En Europe, on ne demande pas l’asile dans le pays qu’on veut. Il y a des règles: c’est le premier pays où vous avez mis le pied qui doit vous accueillir. Et tant pis pour vous si c’est dans un autre que vous aviez placé vos espérances…
Le règlement européen de Dublin a pour objectif de répartir la “charge” des demandeurs d’asile entre États européens. Il vise également à assurer qu’un et un seul État européen n’examine la demande d’asile introduite par un demandeur d’asile. La logique poursuivie est de rendre responsable de l’examen d’une demande d’asile l’État qui a “failli”: celui qui a laissé un demandeur d’asile sur son territoire, celui qui a délivré un visa ou un titre de séjour au demandeur d’asile concerné… Cette logique exclut le libre choix du demandeur d’asile, ce qui équivaudrait à juger responsable pour examiner la demande d’asile, le pays dans lequel le demandeur introduit sa demande d’asile.
La volonté du demandeur d’asile est donc bien accessoire dans ce processus, de même que ses possibilités d’intégration dans le pays qui sera, le cas échéant, appelé à lui accorder un titre de séjour. Si, en théorie, les objectifs du règlement de Dublin peuvent sembler louables, le “système de Dublin” laisse apparaître une réalité plus contestable.
Si, en théorie, les objectifs du règlement de Dublin peuvent sembler louables, le “système de Dublin” laisse apparaître une réalité plus contestable.
En pratique, il n’est nullement question d’une répartition équitable des demandeurs d’asile entre les États européens. Le principal critère de répartition des demandeurs d’asile renvoie vers le premier pays d’entrée dans le territoire de l’Union européenne (UE), le principe étant de responsabiliser les mauvais élèves européens qui ne garderaient pas correctement la frontière extérieure dont ils ont la garde. Ce critère aboutit inexorablement à faire assumer aux États européens situés aux frontières de l’UE une partie très importante des demandes d’asile introduites en Europe.
Mieux vaut bien choisir sa route
Schématiquement, et exception faite des arrivées par avion, la Pologne est majoritairement jugée responsable pour les demandeurs d’asile originaires de l’Est, la Grèce est majoritairement jugée responsable pour les demandeurs d’asile arrivant du Moyen-Orient, tandis que l’Espagne et l’Italie sont visées pour les demandeurs d’asile venant du continent africain.
En pratique, cela signifie que les demandeurs d’asile originaires d’Afghanistan ou d’Irak – qui sont deux des pays les plus représentés parmi les pays d’origine des demandeurs d’asile en Belgique – arrivent dans l’UE en passant par la Grèce. Le périple vers l’Europe d’un ressortissant afghan ou irakien l’oblige à passer d’abord vers la Turquie puis à traverser la frontière grecque. C’est d’une logique géographique implacable. Avec pour conséquence que l’application du règlement de Dublin rend la Grèce responsable de l’examen de la majeure partie des demandes d’asile des Afghans ou des Irakiens.
Un espace européen d’asile commun inexistant
L’application du règlement de Dublin est contestable car elle repose sur une utopie selon laquelle les États membres de l’Union appliquent tous de façon équivalente les conventions internationales qui les lient. C’est comme si les demandeurs d’asile n’avaient aucun intérêt à ce que leur demande soit examinée dans un État européen plutôt qu’un autre. Il s’agit évidemment d’une chimère.
Il est vrai que les États membres de l’Union sont effectivement tous signataires de la Convention de Genève et qu’ils sont tous soumis aux directives européennes relatives aux demandes d’asile. Mais en réalité, chaque État membre applique ces obligations internationales de façon différente. Ces divergences sont telles que les taux de reconnaissance du statut de réfugié varient de 0% à 90% pour une même nationalité selon les États.
Un règlement aux conséquences dramatiques
Ne nous trompons pas sur les conséquences de telles divergences sur le sort des demandeurs d’asile concernés. Selon l’État responsable de l’examen de sa demande d’asile, le demandeur pourra se voir débouté de tout droit et être renvoyé sous la contrainte dans son pays d’origine, là où, sous d’autres latitudes européennes, ce même demandeur d’asile pourra, le cas échéant, se voir octroyer une protection internationale et se faire délivrer, sur cette base, un titre de séjour avec comme corollaire la garantie de ne pas être renvoyé vers son pays d’origine. Ainsi en 2008, un demandeur d’asile guinéen avait 0% de chance d’obtenir une protection en Grèce alors qu’en Belgique, ses chances montaient à 28% pour atteindre 42% aux Pays-Bas. Les conséquences sont, on le voit, loin d’être théoriques.
Les ONG contestent unanimement la logique de ce système qui repose sur la fiction d’une procédure d’asile équivalente dans les États membres.
Ces constats montrent les dysfonctionnements du système, lequel a d’ailleurs fait l’objet d’une évaluation par les instances européennes1. Ainsi, si dans l’en- semble, les États européens se réjouissent de la réussite du “système de Dublin” bien qu’ils admettent la nécessité d’y apporter l’une ou l’autre amélioration, les ONG contestent unanimement la logique de ce système qui repose sur la fiction d’une procédure d’asile équivalente dans les États membres.
Grèce: la Belgique ferme les yeux
Aujourd’hui, à titre d’illustration, les standards d’accueil et de protection des demandeurs d’asile appliqués en Grèce sont tels que le HCR demande aux États européens de suspendre systématique l’application du règlement de Dublin dans le cas des renvois vers ce pays, en raison des lacunes de la procédure d’asile grecque et des risques de traitements inhumains et dégradants.
L’Office des étrangers belge, sous la houlette du Secrétaire d’État à la politique d’asile et d’immigration, refuse quant à lui d’appliquer cette recommandation, considérant que la Grèce est, comme la Belgique, signataire des directives européennes garantes d’une procédure d’asile équitable et d’un accueil de qualité. Et pendant que les juridictions nationales et internationales tentent de s’entendre sur le droit à appliquer, restent au milieu de ce chaos, des hommes et des femmes qui fuient leur pays d’origine dans l’espoir de bénéficier des garanties offertes par des États démocratiques et garants, en principe, des droits de l’Homme.