Au sortir de la lecture de ce numéro de migrations|magazine sur les Roms, on voit combien la question est plus complexe qu’il n’y paraît. Et combien toute parole prononcée sur ce qu’on pense être leur réalité contribue à une construction intellectuelle sur la question qui peut passer totalement ou partiellement à côté de cette réalité.
Réaffirmer un truisme est donc nécessaire mais ne suffira pas : ce que l’on nomme la communauté “rom” ne renvoie en aucune façon à un groupe homogène sur le plan social, culturel, ethnique… Comment s’y retrouver alors? Non pas pour décider d’où “classer” cette question, mais pour décider de ce qu’il faut dire, faire, revendiquer et mettre en place pour aider les familles roms qui viennent “échouer sur les rivages” de certaines villes belges (certains espaces publics bruxellois). Les aider d’une façon qui soit à la fois efficace, c’est-à-dire qui les soustraie au dénuement le plus total dans lequel elles nous apparaissent, et qui les respecte, c’est-à-dire qui ne conditionne pas l’aide apportée à l’adoption de (tous?) nos standards de vie?
En faire ou non une “question rom”?
Difficile de ne pas être sensible à des points de vue d’experts développés dans ce numéro qui invitent à ne pas y voir une question culturelle mais bien une question sociale, qui invitent à voir d’abord la situation des Roms, dans leurs pays d’origine et ici, comme révélatrice de la désintégration sociale provoquée par le néolibéralisme. Oui, fort probablement, “la question rom, à défaut de parler des Roms, joue un rôle de cache-misère dans une Europe sociale délabrée”. Mais après avoir énoncé ça, qu’est-ce qu’on fait?
Les Roms posent des questions de migration et d’intégration en sentinelles de tous les autres migrants que chaque être humain peut devenir un jour ou l’autre
Si l’on suit ce chemin, ça veut dire qu’il n’y a pas aujourd’hui de traitement particulier à leur octroyer et que leur droit de séjour ici ne peut être examiné qu’à l’aune des dispositifs traditionnels. Soit : examen de leur besoin de protection et, si la réponse s’avère négative, examen du droit au séjour au regard de la législation actuelle sur le droit de circulation et d’installation dans l’espace européen, basé principalement sur leur capacité à vivre, s’installer ici et y trouver leurs moyens de subsistance sans constituer une charge déraisonnable pour le pays d’accueil.
Et là, on est rapidement dans l’impasse. Pour partie d’entre eux – ceux qui sont visibles sur l’espace public et qui mendient au coin des rues – on sait que l’attente sociétale qu’ils s’insèrent et travaillent ne sera que très difficilement rencontrée. Et ce, non parce qu’ils ne le veulent pas, mais parce que les métiers d’artisans, de ferronniers et autres qu’ils occupaient et qui leur permettaient de trouver à subsister – ici, là-bas et en situation de transhumance – n’existent plus. Ils ont été désintégrés en même temps que bien d’autres, ce qui amène une partie de la population ouvrière native ou installée de longue date en Belgique à se retrouver également recluse au chômage ou au CPAS…
Ça se passe près de chez nous…
Alors, devons-nous aider les Roms en en faisant une catégorie spécifique? Ou devons-nous les traiter comme tout citoyen européen (lorsqu’ils le sont)?
“Les Roms posent des questions de migration et d’intégration en sentinelles de tous les autres migrants que chaque être humain peut devenir un jour ou l’autre” énonce François De Smet dans sa chronique. Cela signifie qu’être attentif à leur situation est indispensable pour préserver le projet de construction d’une Union européenne qui se dit démocratique et solidaire. Ne pas les laisser être traités comme ils le sont par certains États européens, à l’Est comme à l’Ouest.
Et, bien entendu, “prendre fidèlement sa part” dans l’accueil des plus vulnérables, qu’ils soient Roms, Kurdes, venus d’Europe ou d’ailleurs…
À charge de notre gouvernement et de ceux des autres États membres de construire dans le moyen terme un espace européen réellement solidaire, démocratique et qui offre des perspectives de vie digne à tous ses citoyens, y compris aux Roms. Et on est loin du compte.