La question du démantèlement des camps et l’affaire Leonarda ont entrainé un traitement médiatique sans précédent de “la question rom” en France et, dans une moindre mesure, en Belgique. Retour sur cette hypermédiatisation avec Grégoire Cousin, chercheur sur les migrations roms en Europe et membre du réseau Urba-Rom.
Peut-on parler de la “question rom” en France sans parler d’emballement médiatique?
Ce sujet revient dans l’actualité de façon cyclique avec des pics parfois très importants, le plus souvent durant l’été. Mais en France, c’est surtout pendant l’été 2012 et en septembre 2013 qu’on a atteint des pics incroyables qui sont généralement liés à un repositionnement dans le champ politique. En d’autres termes, les journalistes en parlent parce que les responsables politiques décident de se saisir de la question. Si on regarde les mots-clefs des reportages qui ont été réalisés au moment des pics en France, ce sont les mots “Nicolas Sarkozy”, “François Hollande”, “Manuel Valls” qui ressortent le plus souvent. Les responsables politiques nationaux ont clairement une responsabilité dans la mise à l’agenda de cette question. Ensuite les médias embraient. La question est plutôt pourquoi les médias suivent à ce point voire surenchérissent. Manifestement, parler des Roms est “vendeur”. Ça fait parler, réagir …
Justement, peut-on parler d’hypervisibilité des Roms dans les médias?
Si les Roms sont hypervisibles dans l’espace public, c’est essentiellement à cause des pratiques sociales de certains d’entre eux : la manière de s’habiller, la mendicité ou encore la question de l’habitat. Prenons la mendicité par exemple. C’est une pratique sociale très visible qui est fondée sur le la nécessité de se placer justement à un endroit de passage pour attirer l’attention. Même si ce n’est pas le cas de tous les Roms mais le fait d’une minorité qui n’a pas trouvé d’autre stratégie de survie, ce sera cette image-là qu’on retiendra.
Plus qu'”hypervisibles”, vous dites que les Roms sont “reconnaissables”…
À partir du moment où la controverse politique et l’emballement médiatique sont en cours, les Roms deviennent “reconnaissables”. En soi, les femmes roms dans nos villes ne sont pas plus visibles que des femmes africaines habillées en boubou par exemple. Pourtant ce seront les Roms que vous verrez dans la rue parce que vous les “reconnaissez”. À cela s’ajoute le vieux fond des stéréotypes qu’on a tous et qui viennent de notre enfance, ce que vous avez lu dans “Tintin et les bijoux de la Castafiore”. Ensuite, le traitement médiatique renforce encore un peu plus ces stéréotypes. Bien sûr, c’est le travail des médias de fabriquer des catégories de compréhension du monde social. Même si on n’est pas forcément d’accord avec les catégories qu’ils construisent.
Quelles sont les conséquences de cet emballement médiatique ?
Notamment le blocage politique. À partir du moment où vous avez une polémique extrêmement dure qui prend des allures de controverse nationale, vous allez figer les capacités politiques parce que tout le monde aura peur de bouger le petit doigt, dans un sens ou dans l’autre. Vous avez alors un système à l’italienne où il ne se passe plus rien et où on laisse “pourrir” la situation.
Propos recueillis par François Corbiau