La Croix-rouge, les hôtels et les casernes

Entretien avec Billy Jungling,directeur du département “Accueil des demandeurs d’asile” de la Croix-Rouge. Un des principaux acteurs associatifs de l’accueil dénonce les solutions de fortune.

Outre l’ouverture des places d’urgence, la Croix-Rouge était également présente dans les hôtels où sont hébergés des demandeurs d’asile. En quoi consistait ce mandat qui a été assuré jusqu’à la fin du mois de mars 2011?

Le département “Accueil des demandeurs d’asile de la Croix-Rouge” (ADA) a été mandaté à l’automne 2010 pour effectuer une mission dans les 22 hôtels bruxellois où sont hébergés des demandeurs d’asile pour une durée de 6 mois. Outre faire un état des lieux de la situation et des besoins, notre mandat consistait à mettre en place un accompagnement social et juridique mais aussi un accompagnement médical de première urgence. Nous avons fait également un travail particulier avec les femmes enceintes et les enfants. On apportait des langes, des biberons et du lait en poudre… Nous allions en moyenne une fois par semaine dans chaque hôtel.

Après 6 mois de présence dans ces hôtels, quel bilan dressez-vous de la situation des demandeurs d’asile qui y vivent?

En premier lieu, nous avons constaté que les personnes étaient très mal informées de leurs droits et du déroulement des procédures. Nous leur avons donc donné des informations sur la procédure et les avons renvoyées vers les permanences juridiques organisées par les associations spécialisées. Nous avons orienté certaines d’entre elles vers des centres médicaux ou des hôpitaux. Il y avait aussi des personnes qui avaient des problèmes psychologiques qui se retrouvaient là, sans aucun suivi… Enfin, nous avons assuré un accompagnement de type social, le suivi par rapport aux enfants, à leur scolarité…

Dans les hôtels, est-ce que c’est le grand “luxe” comme certains le font croire?

À côté de l’accompagnement prévu initialement, nous avons dû répondre à des besoins tout à fait élémentaires. Aujourd’hui, la situation est à nouveau extrêmement préoccupante. Mais j’ai presque envie de dire qu’on le savait… Parce que dans les hôtels, à part la chambre, il n’y a rien. Les gens dormaient dans des petites chambres avec des lits superposés.Ils n’avaient donc pas vraiment d’espace pour bouger et vivre. Il y avait même des familles qui ne se connaissaient pas et qui étaient obligées de dormir dans la même chambre. En ce qui concerne l’hébergement et les infrastructures, la réalité est très différente d’un hôtel à l’autre.

La situation de certaines personnes était réellement préoccupante…

C’est le moins que l’on puisse dire. Dans certains hôtels, les demandeurs d’asile n’avaient pas de quoi se faire à manger. Les personnes recevaient un chèque-repas de 6 euros par jour de FEDASIL. Certains demandeurs d’asile n’ont mangé pratiquement que du pain pendant un an… Parfois, certains hôtels étaient conciliants et donnaient un petit coin cuisine… Alors les demandeurs d’asile se débrouillaient comme ils pouvaient…

Comment FEDASIL réagissait-elle face aux différentes interpellations que vous avez faites sur la situation dans les hôtels?

Quand nous constations un problème, nous en faisions rapport à FEDASIL qui ensuite interpellait le propriétaire de l’hôtel. Par exemple, il nous est arrivé de trouver une famille de quatre personnes qui dormaient dans un seul lit double. Un état des lieux de la situation était transmis à FEDASIL qui, en général, réagissait. Mais ça prenait parfois du temps. Sur base des informations que nous ramenions de nos visites, FEDASIL a mis en place un comité d’accompagnement dans les hôtels. Tous les quinze jours, un état des lieux de la situation dans les hôtels était dressé. À ce moment-là, FEDASIL a assuré un meilleur suivi des situations que nous leur rapportions.

En septembre 2010, la Croix-Rouge signe avec FEDASIL une convention portant sur l’ouverture de places d’urgence devant permettre de faire face à la crise de l’accueil. De combien de places parle-t-on?

La Croix-Rouge et la Rode Kruis se sont engagées à ouvrir 2200 places. De notre côté, nous avons ouvert environ 1200 places, avec notamment 550 places à Bastogne, 195 à Gembloux et 550 à Bierset. Là, certaines ailes du bâtiment doivent encore être ouvertes, ce qui devrait permettre de créer encore 150 places sur ce site.

