Nationalité: les dessous d’un troc

Dans les années 2000, l’air du temps favorisait l’extension des droits politiques aux personnes issues de l’immigration. Mais sous quelle forme? Pour les uns, il fallait réserver ces droits aux Belges, mais on pouvait faciliter l’accès à la nationalité. Pour d’autres, on pouvait accorder des droits politiques aux non-Belges. Entre les tenants des deux conceptions, les marchandages allèrent bon train…

En Belgique, l’assouplissement des conditions d’acquisition de la nationalité belge a souvent été lié au traitement politique donné à la revendication du droit de vote des étrangers. La dernière modification de la loi sur la nationalité de 2012 y est indirectement liée. En effet, il n’est pas interdit de penser que la forte restriction contenue dans cette législation qui revient en arrière sur la vérification des preuves de l’intégration et surtout l’ajout d’une condition de participation à la vie économique du pays constitue la réponse des partis politiques qui avaient dû subir le vote de la loi attribuant le droit de vote sans éligibilité aux étrangers non européens. En effet, la révision de 2012 de la loi sur la nationalité a été portée essentiellement par les partis flamands alors que la majorité d’entre eux (VLD, CD&V, VB, N-VA) avait voté contre l’attribution du droit de vote en 2004. Il convient de revenir sur quelques événements ayant marqué les compromis qui ont conduit, en 2000, à la forte libéralisation de l’acquisition de la nationalité belge.

Révision ouverte ou fermée?

Les modifications du Code de la nationalité de 1998 et de 2000 sont introduites à la suite de la mise à l’agenda politique du droit de vote des étrangers. Durant cette période, les débats parlementaires et les négociations politiques lient ces deux sujets. Si cette liaison était déjà présente antérieurement, elle prend une nouvelle actualité avec la création de la citoyenneté de l’Union européenne (UE) qui consacre le découplage entre citoyenneté et nationalité. Le Traité de Maastricht instituant la citoyenneté de l’UE et prévoyant l’octroi du droit de vote et d’éligibilité aux ressortissants des États membres aux élections locales relance le débat sur le droit de vote des immigrés. La directive 94/80 détermine les conditions d’exercice des droits à participer aux élections locales et prévoit que les États membres doivent adapter leur législation avant le 1er janvier 1996. La transposition de cette directive en droit belge suppose avant tout la révision de l’article 8 de la Constitution, réservant l’exercice des droits politiques aux seuls Belges.

Ceci constitue une opportunité pour débattre à nouveau au Parlement de l’élargissement des droits de vote et d’éligibilité aux étrangers ressortissant des États tiers. Le gouvernement de Jean-Luc Dehaene introduit à la fin de la législature 1991-1995 une déclaration de révision de l’article 8 de la Constitution. Le vote de cette révision va être très long parce qu’une majorité des deux tiers est requise, supposant l’appui de l’opposition. Deux options s’affrontent. La première, fermée, consiste à laisser dans l’article 8 de la Constitution la condition de nationalité belge et à introduire une exception pour les ressortissants européens conformément aux obligations internationales. La seconde, ouverte, supprime toute référence à la nationalité pour l’exercice des droits politiques, conduisant à un découplage complet entre citoyenneté et nationalité. En 1997, la Belgique n’a toujours pas transposé la directive européenne.

Un événement dramatique et extérieur aux débats politiques vient bousculer la mise à l’agenda politique. Le 8 mars 1997, les funérailles de Loubna Benaïssa, victime d’un pédophile, réunissent une foule de 20.000 personnes et sont diffusées sur toutes les chaînes de télévision. Cet événement produit, rétrospectivement, un court moment d’acceptation des descendants de l’immigration marocaine. À la suite de ces funérailles, Jean-Luc Dehaene relance le débat sur le droit de vote et se déclare partisan d’un modèle ouvert. Le marchandage naissant repose sur l’évolution du parti libéral francophone dirigé par Louis Michel. Bel exemple du processus de négociation dans une démocratie consociative, l’avancée sur la révision de l’article 8 de la Constitution tient aux changements escomptés en matière d’accès à la nationalité. Après près de vingt ans de débats parlementaires, l’article 8 de la Constitution est modifié. Il ne réserve plus aux seuls Belges la qualité d’électeurs. Les étrangers européens peuvent voter aux élections communales de 2000. La loi concernant les non-Européens qui doit être votée à la majorité simple ne peut être prise avant le 1er janvier 2001.

Le MR formule deux conditions à son soutien au projet du gouvernement sur l’article 8: le vote des Belges vivant à l’étranger et, afin de rappeler leur préférence pour la voie de l’intégration par la nationalité, l’assouplissement de la procédure de naturalisation.

Le MR formule deux conditions à son soutien au projet du gouvernement sur l’article 8: le vote des Belges vivant à l’étranger et, afin de rappeler leur préférence pour la voie de l’intégration par la nationalité, l’assouplissement de la procédure de naturalisation. Concernant la naturalisation, les libéraux demandent initialement la suppression du critère de “volonté d’intégration” et son remplacement par une prestation de serment du candidat à la nationalité. Toutefois, le CVP s’oppose à la suppression pure et simple du questionnaire permettant de vérifier “la volonté d’intégration”. Néanmoins, le questionnaire est simplifié et toutes les questions relatives à la vie privée sont supprimées. Dans la nouvelle mouture du questionnaire, quatre grandes catégories déterminent l’appartenance: la langue, les attitudes de contacts culturels (basées sur la consommation des médias, la participation associative et les relations avec des Belges), les milieux scolaires et des preuves du bien-fondé de cette intégration. Le questionnaire n’est plus rempli par un agent de la fonction publique mais par le requérant lui-même. La loi du 22 décembre 1998 modifiant le Code de la nationalité adopte ces mesures et intègre aussi des changements dans les procédures d’introduction des demandes.

