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110 000 une estimation du nombre d’étrangers en situation irrégulière en Belgique

De tous les chiffres mobilisés pour traiter de l’immigration, l’estimation du nombre d’étrangers en situation irrégulière présents en Belgique est à la fois l’un des plus souvent invoqués, mais aussi l’un des plus sensibles et des plus mystérieux.

Cette estimation devrait être un élément essentiel pour élaborer la politique migratoire du pays et apprécier l’efficacité des mesures mises en place pour encadrer légalement les flux migratoires et lutter contre l’immigration et le séjour illégal. En temps de régularisation, cette estimation du nombre d’étrangers en situation irrégulière devrait plus que jamais être d’actualité. D’une part, il serait souhaitable de connaître le nombre de personnes susceptibles de bénéficier de ladite mesure. D’autre part, il serait souhaitable de connaître la population qui en a été exclue et qui demeurera dans l’illégalité. Dans tous les cas, que l’on souhaite ou non favoriser la régularisation des étrangers en situation irrégulière, disposer d’une information crédible sur ladite population semble donc essentiel au développement d’une politique migratoire éclairée.

La fragilité des données existantes

Les estimations avancées ces vingt dernières années dans l’arène politique et scientifique belge sont extrêmement diverses, s’échelonnant de 40.000 à 200.000. À quelques rares exceptions, elles ne reposent pas sur une méthodologie que l’on peut qualifier de fondée scientifiquement. La plupart de ces estimations sont produites sur la base d’avis d’experts difficilement vérifiables ou sur des hypothèses extrêmement simplistes comme un simple pourcentage de la population étrangère en situation régulière défini de manière ad hoc.

Malgré la croissance du nombre de régularisations humanitaires, le nombre d’étrangers en situation irrégulière ne se résorbe apparemment pas, ce qui confirme l’hypothèse d’une population se renouvelant rapidement.

Sur la période récente, une étude de l’Université Erasme de Rotterdam commanditée par le ministre de l’Intérieur, Patrick Dewael, ressort malgré tout par sa rigueur1. Sur base d’une enquête auprès de 120 personnes en situation irrégulière, les auteurs ont calculé un pourcentage de personnes ayant eu une activité délictueuse ou criminelle et un taux de recours à l’aide médicale urgente parmi ladite population. Le nombre d’étrangers en situation irrégulière arrêtés pour une activité criminelle et le nombre des étrangers en situation irrégulière ayant recours à l’aide médicale urgente étant connu par ailleurs, on peut en déduire deux estimations distinctes, mais convergentes de la population en situation irrégulière : 100.000 à 110.000 si l’on se base sur le pourcentage de personnes engagées dans des activités criminelles, environ 110.000 à 120.000 sur base du recours à l’aide médicale urgente. Dans le cas de la première estimation, les auteurs font toutefois remarquer qu’il s’agit d’une estimation minimale, puisque l’ensemble des coupables de délits n’est pas appréhendé.

Comme souvent lorsque l’on a recours à ce type de méthode fondé sur un multiplicateur, deux éléments sont toutefois à souligner. D’une part, la taille de l’échantillon n’est que de 120 personnes. Le pourcentage de personnes ayant eu une activité criminelle (8,3%) se fonde sur l’interview de seulement 10 personnes et le taux de recours à l’aide médicale (10,8%) sur 13 personnes. La moindre imprécision dans la déclaration peut donc modifier du tout au tout l’estimation. Ainsi, dans le cas de l’estimation de la population basée sur les comportements délictueux, si une personne sur 120 n’a pas déclaré un comportement délictueux, cela diminue de 9% l’estimation; si deux personnes sont dans cette situation, on atteint 17%; avec trois personnes, 23%; avec dix personnes, 50%. Par ailleurs, l’enquête n’a été menée que dans 3 villes, Gand, Anvers et Bruxelles, auprès de 4 groupes (Marocains, Turcs, Congolais et Bulgares). Sa représentativité est par conséquent loin d’être assurée, ce qui peut biaiser tout aussi radicalement l’estimation.

Si la méthode utilisée n’est pas irréprochable, il n’en reste pas moins qu’il s’agit de l’étude la plus satisfaisante jusqu’à présent2. En outre, si un résultat plus satisfaisant n’a pas pu être obtenu, cela tient tout d’abord à l’inexistence en Belgique de données permettant d’avoir recours à la méthode dite « capture-recapture »3 qui avait été initialement envisagé.

Les implications

Soulignons la fragilité des estimations sur un thème pourtant aussi important politiquement, et ce, même dans le cas de l’estimation de 110.000 personnes qui est de loin la plus fondée. Une telle estimation produite de manière isolée n’est pas suffisante et doit être complétée par des études plus fréquentes.

En outre, cette estimation doit être rapportée à un ensemble de données connues par ailleurs. Ainsi, il convient de relativiser la taille de cette population : 110.000 personnes représentaient à peine plus de 1% de la population totale et 12% de la population étrangère en séjour légal à la date de l’enquête. Puisque cette estimation de 110.000 personnes en situation irrégulière pour 2006 est assez similaire aux estimations faites au moment de la campagne de régularisation de 2000-2001, cela signifie que malgré cette campagne et malgré la croissance du nombre de régularisations humanitaires, le nombre d’étrangers en situation irrégulière ne se résorbe apparemment pas, ce qui confirme l’hypothèse d’une population se renouvelant rapidement. 

Notes:
1 Majsa Van Meeteren, Marion van San & Godfried Engbersen, Irreguliere immigranten in België. Inbedding, uitsluiting en criminaliteit, 2007.
2 Pour être tout à fait exhaustif, on soulignera le fait que, sur base d’une enquête auprès de 130 personnes en situation irrégulière dans le cadre de la campagne de régularisation (Adam et al., 2007) et d’une question sur le dépôt ou non d’un dossier de régularisation, des chercheurs belges aboutissaient à une estimation tout aussi convaincante au début des années 2000.
3 Cette méthode est dérivée de la biologie des populations où elle est utilisée pour recenser les populations animales. Michael Jandl (2004) propose une présentation assez simple de son principe : « Pour illustrer, considérons la méthode suivante d’estimation du nombre de poissons dans un étang. Tout d’abord, on pêche 1 000 poissons, on les marque et on les relâche. Par la suite, on capture à nouveau 1 000 poissons et on les examine. Si 100 d’entre eux sont marqués, alors 10% de ce lot correspond à 1 000 poissons, et donc on peut présumer que le nombre de poissons est de 10 000 dans l’étang ». Cette méthode nécessiterait, pour être appliquée à notre population en situation irrégulière, une base de données permettant de saisir précisément le devenir des étrangers arrêtés, notamment leur éventuel éloignement, laquelle base n’existe pas.
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