Les places d’urgence devaient être opérationnelles pour le 1er décembre 2010. Pourquoi tout ce temps?

Parce qu’on a perdu beaucoup de temps à trouver les sites appropriés ! Le gouvernement nous Problèmes de sécurité ou de voisinage, bâtiments pas aux normes, présence d’amiante, on avait un peu l’impression que tous les moyens étaient bons pour retarder la mise en place des centres d’urgence. avait promis des casernes mais beaucoup d’entre elles ne convenaient pas ou n’étaient pas disponibles.Le ministère de la Défense a pris son temps. Ensuite, quand certains sites étaient enfin identifiés, bien souvent ils n’étaient pas opérationnels. Il a fallu régler la question des sanitaires qui étaient la plupart du temps soit insuffisants, soit défaillants. Nous avons fait venir des préfabriqués pour les douches et les WC. Nous avons aussi parfois dû faire des travaux dans l’urgence pour réaménager les lieux. On n’imagine pas tout ce que ça implique au niveau logistique…Tout ça prend du temps!

Et une fois les lieux identifiés et opérationnels encore fallait-il du personnel pour les gérer. Comment avez-vous procédé?

Rien que du côté francophone, nous avions calculé qu’il nous fallait 110 personnes pour gérer l’ensemble de ces nouveaux sites. Face à l’urgence, nous avons d’abord fait venir des personnes qui travaillaient déjà dans les autres centres de la Croix-Rouge. Pour le reste, nous avons fonctionné principalement avec des intérimaires. Il est vrai que le personnel n’était pas réellement formé, mais nous devions agir dans l’urgence.

Un autre aspect est revenu régulièrement dans la presse : l’opposition des autorités locales quand on annonçait l’ouverture d’un centre sur le territoire d’une commune…

C’est clair qu’après l’annonce de la mise en place d’un centre d’accueil d’urgence dans une commune, un vrai travail de discussion et de négociation avait lieu avec les autorités locales. En général, elles ne manquaient pas de faire part de toute leur perplexité tant dans la presse que lors des rencontres que nous avions régulièrement avec elles.

À tel point qu’on a parfois eu l’impression que la volonté de mettre les autorités locales devant le fait accompli était stratégique…

La première réaction est très souvent négative, raison pour laquelle nous avons multiplié les rencontres avec les autorités locales. Sans compter les réunions d’information avec les riverains. Ce qui avait été bon pendant des années pour des militaires devenait tout à coup problématique pour des demandeurs d’asile ! Problèmes de sécurité ou de voisinage, bâtiments pas aux normes, présence d’amiante, on avait un peu l’impression que tous les moyens étaient bons pour retarder la mise en place des centres d’urgence. Par exemple à Gembloux, on a carrément dû arrêter le chantier parce que, semblait-il, nous n’avions pas de coordinateur de chantier. Ce qui nous a fait prendre du retard. Passé tous ces préalables, on a travaillé comme des dingues, pratiquement 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 pour certains. Le personnel et les bénévoles ont fait tout ce qu’ils ont pu et en quinze jours les places étaient prêtes.

Ces places d’urgence ont apporté provisoirement de l’oxygène au réseau d’accueil. Mais 4 mois après la mise en place de ces mesures, on constate que le réseau est à nouveau totalement saturé et que des personnes risquent encore de ne pas recevoir de places d’accueil…

Oui. Aujourd’hui, la situation est à nouveau extrêmement préoccupante. Mais j’ai presque envie de dire qu’on le savait… Nous avions à l’époque passé une sorte de “gen­tlemen’s agreement” entre le gouvernement, FEDASIL, les instances d’asile et nous. Nous étions censés agir sur le problème pris dans sa globalité. Nous avions dit dès le départ que l’ouverture des places d’urgence ne serait pas suffisante, qu’il fallait également agir sur le traitement des demandes d’asile, faire des campagnes de sensibilisation dans certains pays, mais qu’il fallait aussi que les Initiatives locales d’accueil (les ILA) ouvrent les 2.000 places demandées. Sans ça, on savait tous que la crise de l’accueil ne serait pas réglée. Nous avons ouvert les places d’urgence mais le reste n’a pas suivi… Mais si c’était à refaire, je le referais sans hésiter parce que ce travail que nous avons mené durant l’hiver 2010-2011 était indispensable face à la crise humanitaire à laquelle la Belgique a été confrontée. 

Propos recueillis par François Corbiau

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