Le cadre européen de la protection internationale: un chantier en construction

Depuis 1999, un vaste chantier a été ouvert pour bâtir un régime d’asile européen commun. Mais l’affaire se révèle plus ardue que prévu…

Le cadre européen de la protec­tion internationale trouve son fondement dans deux textes: le Traité d’Amsterdam entré en vigueur en mai 1999 et les conclusions du Conseil européen de Tampere d’octobre 1999. L’article 63 du Traité d’Amsterdam précise d’emblée que les mesures adoptées dans le domaine de l’asile doivent être conformes à la Convention de Genève sur le statut des réfugiés. Il détermine ensuite les domaines dans lesquels les mesures doivent être adoptées en matière d’asile. Le Conseil européen de Tampere définit de son côté les objectifs de la politique d’asile. L’ambition est de parvenir “à la mise en place d’un régime d’asile européen commun fondé sur l’application intégrale de la Convention de Genève”. Aussi, et à terme, “les règles communautaires devraient déboucher sur une procédure d’asile commune et un statut uniforme valable dans l’ensemble de l’Union pour les personnes qui se voient accorder l’asile”. 

La Convention de Genève et le principe de non-refoulement  

Plusieurs textes ont été adoptés depuis l’entrée en vigueur du Traité d’Amsterdam. Ceux-ci peuvent être rangés dans deux catégories. La première catégorie regroupe les textes qui ont pour objet de satisfaire aux obligations conventionnelles. En effet, le respect de l’obligation de “non-refoulement” de la Convention de Genève impose de déterminer quelles sont les personnes qui doivent en bénéficier et quelles sont les procédures qui doivent être mises en œuvre en conséquence.

Deux textes ont été adoptés. Le premier, que l’on appelle la directive “qualification” (directive 2004/83/CE), prévoit les conditions d’octroi du statut de réfugié, conformément à la Convention de Genève, ou de la protection subsidiaire, dont le fondement se rapproche notamment de la protection offerte par l’article 3 de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). Le second, appelé la directive “procédures” (directive 2005/85/CE), établit des règles minimales communes relatives aux procédures d’octroi et de retrait de la protection internationale.    

Encadrer les effets de la libre circulation   

La seconde catégorie de mesures regroupe les règles visant à encadrer les effets de la liberté de circulation. Tout d’abord, et dès lors que le demandeur d’asile entre et circule dans un espace sans frontières intérieures, des règlesLa faiblesse de l’harmonisation législative et l’absence de coopération entre les autorités nationales laissent persister d’importantes divergences entre les taux de reconnaissance de la protection internationale des différents États membres. communes doivent déterminer lequel des États membres est responsable du traitement de la demande. Le règlement “Dublin II” (Règlement n° 343/2003) intègre et développe dans le cadre communautaire une convention adoptée antérieurement relative à la détermination de l’État membre responsable d’une demande d’asile.

Ce texte fixe les critères de détermination de l’État responsable et limite par conséquent les phénomènes des “réfugiés sur orbite” ou des demandes d’asile déposées dans plusieurs États membres. Afin de rendre le système plus efficace, un système informatisé appelé Eurodac a été institué (Règlement n° 2725/2000). Il contient les empreintes digitales de demandeurs d’asile afin de faciliter l’identification de l’État membre responsable notamment en cas de demandes multiples.   

Éviter les disparités entre les systèmes européens d’accueil des demandeurs d’asile   

L’espace de libre circulation implique que les conditions d’accueil des demandeurs d’asile soient harmonisées. En effet, des disparités entre les systèmes nationaux pourraient entraîner des mouvements secondaires entre États membres. Une directive pose les conditions minimales d’accueil que chaque État doit offrir aux demandeurs d’asile.

Ces conditions minimales concernent l’information, le logement, les allocations financières, l’accès aux soins de santé, la scolarisation des enfants mineurs et l’accès à l’emploi (Directive 2003/9/CE).  À côté de ces textes de base, le Conseil a également adopté une directive relative à la protection temporaire (Directive 2001/55/CE). En application de ce texte, les États membres peuvent déclencher une procédure exceptionnelle assurant une protection immédiate et temporaire en cas d’afflux massif réel ou imminent de personnes déplacées en provenance de pays tiers. Mais, à ce jour, ce texte n’a jamais été mis en œuvre.   

Un régime d’asile européen commun encore en construction   

Malgré l’existence de ce cadre juridique, les objectifs posés à Tampere, et repris dans le traité de Lisbonne qui fonde désormais la base juridique de l’action européenne, n’ont pas été atteints. La faiblesse de l’harmonisation législative et l’absence de coopération entre les autorités nationales laissent persister d’importantes divergences entre les taux de reconnaissance de la protection internationale des différents États membres. Ainsi, et en pratique, Fondé sur des “normes minimales” communes, le cadre européen de la protection internationale poursuit son développement et doit aboutir à l’émergence d’un régime d’asile européen commun aux États membres de l’Union européenne..

un Irakien a 71% de chance d’obtenir une protection dans un État membre, mais seulement 2% dans un autre État membre. En réalité, l’établissement d’un régime d’asile européen commun n’est pas encore acquis. Sa mise en œuvre nécessite l’approfondissement des règles existantes et l’élaboration de nouveaux mécanismes. Le développement des règles est d’ores et déjà initié dans la mesure où tous les textes ont fait l’objet de propositions de modification de la part de la Commission et sont actuellement en cours de négociation au Parlement européen et au Conseil. Du côté des nouveaux mécanismes, les États membres ont décidé d’instituer un bureau européen d’appui en matière d’asile. Celui-ci, dépourvu de pouvoir décisionnel, devrait notamment avoir pour mission de faciliter les échanges d’informations, d’analyses et d’expériences entre États membres et de développer des coopérations concrètes entre les administrations chargées de l’examen des demandes d’asile. Ce bureau devrait ainsi renforcer la coordination des pratiques et la convergence des décisions nationales et favoriser l’établissement du régime d’asile européen prévu pour 2012.

Dynamiques et perspectives    

Le cadre européen de la protection internationale ne peut toutefois se résumer à ces mesures et doit être mis en perspective. Au regard de sa dynamique interne, tout d’abord, dans la mesure où le juge communautaire aura pour tâche d’interpréter le dispositif juridique, comme il l’a déjà fait, et de structurer par conséquent le cadre de la protection internationale. Au regard de son prolongement externe, ensuite, étant donné que la thématique de l’”externalisation”1 de la politique d’asile figure à l’agenda européen. Elle doit notamment comprendre le renforcement des programmes de protection régionaux et le développement de dispositifs de réinstallation dans les États membres. Au regard des perspectives, enfin, qui figurent dans le programme de Stockholm adopté fin 2009. À ce titre, peuvent être soulignées la possibilité pour l’Union d’adhérer à la Convention de Genève et celle de créer un cadre pour le transfert de la protection des bénéficiaires d’une protection internationale lorsqu’ils exercent leur droit de séjour acquis en vertu de la législation de l’UE. Fondé sur des “normes minimales” communes, le cadre européen de la protection internationale poursuit son développement et doit aboutir à l’émergence d’un régime d’asile européen commun aux États membres de l’Union européenne.  

*Yves Pascouau est docteur en droit et chercheur à l’Institut d’études européennes, Université libre de Bruxelles. Il est également chercheur associé au Centre de documentation et de recherches européennes (CDRE) de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour (France).

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