Que peuvent faire les syndicats face à la concurrence sociale entre travailleurs? Pour Felipe Van Keirsbilck, secrétaire général de la Centrale Nationale des Employés (CNE), c’est le dogme de la compétitivité porté par l’UE qui nourrit le dumping.
Du transport routier à l’Horeca en passant par la construction, le dumping social touche-t-il désormais tous les secteurs de la vie économique?
Plus aucun secteur n’est épargné. Nous sommes dans un processus de diminution systématique des salaires pour une accumulation du capital la plus rapide possible. Toutes les activités qui ne sont pas délocalisables donnent lieu à l’arrivée de travailleurs étrangers que l’on prive du cadre des conventions collectives.
Mais on ne peut pas fermer les frontières aux travailleurs étrangers…
Non, bien sûr, mais en tant que syndicats, nous demandons la protection du modèle social européen et cela passe par l’instauration de règles. On n’est pas dans le tout ou rien. Fermer les frontières ou les ouvrir totalement. À l’échelle de l’Union européenne (UE), une certaine dose de protectionnisme est sans doute nécessaire. Il existe des réglementations tarifaires et l’Europe refuse l’importation de certains produits alimentaires. Alors pourquoi ne pas imposer un cadre réglementaire aux entreprises pour lutter contre le dumping social? Je ne crois pas aux codes de conduite.
Qui doit le faire? L’Europe?Les gouvernements?
Dans la réalité des faits, les gouvernements et l’UE, c’est souvent le même système. On est dans un jeu de miroir et on ne sait pas où est le pouvoir. Les décisions se prennent aux deux niveaux. L’Europe représente en tout cas un périmètre économique suffisant pour mettre en place des règles de protection sociale.
Mais le dumping social est aussi intra-européen…
C’est vrai et au niveau de l’harmonisation sociale, on n’est nulle part. L’Europe est passée d’un modèle productiviste à un modèle prônant la compétitivité qui ne cherche qu’à rendre le travail moins cher.
La compétitivité, c’est l’essence même du dumping social?
Oui. Nous sommes dans la désorganisation voulue. Les multinationales se mettent en chasse du siège le moins cher en Europe sur le plan salarial. Il y a une course vers le bas qui a un impact direct sur la sécurité sociale. Les gouvernements se livrent à une véritable concurrence dans ce domaine, au nom de la compétitivité. Le dumping social, c’est finalement la politique même de l’UE.
Je me moque de savoir si c’est un Belge ou un Bulgare qui travaille sur tel chantier. Ce qu’il faut c’est qu’il soit payé comme il devrait l’être en Belgique
La concurrence oppose aussi les travailleurs les uns aux autres…
C’est tout le problème des migrations intra-européennes. Que doivent faire les syndicats? Défendre les travailleurs belges contre les travailleurs étrangers? Ou lutter contre les inégalités de traitement? Je me moque de savoir si c’est un Belge ou un Bulgare qui travaille sur tel chantier. Ce qu’il faut c’est qu’il soit payé comme il devrait l’être en Belgique. Si on ne défend pas tous les travailleurs de la même manière, on entre dans la logique de Marine Le Pen.
La FEB estime qu’il ne faut pas imposer de nouvelles règles aux employeurs mais intensifier les contrôles. Cela suffit-il?
Les contrôles, il en faut. Mais il faut surtout des règles en amont qui aient pour effet de diminuer la tentation de la fraude. Sinon, on va multiplier à l’infini des contrôles qui fragilisent aussi les travailleurs sans réparer le passé. Les heures non payées ne le seront jamais. L’arme du contrôle me semble illusoire. Ce qui a toujours garanti le progrès social, c’est la capacité des travailleurs à s’organiser eux-mêmes. C’est dans ce sens qu’il faut aller. L’intérêt d’un travailleur wallon est plus proche de celui d’un travailleur indien ou roumain que d’un patron wallon. Je suis découragé de constater que certains syndicats ne déconstruisent pas assez le discours sur la compétitivité et s’engouffrent dans la défense des intérêts particuliers.
C’est de la résignation?
Oui. Ou alors un manque d’esprit critique face au discours dominant.