On dit “centre fermé”, mais c’est une prison… 

Suleiman est un rescapé. Il a été détenu quatre mois au centre fermé de Merksplas et a subi deux tentatives d’expulsion. C’est un coup de fil  – in extremis – de son avocat qui lui a permis d’éviter l’éloignement forcé. Comme quoi rester ou partir tient parfois à peu de chose… Suleiman nous raconte le centre fermé, de l’intérieur.
 

Pouvez-vous nous expliquer les conditions de votre arrestation?

J’ai été arrêté alors que j’étais avec mon oncle, dans sa voiture. Il conduisait et la police a voulu faire un contrôle de routine, du permis de conduire, de l’assurance. Et là, ils m’ont demandé mes papiers d’identité. Je pensais être protégé de toute expulsion grâce à ma demande de régularisation. Je gardais toujours le papier sur moi. C’est au moment de l’arrestation que j’ai été surpris. Je n’ai plus rien compris, ils m’ont amené au poste de police, où ils ont demandé à l’Office des étrangers ce qu’il fallait faire de moi, puis ils m’ont transféré au centre de Merksplas. Franchement c’était un choc, je n’avais jamais pensé au centre fermé. À trente ans, c’était même la première fois que j’avais affaire à la police. 

Et comment avez-vous réagi, une fois dans le centre?

Je ne suis pas quelqu’un d’agressif, j’étais donc très calme. Mais je me sentais mal au fond de moi, c’était très dur, très stressant. Je pensais que c’était injuste. Et puis il y avait cette mauvaise ambiance qu’il fallait supporter. Tu ne peux jamais faire ce que tu veux, perdre sa liberté est très dur à accepter.Il y avait beaucoup de tensions entre les détenus et même des bagarres pour un oui ou pour un non. L’un voulait voir un film, l’autre n’était pas d’accord et ça explosait. Les gens étaient séparés et parfois transférés vers d’autres centres. Ce n’était pas rassurant. Je ne me sentais pas à ma place. Il y a toujours une heure à respecter, une heure pour se lever, une heure pour la douche, une heure pour manger… C’est très contraignant. On dit “centre fermé” mais c’est une prison. Tu ne peux jamais faire ce que tu veux,  perdre sa liberté est très dur à accepter.

Il y avait donc beaucoup de violence au centre fermé de Merksplas…

Oui, et parfois ça allait loin. Une fois, un homme a été placé en cellule d’isolement. Cela avait provoqué des protestations de nombreux détenus, des grèves de la faim. Comme on est toujours en groupe, c’est le groupe entier qui a subi la répression de la police qui est intervenue dans le centre. Ils étaient assez brutaux. Ils nous ont tous contrôlés comme si on était des criminels, sans aucun respect. Ils fouillaient tout le monde, ils nous poussaient contre les murs. Il y a un grand dortoir avec seize lits et des petits casiers individuels. Ils ont tout mis sens dessus dessous et ont ouvert les casiers. 

Votre détention a été longue. Quel impact a eu cette durée de détention sur votre état d’esprit?

Déjà, je remarquais qu’il y avait très peu de gens qui restaient aussi longtemps que moi. Peut-être trois ou quatre personnes. Je suis resté quatre mois, c’est très long, et ça décourage. Au début, je me suis beaucoup battu pour sortir. Avec mon avocat, on a entamé des procédures pour aller devant la Chambre du Conseil et tenter d’agir. Puis, petit à petit, je n’y croyais plus, j’ai un peu baissé les bras, j’étais très angoissé. Plus les jours passaient, plus c’était dur. 

Mais vous avez tout de même été libéré?

Oui, grâce aux interventions de mon avocat, notamment dans le cadre des nouvelles instructions sur la régularisation. Je ne sais toujours pas si je vais être régularisé mais les instructions ont permis ma libération. 

Quel rôle ont joué les assistants sociaux du centre? Vous ont-ils aidé à comprendre dans quoi vous vous situez? 

Mon opinion personnelle est que les assistants sociaux ne sont pas de notre côté. Leur rôle est uniquement de transmettre ce qu’a dit l’Office des étrangers. Ils transmettent aussi certaines décisions, comme celles du tribunal par exemple. Mais ils ne donnent pas de conseils, ils ne nous soutiennent pas. 

Et puis il y a l’épée de Damoclès : l’expulsion. Vous avez subi deux tentatives…

Oui, c’est un moment très difficile. La règle que les assistants sociaux nous expliquent dans le centre, c’est que lors de la première tentative d’expulsion, on peut dire “non”, puis on nous ramène au centre. C’est lors de la deuxième tentative que ça devient plus compliqué,Mon opinion personnelle est que les assistants sociaux ne sont pas de notre côté. Leur rôle est uniquement de transmettre ce qu’a dit l’Office des étrangers. il y a deux policiers chargés de l’escorte. La première tentative s’est passée un vendredi, je devais passer devant la Chambre du Conseil le lundi suivant. Le policier à l’aéroport a compris ma situation, je lui ai montré le document et je suis rentré au centre. J’avoue que j’avais très peur, car je n’avais pas cru les assistants sociaux, j’avais pensé qu’ils allaient tout de même m’expulser de force. Ce qui est très dur, c’est d’être placé en cellule d’isolement la veille de l’expulsion. L’assistant social te prévient le mercredi que tu seras expulsé le vendredi. Dès le jeudi, à 14h00, tu es mis en cellule d’isolement jusqu’au lendemain matin. C’était vraiment beaucoup de stress, je me sentais très mal, je préparais mon document pour le présenter à l’officier de police, avec l’espoir qu’il le regarde.

Il y a donc eu une seconde tentative d’expulsion. Comment vous en êtes-vous sorti?

Pour ma seconde tentative d’expulsion, j’ai été mis en cellule d’isolement. J’ai appelé mon avocat. Je pensais que c’était fini, que j’abandonnais tout derrière moi mais je voulais encore essayer de convaincre l’officier de police. Par chance, je ne suis jamais allé à l’aéroport. Mon avocat m’a rappelé. Comme c’était à l’époque des nouvelles instructions de régularisation, on a annulé mon vol. Peu après, je suis sorti du centre.

N’avez-vous jamais pensé à rentrer “volontairement”?

Non, pour moi ça n’avait aucun sens de rentrer volontairement. Il fallait me battre. Je veux mes papiers en Belgique et je veux une vie normale. Ça fait dix ans que je suis dans ce pays. J’ai passé un tiers de ma vie ici. J’y ai été étudiant, j’ai des amis, des Belges peuvent témoigner de mon intégration. Je parle le néerlandais. Je ne veux pas tout reprendre à zéro là-bas.   

Propos recueillis par Cédric Vallet.

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