérielle vers une aide financière. Cela veut dire, concrètement, que certains demandeurs d’asile ne sont plus tenus de vivre dans leur lieu d’accueil et qu’ils sont orientés vers un centre public d’action sociale (CPAS) pour leur prise en charge.

Le CPAS désigné doit proposer un logement au demandeur d’asile sur son territoire, une aide financière équivalente au revenu d’intégration sociale et un accompagnement social. Ils libèrent ainsi des places pour d’autres demandeurs d’asile. L’aide financière était remboursée par le fédéral, mais le surcroît de travail induit par l’arrivée de nouveaux bénéficiaires de l’aide sociale n’était pas compensé par un surcroît de travailleurs sociaux. Pour organiser ce passage à l’aide financière et mieux répartir l’effort entre les communes, un outil a été imaginé: le plan de répartition. Ce plan était en vigueur avant la loi du 12 janvier 2007 sur l’accueil des demandeurs d’asile.

À l’époque, la procédure d’asile était divisée en une phase de recevabilité et une phase d’examen au fond de la demande d’asile. Lorsqu’un demandeur accédait à la deuxième phase, il bénéficiait d’une aide financière dont le coût était réparti entre tous les CPAS selon le plan de répartition (en fonction du nombre d’habitants par commune, du nombre d’allocataires du revenu d’intégration sociale, du revenu taxable moyen et du nombre de demandeurs d’asile). Le demandeur d’asile était tributaire d’un CPAS précis pour recevoir l’aide mais n’avait pas d’obligation de vivre dans cette commune.

Un texte voté… qui n’est pas appliqué

Avec l’abandon de la phase de recevabilité et le choix clair d’un accueil matériel, le plan de répartition est tombé aux oubliettes. En cas de saturation, on lais- sait dans la loi une porte ouverte à un retour du plan, en des termes sibyllins, propices aux débats d’experts. En 2009, vu l’ampleur de la crise, la loi programme du 30 décembre 2009 a réintroduit cette possibilité en des termes plus clairs: “Dans des circonstances exceptionnelles liées à la disponibilité des places d’accueil dans les structures d’accueil, un demandeur d’asile peut se voir désigner un CPAS comme lieu obligatoire d’inscription, sur la base d’un plan de répartition équitable.” Si le réseau d’accueil est saturé à 94%, alors le plan devrait devenir une option.

Au plus fort de la crise, FEDASIL, face à la saturation du réseau, avait décidé de mettre en œuvre une mesure radicale: ne plus désigner de lieu d’accueil pour tous les demandeurs d’asile du jour qui étaient en surnombre des places disponibles dans le réseau. Ces derniers se tournaient souvent vers le CPAS de Bruxelles qui refusa à son tour de leur octroyer une aide sociale estimant qu’il n’avait pas à être le “CPAS de Belgique”. Les demandeurs d’asile, à la rue, étaient dans une impasse.

Ces demandeurs d’asile sans-abris, ça faisait froid dans le dos. Une majorité de députés a donc voté, fin 2009, la proposition du gouvernement qui affirme en gros que, face à l’urgence, au diable l’avarice, il faut agir avec tous les moyens, y compris un plan de répartition.

Cela fait bientôt un an et demi que le texte a été voté et jamais il n’a été appliqué, jamais le Conseil des ministres n’a décidé de mettre en œuvre ce plan de répartition. Pourquoi? Le risque de l’appel d’air.

Du côté des CPAS flamands on se re- fuse à toute concession: il ne faut pas ressortir le plan de répartition de son vieux carton. Pour justifier cette prise de position, on n’hésite pas à brandir la menace de l'”appel d’air”. C’est ce que nous explique Fabienne Crauwels, de l’Association flamande des villes et communes. “Le plan de répartition, c’est une aide financière, nous dit-elle. La conséquence  d’une aide financière, c’est un effet d’attractivité pour la Belgique et donc encore  une augmentation du nombre de demandeurs d’asile.

Un point de vue qui n’est certainement pas le reflet d’une dualité communautaire. Christophe Ernotte, qui dirige la Fédération des CPAS wallons, le partage pleinement. Il estime que, “objectivement, le nombre de demandeurs  d’asile a baissé avec le passage à l’aide  matérielle. Il y a un lien direct. Si on relance le plan de répartition, les réseaux  de trafic d’êtres humains d’un ensemble  de pays vont se mettre en route. Il faut  bien rappeler que l’accueil des demandeurs d’asile est une compétence fédérale. Un plan de répartition, c’est un dérapage par rapport à ses misions“. Autre point négatif que soulève Fabienne Crauwels: la vacuité de la mission des CPAS. “On sait que à peine deux demandeurs d’asile sur dix résident effectivement  dans  la  commune  octroyée. Cela veut dire que pour l’immense majorité des demandeurs d’asile, le CPAS  est réduit à donner une aide financière  et le demandeur d’asile se retrouve quasiment sans accompagnement social“, nous affirme-t-elle. Le pire, selon elle, c’est que ces demandeurs d’asile termineront dans des logements insalubres dans les grandes villes.

