Latino en Belgique: le regard des autres

Edouardo est arrivé en Belgique en 1996 “par amour”. Après quelques mois de tourisme en  Europe, il tente une réinstallation en Équateur avec sa compagne espagnole. Mais des difficultés, notamment économiques, les font très vite revenir à Bruxelles, où Edouardo vit maintenant depuis quinze ans.

Edouardo raconte. “Quand je suis revenu à Bruxelles pour m’y installer, en 1997, ma vision a changé. Tant que j’étais touriste, tout allait très bien, je trouvais tout fantastique! Mais quand on est dans une vie quotidienne, il faut parler français, il faut trouver un travail, une formation, et la question de la langue devient catastrophique. Et puis je ne savais rien de la Belgique, puisque j’y étais arrivé non par choix, mais pour suivre quelqu’un. J’ai donc commencé à apprendre à vivre ici, à comprendre le fonctionnement du pays, ses multiples niveaux de pouvoirs qui sont une difficulté supplémentaire pour les nouveaux arrivants. Même entre communes, il y a différentes façons de gérer les mêmes problèmes avec les mêmes citoyens!

Marié avec sa compagne espagnole, Edouardo vit légalement en Belgique. Ce qui lui facilite évidemment beaucoup de choses, mais ne lève pas tous les obstacles, notamment celui de l’accès à l’emploi. “Sans parler français, ça a été très difficile de trouver du travail. Alors j’ai fait comme font les gens qui sont dans mon cas: j’ai fait des travaux chez des particuliers, de peinture, de nettoyage… En noir, bien sûr. À cette époque, on n’en était pas encore aux titres-service et tout ce qui était travail domestique se faisait au noir. C’était très dur, on voit le monde à partir du dernier barreau de l’échelle… Une fois que j’ai commencé à parler français, j’ai pu trouver des boulots un peu plus intéressants, serveur, ou même “femme de chambre” dans un hôtel… Mais ça restait peu gratifiant, juste alimentaire. Et ça a duré longtemps, quatre années. Ce type de petits boulots précaires devient vite un cercle vicieux dont il est très dur de sortir. Comme on n’est pas bien payé, on est obligé de travailler beaucoup pour gagner de quoi vivre. On est très fatigué quand on rentre chez soi, ça ne laisse aucune place pour tenter de trouver autre chose. Je connais des gens qui sont depuis trente ans dans cette situation! Un jour, je me suis dit que ce n’était pas pour ça que j’étais venu ici et j’ai décidé de tout arrêter d’un coup. Je préférais ne plus manger que de continuer à vivre comme ça.

Intégré, sauf que…

Edouardo s’investit pleinement dans sa formation: cours de français, d’informatique pour terminer les études qu’il avait entreprises à l’Université de Quito dans ce domaine, permis de conduire…
Mais je me suis heurté à une nouvelle difficulté: le niveau d’éducation générale est beaucoup plus élevé en Belgique que chez nous. Je pensais avoir un bon niveau, mais ce n’était pas le cas. Par exemple, tout le monde parle plusieurs langues ici, ce qui contribue aussi à une plus grande ouverture d’esprit. Le niveau social et économique est globalement plus élevé, ce qui fait aussi que tout le monde, ou à peu près, peut étudier sans devoir se préoccuper de la survie quotidienne. J’ai eu des moments très durs, mais j’ai réussi à surmonter les difficultés, je suis arrivé à communiquer d’égal à égal avec les autres. Ça a bouleversé ma vision de moi-même et du monde.” Couronnement de tous ces efforts, Eduardo enfin pu trouver un “vrai” travail, comme responsable d’un bureau de change, puis s’est installé comme indépendant dans le même domaine.

Installé depuis plusieurs années, parlant le français, travaillant, Robinson officialise son intégration en obtenant la nationalité belge.

Quand j’ai rempli les documents pour faire ma demande, une des questions posées était “Pourquoi voulez-vous avoir la nationalité belge?” La réponse qui m’est venue est que quand je quitte la Belgique, elle me manque. C’est ce que j’ai répondu. C’est devenu mon pays.

Intégré, il l’est Edouardo, sans aucun doute. Sauf que, “avec les gens, au quotidien, c’est plus compliqué. Moi je me sens Belge, j’aime la Belgique, mais les gens me font me sentir étranger, c’est là le problème. Au regard des autres, je suis un étranger, quelqu’un qui est mauvais, dont on a peur… Récemment, je suis allé chercher quelqu’un à la gare. Je me suis approché comme tout le monde du tableau des horaires, et une personne a serré son sac contre elle pour se protéger du voleur que j’étais sans doute. Ce sont des choses qui arrivent tout le temps. La première fois, on se sent très mal. Maintenant, je suis habitué. Je sais que je ne suis ni blanc, ni blond aux yeux bleus… Quand j’entre dans un magasin, les agents de sécurité me regardent directement. Moi je me sens tout à fait intégré, mais les autres me signifient que je ne le suis pas.

Un instrument de contrôle

Ce qui pose la question de ce que signifie vraiment être intégré. Le questionnement et les réponses de Edouardo sont tranchants. “Est-ce que vous pouvez vous dire intégré quand les autres vous disent que vous l’êtes? Sur quoi vont-ils juger mon degré d’intégration? Je fais comme tout le monde, je travaille, je porte un anorak en hiver et un tee-shirt en été. Mais est-ce que faire comme tout le monde c’est être intégré? Je ne sais pas ce que c’est, l’intégration. Je crois que c’est une invention politique où on demande aux gens quelque chose qui n’existe pas, où on instaure des règles dont on sait qu’on ne pourra pas les respecter. Si vous allez en Équateur et que je vous dis que vous devez vivre exactement comme moi, ça ne va pas aller. Vous devrez aller à l’église toutes les semaines parce que tout le monde le fait là-bas. Et si vous ne le faites pas, on vous dira que vous n’êtes pas intégré? Mais ce n’est pas ça être intégré. L’intégration au sens politique est un instrument de contrôle sur ceux qui sont différents. C’est tout.

Serait-ce qu’il ne soit jamais possible d’être considéré comme intégré? Question complexe, dit Edouardo, où se mêlent manque de connaissance, de volonté d’information et d’ouverture à l’autre. “Quand je rencontre mes amis équatoriens ici, on parle des mêmes choses, on a les mêmes problèmes, les mêmes préoccupations et on a la même réponse, c’est-à-dire qu’on n’a pas de solution! Pour nous tous, c’est difficile de vivre ici, de trouver un travail correct. Quand on se présente pour un emploi, on nous demande plus de qualifications que pour les Belges, qu’on n’a pas, évidemment… On sent sans cesse une différence de traitement, une discrimination. Et ça, c’est très dur. C’est comme si on avait un cachet sur le front: les Latinos sont de bons danseurs, de grands séducteurs, leurs filles sont belles, ils savent faire la fête… mais pas grand-chose d’autre. On échappe difficilement aux stéréotypes, et les médias n’aident pas à les dépasser. Il y a deux ans, j’ai décidé de fonder un journal, “Latinos.be”. Mon objectif était de me voir à travers les yeux des autres. Je voulais savoir comment les Belges, les Marocains, d’autres communautés immigrées, percevaient les Latinos. Et j’ai appris, ou confirmé, que la majorité des gens ne connaît rien sur les Latinos, sauf quelques clichés. Et, encore plus décevant, qu’ils ne cherchent pas à mieux s’informer. C’est grave, parce que la méconnaissance de l’autre est la base du racisme.

Propos recueillis par Laurence Vanpaeschen

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