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La “régul” contre le travail au noir?

Les travailleurs sans papiers sont d’abord des travailleurs. C’est pour cette raison que les syndicats sont solidaires, les soutiennent et les aident à s’organiser. Que pensent-ils de la perspective d’une “régularisation par le travail”? Entretien avec deux responsables de la FGTB et de la CSC.

La CSC et la FGTB ont toutes les deux mis en place des permanences pour répondre aux questions des sans-papiers et pour les aider à compléter leur demande de régularisation.

Est-ce que cette position de première ligne vous donne déjà une idée du nombre de personnes qui bénéficieront d’une régularisation par le travail?

A. Rodriguez (AR): Pour le moment, il est difficile de déterminer le nombre de personnes qui seront régularisées par le travail.Il faut éviter les structures de sous-traitance complexe qui compliquent le travail de l’Inspection sociale et des syndicats. Et, pour cela, instaurer la responsabilité solidaire sur toute la chaîne de sous-traitance. Mais il est clair qu’avec la crise actuelle, les sans-papiers ont beaucoup de mal à trouver un travail grâce auquel ils pourront être régularisés.

J.-F. Macours (JM): Sans compter le phénomène des “faux contrats” payés au prix fort. Certaines personnes payent parfois 6.000 € à 9.000 € pour obtenir un contrat de travail. Et puis, il y a les contrats qui sont conclus en échange du remboursement des cotisations patronales par le travailleur.

D’aucuns parlent d’une mesure peu réaliste? Les délais, le dispositif…

AR: Les délais sont très courts. Les sans-papiers ont trois mois pour trouver un contrat de travail. La procédure à suivre pour la régularisation par le travail est très difficile et pas réaliste. Par exemple, le fait que les employeurs ne savent pas quand ces travailleurs obtiendront réellement leur carte de séjour et leur permis de travail. Un patron qui a besoin d’un travailleur ne va pas attendre 3 à 6 mois pour l’engager.

C’est pour ça que les employeurs se méfient de cette mesure?

AR: Aucune campagne d’information pour les employeurs n’a été organisée par le gouvernement. Les employeurs sont très mal informés. L’employeur qui engage un sans-papiers plutôt qu’un travailleur belge se voit imposer des conditions supplémentaires. Par exemple, en cas de maladie, l’employeur doit à prendre en charge l’assistance médico-pharmaceutique et l’hospitalisation du travailleur.

JM: Le premier frein à la régularisation par le travail est le refus des employeurs de faire les démarches prévues. Ensuite il y a ceux qui veulent éviter les frais qu’occasionne la signature d’un contrat de travail en bonne et due forme…

Quels sont les secteurs où l’on trouve le plus de travailleurs en séjour irrégulier?

AR: Le travail en noir se développe dans des secteurs qui ne sont pas soumis à la concurrence internationale et qui ne sont pas “délocalisables”. Ces emplois à bas prix s’apparentent à des “délocalisations sur place”. Dans ces secteurs, les employeurs cherchent à réduire le coût du travail par le travail irrégulier, vu qu’ils ne peuvent pas le réduire par la délocalisation.

JM: D’après le Service d’information et de recherche sociale (SIRS), les secteurs les plus touchés par ce type de fraudes sociales sont l’horeca (46%), le nettoyage (32%), l’alimentation (27%), l’agriculture (20%).

On associe généralement le travail au noir aux personnes en séjour illégal. N’est-ce pas pas un peu réducteur?

JM: On dit en général que les travailleurs étrangers en séjour irrégulier ne représentent pas plus de 10% de la totalité du travail au noir.

AR: Si on ajoute à cela que, selon des estimations européennes, le travail au noir concerne 6% de la population active belge, on en conclut qu’en Belgique, le travail des étrangers en séjour irrégulier représente 0,6% de l’ensemble du travail presté.

Mais cette mesure va-t-elle réellement permettre de lutter contre le travail au noir?