Mais la crainte de l’Association flamande des villes et commune, c’est surtout que le temporaire ne devienne permanent, comme nous l’explique Fabienne Crauwels: “Si on nous dit que le plan de répartition c’est pour gérer  l’urgence, a-t-on la garantie qu’au bout d’un an, par exemple, les  instances  d’asile  traiteront  rapidement  les demandes ?” À ses yeux, la gestion de la crise de l’accueil, par à-coups, est une gestion à courte vue.“ Le problème, nous dit-elle, c’est qu’on est dans des mesures à court terme, sans réflexion sur où on veut atterrir. Est-on toujours d’accord sur le fait que l’aide matérielle et la procédure d’asile de courte durée sont les meilleurs moyens d’accueillir? Si oui, alors comment le faire ? Éviter un plan de répartition coûtera cher, car il faudra  peut-être créer encore des places et surtout raccourcir la procédure. Mais il faut  bien ça pour casser l’effet d’attractivité  qui a été créé. ” Peu d’arguments en faveur du plan trouvent grâce aux yeux de Fabienne Crauwels qui assène son dernier coup: “Avec les CPAS, les assistants sociaux et des politiques qui disent qu’un plan de répartition n’est pas bon, ce serait grave de choisir cette solution malgré tout.

Une logique de repli identitaire

Un CPAS fait de la résistance, encore et toujours. C’est celui de Bruxelles. Yvan Mayeur ne décolère pas. Avec son langage fleuri, il balaie sans ambages l’argument de l’appel d’air: “Ceux qui parlent  d’appel d’air, c’est de la ”connerie”, ça n’a  jamais été prouvé. La réalité c’est la présence de milliers de gens et qu’il faut les  prendre en charge. La réalité c’est que  des pays de la Méditerranée sont dans  des bouleversements majeurs, les gens  vont voir ailleurs et la réalité est plus têtue que ce discours stupide.” Il estime que, depuis le début de la crise, c’est le CPAS de Bruxelles qui supporte une trop grande partie de la charge. Par conséquent, un plan de répartition, sous certaines conditions, serait plus juste.

La première chose à faire, nous explique-t-il, c’est de créer des places d’accueil. Je suis pour un plan de répartition quand le réseau est saturé, comme bouée de sauvetage, à condition qu’il s’agisse d’un plan  B limité dans le temps. Sans ce plan, les grandes villes, et surtout Bruxelles, deviennent le réceptacle des problèmes du fédéral.

Lorsqu’on l’interroge sur les raisons du blocage politique autour du plan, Yvan Mayeur penche pour une analyse droite/gauche et communautaire: “La  mise  en  place  de  ce  plan  bloque  par  manque de volonté politique de la droite  et des Flamands. Ils sont dans une logique de repli identitaire, d’égoïsme donc  de refus d’accueil.

Au CIRÉ, on défend aussi l’instauration d’un tel plan dans l’esprit de la loi accueil de 2007. Pour Malou Gay, “la  loi de 2007 a été conçue sur base d’une  procédure d’asile d’un an et, si la procédure durait plus longtemps, il fallait prévoir un plan de répartition. Sans ça, l’accueil est prisonnier de l’arriéré au CGRA ou à l’Office des étrangers et personne ne sort des centres, donc ça sature. Ensuite, le plan permet de répartir le coût de l’accueil. Un coût qui est bien moindre  que la création de nouvelles places“. Il s’agit donc, à ses yeux, de la meilleure manière de répondre à l’urgence, selon des modalités assez précises: “Vu que le réseau est saturé, on pense qu’il faut limiter l’aide matérielle à un an puis que les demandeurs d’asile bénéficient d’une  prise en charge d’un CPAS dans le cadre  d’un plan de répartition.

Malgré ces arguments et l’inscription dans la loi de la possibilité de mettre en place ce plan, on n’en voit toujours pas la couleur, alors que la crise persiste. Malou Gay estime que ce qui se cache derrière cet état de fait, c’est une stratégie du pourrissement. “La crise profite à ceux qui veulent durcir les lois d’immigration” nous explique-t-elle. Elle dénonce “un blocage politique  pour des mauvaises raisons. L’appel d’air est un fameux argument puisque nous  parlons des demandeurs d’asile qui sont  déjà sur le territoire et dans l’accueil matériel depuis un an. Donc les ”filières” doivent  parier  sur  les  dysfonctionnements des instances d’asile et de nos po- litiques qui ne sauraient pas tenir leur  engagement. 

Éviter que des demandeurs d’asile se retrouvent à la rue, l’objectif semble évident. Si la mise en place d’un plan de ré- partition est une réponse qui paraît juste et équitable dans ce contexte d’urgence, il est difficile d’imaginer un dépassement des crispations. Il ne suffirait pourtant que de quelques minutes de courage politique…

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