Le “droit du sol” renforcé

L’accord gouvernemental de 1999 (libéraux, socialistes et verts) confirme la volonté d’assouplir encore plus l’acquisition de la nationalité. La loi du 1er mars 2000 ouvre une libéralisation importante des modes d’acquisition de la nationalité belge. Au niveau des conditions requises, le droit du sol est fortement élargi puisque l’article 12bis3° permet à toute personne résidant sur le territoire depuis sept années sans interruption, quel que soit le statut de séjour, de devenir belge sur simple déclaration pour peu qu’elle soit munie d’une autorisation de séjour illimité au moment de la demande et que le Parquet n’ait pas de “faits personnels graves” à lui opposer. La durée de résidence requise pour la naturalisation est, elle aussi, réduite, et passe à trois ans. En outre, le critère de “la volonté d’intégration” est supprimé ainsi que le questionnaire qui servait de support de vérification. Cette volonté est présupposée du simple fait de la démarche en vue de devenir belge. Le candidat à la naturalisation doit juste toujours s’engager à se soumettre à la Constitution, aux lois du peuple belge et à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. L’assouplissement de l’accès à la nationalité ne pouvait que conduire à une augmentation conséquente des demandes, particulièrement de la procédure de déclaration.

Après près de vingt ans de débats parlementaires, l’article 8 de la Constitution est modifié. Il ne réserve plus aux seuls Belges la qualité d’électeurs.

Ce fut le cas dès l’entrée en vigueur de la loi et durant toutes les années 2000, avec toutefois un ralentissement après 2005 et un accroissement des refus des naturalisations. Les partis flamands ont eu l’impression qu’on leur avait forcé la main et le ministre de la Justice avait introduit un nouveau projet de loi, soutenu par le VLD, le CD&V (l’ancien CVP relooké) et le VB, cherchant à réintroduire dans la procédure les éléments témoignant de la conception méritocratique et culturaliste de la nationalité. Bien que la discussion en Commission sur l’évaluation de la loi en décembre 2001 fût l’occasion pour des députés du VLD, CD&V et VB de remettre en question les principes forts qui sous-tendent la loi, aucune modification législative n’a été décidée. Entre-temps, le gouvernement flamand a voté la mise en œuvre de l’inburgeringsbeleid établissant un parcours d’intégration en Flandre en 2001 et qui devient obligatoire en 2008 pour les nouveaux migrants.

La “snel Belgwet”

Si la loi du 1er mars 2000 poursuit manifestement l’objectif d’intégrer les immigrés durablement installés, tous les commentateurs s’accordent pour reconnaître que l’adoption précipitée de ce texte très libéral résulte d’un “compromis” à la suite du refus catégorique du VLD, à l’encontre de ses cinq partenaires gouvernementaux, d’élargir aux non-Européens le contenu de la réforme constitutionnelle du 11 décembre 1998 modifiant l’article 8. Pour les cinq autres partis, il s’agissait donc de permettre aux non-Européens de voter aux élections communales de 2000 en étant devenu belges au préalable. Dès le début, la réforme du 1er mars 2000 divise les partis selon l’axe communautaire. Cette loi a reçu la dénomination de “snel Belgwet” en Flandre, témoignant de la faible appréciation de son contenu. Inversement, à Bruxelles et en Wallonie, tous les partis démocratiques ont soutenu cette loi. À Bruxelles, l’accroissement du corps électoral est un enjeu communautaire considérable particulièrement pour les partis francophones.

La communautarisation de la politique de nationalité se vérifie également en matière de droits de vote puisque, le 19 février 2004, la Chambre a adopté la proposition de loi élargissant le droit de vote aux élections communales, mais pas d’éligibilité, aux ressortissants non Européens. Cette loi est soutenue par tous les partis démocratiques francophones (PS, MR, CDH et Écolo) et le SP.A contre une majorité de partis flamands (CD&V, VLD, VB et N-VA). Interpréter le clivage en matière de code de nationalité ou de droit de vote sous l’angle d’une opposition communautaire sur les conceptions de la nation, de la conformité culturelle ou de l’intégration des immigrés serait trop réducteur. Le clivage communautaire est devenu aussi au fil du temps un clivage gauche-droite en raison de la faiblesse de la gauche en Flandre. La révision restrictive de la loi de 2012 sur la nationalité, comme celle de l’année précédente sur le regroupement familial, semblent ouvrir une nouvelle phase politique où l’agenda politique en matière d’immigration est avant tout organisé par les partis flamands avec le support appuyé du MR. La nouvelle loi restaure les preuves de l’intégration et instaure aussi des épreuves, en particulier sur la connaissance linguistique. Ce qui constitue indéniablement la raison principale pour laquelle des parcours d’intégration vont aussi s’instituer dans le futur à Bruxelles et en Wallonie.

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