AR: Dans certains secteurs, une partie du travail au noir pourra être blanchie. Mais dans d’autres non. On ne peut pas dire que cette mesure permette véritablement de lutter contre le travail au noir. Si on avait vraimentIl faut s’attaquer aux racines du travail illégal et voir quelles sont les implications pour les travailleurs et pour les secteurs économiques concernés. voulu éviter l’exploitation des travailleurs clandestins, il aurait mieux valu réfléchir à une possibilité de régularisation permanente par le travail, avec des conditions à préciser. En France par exemple, il existe un article dans la loi que les syndicats utilisent pour permettre aux travailleurs sans-papiers exploités par des employeurs peu scrupuleux d’être régularisés. La CGT est parvenue à faire régulariser 1400 sans-papiers qui ont fait grève sur leur lieu de travail.

En quoi la situation des travailleurs sans-papiers diffère-t-elle de celle des Belges ou étrangers en séjour régulier qui travaillent au noir?

JM: Les travailleurs en séjour irrégulier sont plus vulnérables. Non seulement ils risquent d’être éloignés du territoire, mais en plus, leurs droits sociaux auront été bafoués sans qu’il soit possible de régulariser leur situation sur le plan de la législation sociale. Ces personnes ne sont généralement pas en contact avec les syndicats du fait de l’émiettement de la chaîne de sous-traitance en entreprises devenue trop petite pour qu’une présence syndicale réelle y soit possible. Mais aussi à cause de la complexité de cette chaîne dans laquelle il est parfois difficile de savoir de quel employeur relève tel ou tel travailleur. Les secteurs concernés sont caractérisés par un haut niveau de sous-traitance…

C’est donc du côté de la chaîne de sous-traitance qu’il faut agir pour lutter contre le travail au noir?

JM: Il faut éviter les structures de sous-traitance complexe qui compliquent le travail de l’Inspection sociale et des syndicats. Et, pour cela, instaurer la responsabilité solidaire sur toute la chaîne de sous-traitance. Ce type de politique devrait être mis en place au niveau européen, mais c’est compliqué. L’Union européenne travaille à l’élaboration d’une directive sur la question de la responsabilité en cascade. Mais malheureusement, on s’oriente vers une limitation de la responsabilité uniquement au premier échelon de sous-traitance.

Les conditions dans lesquelles travaillent les sans-papiers entraînent-elles une concurrence déloyale et un nivellement par le bas des conditions de travail des autres travailleurs?

AR: Par analogie avec ce que disent les économistes à propos de la monnaie, on peut dire que “le mauvais travail – autrement dit le travail en noir – chasse le bon”. La multiplication d’emplois infrasalariés, sans paiement des cotisations de sécurité sociale, crée une concurrence déloyale à l’égard des postes de travail déclarés avec paiement de cotisations de sécurité sociale.

JM: C’est pour cela que tous les employeurs d’un secteur doivent respecter les mêmes règles, dont celles relevant du droit du travail. Dans ce cas, il sont sur le même pied et la concurrence devient loyale. Cela implique bien sûr des contrôles, donc des services de contrôle, donc des impôts, ce qui n’est pas très populaire et demande pas mal de pédagogie.

Le travail illégal des étrangers en séjour irrégulier est-il nécessaire à la survie de notre économie?

AR: Je récuse l’idée que notre économie dépende du travail irrégulier ! Si vous suggérez par là que notre économie a besoin des travailleurs irréguliers pour pouvoir fonctionner, je ne suis pas d’accord. Par contre, c’est sûr que la pression est réelle. La recherche du profit maximum entraîne une diminution toujours plus importante des salaires, soit en laissant planer la menace d’une possible délocalisation et la mise en concurrence internationale des travailleurs, soit en ayant recours au travail irrégulier, qui constitue une mise en concurrence des travailleurs dans les secteurs protégés.

JM: Je ne peux pas le croire… Il faut s’attaquer aux racines du travail illégal et voir quelles sont les implications pour les travailleurs et pour les secteurs économiques concernés. Les règles sociales doivent être respectées. Pour cela, il faut des services d’inspection efficaces. Et à l’échelle de la planète, la question principale porte sur la formalisation de l’économie informelle. Les syndicats veulent que les normes de l’Organisation internationale du Travail soient respectées sur le terrain ce qui est loin d’être évident… 

Entretien réalisé par François Corbiau et Mikael Franssens (CIRÉ)

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