Pour se protéger d’une immigration indésirable, l’Union européenne a besoin d’alliés à sa périphérie. Ceux-ci doivent bloquer les migrants chez eux, avant qu’ils n’atteignent les frontières européennes. Et accepter de reprendre ceux qui arriveraient à les franchir. Ce qui passe par des “accords de réadmission” plus ou moins imposés. Pays clé: le Maroc.
En abolissant les frontières intérieures communes, la mise en place du règlement Schengen a repoussé le contrôle des frontières à la périphérie des États de l’Union européenne (UE). Afin de prévenir le plus en amont possible l’arrivée de “migrants indésirables”, l’UE et ses États membres ont mis en place des coopérations avec les États tiers concernant le contrôle de leurs frontières, frontières immédiatement contigües au territoire européen, mais aussi frontières partagées avec d’autres pays tiers. L’objectif est de rendre ces États responsables de l’ensemble des migrants arrivant en Europe et ayant transité sur leur territoire, qu’il s’agisse ou non de leurs ressortissants.
Comme le souligne Emmanuel Blanchard (Gisti)1, il s’agit en fait d’une véritable “externalisation” répondant à quatre logiques: délocaliser ( les contrôles se font loin du territoire européen), sous-traiter (des États tiers sont transformés en garde-frontières de l’Europe), privatiser (en déléguant à des entreprises privées les fonctions de contrôle) et surtout déresponsabiliser (comment faire respecter les droits fondamentaux prévus par les textes européens alors que l’on a délégué la responsabilité du contrôle à un État non européen?).
Ce faisant, les Européens ont considérablement étendu le champ d’application des accords de réadmission. La réadmission est l’acte par lequel un État autorise un individu qui était entré, séjournait ou résidait de manière illégale dans un autre État, à revenir sur son territoire, généralement contraint et forcé. Si le droit coutumier international impose à chaque État de réadmettre ses propres ressortissants (ce que certains ne font pas toujours de bon gré), la prise en compte des non-nationaux constitue une charge difficilement acceptable et empiète sur la souveraineté des États en matière de politique étrangère. Rien d’étonnant donc à ce que les États tiers regimbent ou fassent notablement monter les enchères, tentant d’obtenir des compensations, politiques et économiques à la hauteur de la charge imposée. De fait, l’UE a conclu péniblement à ce jour 13 accords de réadmission, essentiellement avec des pays ayant pour objectif de rentrer dans l’Union européenne3. Mieux, le fait de signer un accord n’implique aucunement que celui-ci sera effectivement mis en application4.
Enfin, pour être efficace, cette politique de réadmission suppose que l’État tiers considéré signe des accords de réadmission avec tous ses voisins, entraînant la planète dans une sorte de Monopoly géant du contrôle des hommes.
L’UE a conclu péniblement à ce jour 13 accords de réadmission, essentiellement avec des pays ayant pour objectif de rentrer dans l’Union européenne. Mieux, le fait de signer un accord n’implique aucunement que celui-ci sera effectivement mis en application.
De tous les instruments mis en place par l’UE et ses États membres pour lutter contre l’immigration illégale, les accords de réadmission sont ceux qui témoignent le plus clairement du déséquilibre affectant les politiques de coopération migratoire.
Depuis 2003, en dépit de liens de coopération étroits et des perspectives du “Statut avancé”, l’UE échoue ainsi à faire admettre par le Maroc un accord de réadmission. Pour mieux comprendre les enjeux de cette négociation, nous avons demandé à Menouar Alem, ambassadeur du Maroc auprès de l’UE, d’expliciter la position marocaine.
Que devrait être une coopération migratoire équilibrée?
La question migratoire revêt une grande importance dans les relations entre le Maroc et l’UE. La recherche du maintien d’un certain équilibre dans ces étroites relations est le souci majeur des deux parties afin de les préserver et les promouvoir davantage. Aussi est-il du devoir des uns et des autres de ne ménager aucun effort afin que la question migratoire et l’approche choisie pour sa gestion tiennent compte des intérêts des différents partenaires et, bien entendu, ceux des migrants qui sont les premiers concernés. À cet égard, il est essentiel d’appréhender les questions migratoires de façon équilibrée et dans un esprit de solidarité et de coresponsabilité. Sans cela, il serait extrêmement ardu d’apporter des réponses adéquates à une question aussi complexe dont la gestion inappropriée risque de se traduire parfois par un coût humain et économique très lourd.
Comment se déroule concrètement une négociation sur les accords de réadmission avec l’UE?
Les négociations d’un accord de réadmission entre le Maroc et l’UE ont été lancées en 2003. Le quinzième round s’est tenu à Bruxelles en mai 2010. L’accord de réadmission est supposé constituer un levier pour la promotion du partenariat stratégique dans le cadre du statut avancé du Maroc. Il s’agit, en fait, de communautariser une série de conventions et accords bilatéraux déjà conclus par le Maroc avec des pays membres de l’UE. Cependant, leur articulation présente des difficultés techniques non encore résolues.
Par ailleurs, il existe un autre cadre de dialogue entre l’UE et le Maroc, le partenariat pour la mobilité, qui inclut, entre autres de combattre l’immigration irrégulière et de promouvoir une politique efficace en matière de retour et de réadmission dans le respect des droits et des acquis des migrants.
Le Maroc, l’UE et les pays partenaires sont donc appelés à coopérer davantage afin d’aboutir à un compromis susceptible de préserver les intérêts des uns et des autres dans un esprit de responsabilité partagée et de solidarité avec l’Europe. Un partenariat pour la promotion du développement durable et la lutte contre la pauvreté demeure, au bout du compte, la réponse appropriée à un phénomène aussi complexe que la migration. Par ailleurs, il existe un autre cadre de dialogue entre l’UE et le Maroc, le partenariat pour la mobilité, qui inclut, entre autres de combattre l’immigration irrégulière et de promouvoir une politique efficace en matière de retour et de réadmission dans le respect des droits et des acquis des migrants.
Quelle est aujourd’hui la position marocaine sur ce sujet?
Pour le Maroc, ce dialogue doit répondre à différents paramètres. Premièrement, inscrire cette initiative ambitieuse dans la durabilité, l’irréversibilité, à l’abri des fluctuations politiciennes et sans la limiter à une réponse conjoncturelle aux évènements dans certains pays du sud de la Méditerranée. Deuxièmement, cette initiative doit être conçue comme une des composantes de la feuille de route du “statut avancé”, à la hauteur des relations diversifiées et approfondies entre le Maroc et l’UE, qui ne peuvent traiter de manière isolée les autres secteurs de coopération et accords bilatéraux. Troisièmement, il s’agit de garantir une approche équilibrée entre les trois piliers de ce dialogue (mobilité, sécurité et migration) en les faisant avancer au même rythme, selon la même démarche et avec la même perspective. Quatrièmement, ce dialogue vise à assurer la cohérence de cette démarche avec les relations bilatérales et sous-régionales du Maroc avec les États membres de l’UE et dans le cadre du Dialogue 5+55 notamment. Enfin, cinquièmement, cette initiative vise à préciser clairement les modalités (dialogue sur la question de la facilitation de la circulation des personnes entre le Maroc et les États membres de l’UE en perspective d’un accord sur les visas contre réadmission) et l’accompagnement financier conséquent de l’UE à mobiliser pour cette initiative.
Quelle est la situation de l’immigration d’origine subsaharienne au Maroc?
Le Maroc, pays d’origine, de transit et de destination finale, est confronté à un flux migratoire sans précédent, particulièrement d’origine subsaharienne. Nous essayons, dans la mesure du possible, d’y faire face dans le respect des droits fondamentaux et de la dignité humaine des migrants. Le problème qui se pose en fait est celui de la migration irrégulière et de ses conséquences. Selon des associations des droits de l’Homme, les migrants clandestins d’origine subsaharienne seraient entre 20 000 et 25 000 personnes. Le gouvernement marocain, qui n’a eu de cesse de consentir de grands efforts en matière de lutte contre ce phénomène, considère qu’une approche globale est nécessaire pour parvenir à une solution de la question migratoire impliquant aussi les pays d’origine, de transit et de destination. Outre, le contrôle des frontières, la promotion du développement notamment dans les pays d’origine et la solidarité de l’UE et des États membres est cruciale.
Le Maroc, pays d’origine, de transit et de destination finale, est confronté à un flux migratoire sans précédent, particulièrement d’origine subsaharienne…
Le Maroc exhorte également l’UE à mettre en œuvre les dispositions de l’article 13 de l’Accord de Cotonou conclu, le 25 juin 2000, qui stipule que “chacun des États ACP accepte et réadmet ses propres ressortissants illégalement présents sur le territoire d’un État membre de l’UE, à la demande de ce dernier et sans autres formalités”.
En dépit du “Statut avancé” obtenu en 2008, le Maroc résiste à l’idée d’être “le gendarme de l’Europe” et de signer un accord de réadmission avec l’UE qui impliquerait la réadmission des migrants irréguliers non marocains…
Les relations privilégiées entre le Maroc et l’UE, consacrées par l’adoption d’un document conjoint sur le statut avancé du Maroc en 2008, constituent un acquis important qui doit contribuer à consolider un partenariat mutuellement bénéfique pour les deux parties. Mais l’éventuelle signature d’un accord de réadmission qui risque de compromettre les relations de coopération et de fraternité avec les pays africains, n’est pas à l’ordre du jour. Comme tout autre pays confronté à la même situation, le Maroc serait amené, s’il acceptait, à rechercher l’équilibre entre ses relations avec l’UE et ses États membres et ses relations avec les États d’Afrique subsaharienne. Et cela, alors même que nous sommes liés à ces derniers par un nombre impressionnant d’accords constituant le cadre juridique de relations toujours plus étroites. Sans oublier que le Maroc est le second investisseur africain en Afrique subsaharienne après l’Afrique du sud. Il en serait de même sur le plan multilatéral puisque nous adhérons à des groupements sous régionaux comme la Censad5.
La recherche de l’équilibre n’est pas une tâche facile, c’est un exercice d’une grande complexité même pour les équilibristes les plus doués. Mais réduire le rôle du Maroc à celui d’un gendarme de l’Europe serait une approche plutôt simpliste et ferait fi du rôle positif qu’il pourrait jouer en vue de contribuer activement à trouver, de concert avec ses différents partenaires, des alternatives permettant de maitriser les flux migratoires. Cela étant, le Maroc est conscient des défis qu’il doit relever et œuvre notamment depuis la tenue de la Conférence ministérielle euro-africaine sur la migration et le développement en 2006, avec ses partenaires du Nord et du Sud pour une gestion concertée de la question centrale de la migration.
En tout état de cause, le Maroc ayant réalisé de grandes avancées en termes de droits de l’Homme aussi bien sur le plan légal qu’institutionnel, n’est pas prêt à adopter des textes législatifs ou réglementaires ou encore de signer des accords qui seraient contre les principes fondamentaux des droits de l’Homme et du respect de la dignité humaine.
Propos recueillis par Laure Borgomano
Notes: