Prendre un verre et discuter de la situation des sans-papiers en Belgique. C’est le pari que font les migrants et leurs soutiens en lançant la “100 pap”, une bière solidaire destinée à financer leurs actions et à sensibiliser… sans modération.
C’est lors d’une rencontre entre les sans-papiers et leurs soutiens que l’idée a germé. “On réfléchissait à d’autres modes d’actions que les occupations précaires de bâtiments et à la façon de les financer, se souvient François Halleux, l’un des initiateurs de ce projet. Lors du tour de table en début de réunion, quelqu’un a crié: “Mince, on a encore oublié les bières !”. Tout le monde s’est regardé: c’est là que l’aventure a commencé.”
Une bière brassée avec sagesse…
Deux options s’offraient aux sans-papiers: commercialiser de la bière déjà brassée ou brasser leur propre bière. “On leur a posé la question et ils nous ont répondu les 2 !”, sourit François Halleux. Rapidement, des groupes de travail sont mis sur pied. “On les accompagne dans cette aventure mais ça reste leur projet”, insiste le membre du comité de soutien.
L’Or du Temps
L’Or du Temps aura connu maintes recettes, brasseurs et lieux de brassage. Elle n’est pas unique mais multiple. A chacun son interprétation… Désormais sa recette est fixe. Avec 100% de malt Pale Ale pour lui donner cette belle couleur d’Or et ses 6% d’alcool. De la coriandre et de la baie de genévrier pour l’épicer et nous rappeler nos racines brassicoles. Un houblon fruité, le mosaic, qui lui confère un petit goût d’Amérique. Finalement, la levure neutre us05 qui s’exécute humblement en laissant les autres ingrédients s’harmoniser. L’Or du Temps est brassée à la Brasserie Coopérative de la Lesse à Eprave, notre partenaire de coeur avec qui nous aimons travailler.
Ils prennent alors contact avec plusieurs micro brasseries. Elles étaient toutes intéressées mais n’étaient pas en mesure de répondre immédiatement à la demande. “Tout ça s’est fait un peu par hasard“, explique Antoine Lavis de “J’irai brasser chez vous”. Ils cherchaient une belle quantité de chopes solidaires, pas chères et pour hier ! Moi j’avais encore un stock d’ambrée disponible. Ils l’ont goûtée, elle leur a plu.” Quelques semaines plus tard, la “100 pap” voyait le jour.
Ils cherchaient une belle quantité de chopes solidaires, pas chères et pour hier ! Moi j’avais encore un stock d’ambrée disponible. Ils l’ont goûtée, elle leur a plu.” Quelques semaines plus tard, la “100 pap” voyait le jour.
“À la base c’est un ami de la brasserie l’Illégal qui m’a parlé du projet un jour où on était en voiture. Eux ne pouvaient pas répondre à la demande à ce moment-là. Les sans-papiers voulaient une belle quantité, moi j’avais de la bière que j’écoulais tranquillement, je les ai contactés“, se souvient Antoine Lavis. “Je l’ai fait parce que j’avais envie de soutenir le projet et d’aider ces personnes. Avec mon travail, je n’ai pas beaucoup le temps de m’engager. J’avais déjà prêté ma camionnette pour amener du matériel à une occupation. Avec la bière, c’était un truc où je pouvais avoir un petit impact. Il se fait qu’ils l’ont goûté, la bière leur a plus, et on s’est lancé dans l’aventure.“
… se déguste avec savoir
Si l’idée est de financer des actions, la “100 pap” vise aussi à attirer l’attention sur la situation des sans-papiers en Belgique. “Beaucoup de sans-papiers ne boivent pas de bière mais s’investissent dans ce projet parce qu’ils pensent que c’est une façon de toucher la population belge“, explique François Halleux. “Les politiques ont rendu ces questions clivantes mais avec la “100 pap”, on propose de les aborder autrement, autour d’un verre. Ça permet de créer un moment d’échange et de convivialité où chacun peut s’exprimer et raconter son expérience.“
“Les politiques ont rendu ces questions clivantes mais avec la “100 pap”, on propose de les aborder autrement, autour d’un verre.
Sur le stock de 5.000 bouteilles disponibles, près de la moitié a déjà été écoulée, essentiellement lors des événements de soutien aux sans-papiers. “Les gens apprécient son goût. On a déjà récolté environ 7 000 euros avec la vente des 2 300 premières bouteilles. Et sans faire de pub ! À ce rythme, on arrivera vite au bout des 5 000“, s’inquiète François Halleux. “L’idée est d’élargir le cercle et de la rebrasser dès qu’on peut. Mais un brassin, c’est 20 000 euros pour 6 000 litres de bière.” Pour y parvenir, les sans-papiers et leurs soutiens pensent à un financement participatif. Et, à terme, lancer une coopérative.
Antoine Lavis, lui, est un brasseur heureux: “Tant mieux si la bière plaît. Savoir que la plupart des bouteilles ont déjà été écoulées, c’est super. Moi ce que j’aime c’est le bouche-à-oreilles. Ca veut dire que les gens la goûtent, l’apprécient et en redemandent. C’est ma petit satisfaction personnelle, mon petit orgueil. Dans cette affaire, je ne suis que le producteur intermédiaire mais pas le distributeur. Ils ont lancé leur projet et moi je les ai aidés. Ils voulaient même acheter les droits de la recette mais c’est impossible parce qu’on ne peut pas breveter une recette.»
C’est lors d’une réunion du comité de soutien aux sans-papiers que l’idée de cette bière a germé ?
F.D.H.: On se demandait si on allait passer notre vie à faire des occupations tous les 3 mois ou s’il ne fallait pas mettre en place des solutions plus durables. On était arrivé au constat que pour louer un bâtiment ou signer des contrats d’occupation précaires avec des propriétaires, il faut des moyens. C’est là qu’est née l’idée de vendre une bière pour financer les besoins du mouvement. L’objectif n’est pas que de renflouer les caisses des mouvements de sans-papiers.
Ce projet poursuit aussi clairement un objectif de sensibilisation. Un projet de ce type mené par et avec les sans-papiers, c’est pas banal?
F.D.H.: On a mené ce projet comme on travaille avec les sans-papiers et leur mouvement. On est là pour les accompagner mais ça reste leur projet. On a crée cinq cellules opérationnelles: IT/logistique, finances, com, coordination et le “shop” en charge de la gestion de l’entrepôt et des contact avec les clients. On se donne 3 ans pour ce projet: la première année on lance le projet avec eux. La deuxième, ils s’en emparent. Et la troisième, on est là plus que pour les soutenir au cas où.
La “100 pap” est une bière brassée pour les sans-papiers alors que la plupart n’en boivent pas. C’est pas un peu paradoxal ?
F.D.H.: C’est ça qui est vraiment intéressant avec ce projet ! Certains sans-papiers ne boivent pas de bière, ils sont musulmans par exemple ! Mais ils se disent qu’on est en Belgique, que les Belges boivent de la bière. Ils portent ce projet parce qu’ils sont persuadés que c’est une façon de toucher la population belge en espérant l’amener à parler de la question des sans-papiers de manière plus positive. Et ça marche ? F.D.H.: Oui ! Par exemple je connais des “fachos” qui l’ont goûté, appréciée et avec qui, du coup, on a pu entamer un dialogue sur la question des sans-papiers. Rien que ça, c’est déjà intéressant .
Face au succès de cette bière, le projet prend de l’ampleur. Il ne s’agissait pas d’un “one shot” au départ?
F.D.H.: On a vite senti que ce projet allait prendre de l’ampleur. On a reçu plusieurs soutiens comme celui des Acteurs des Temps présents. On va aussi se faire encadrer par la SAW-B, spécialisée dans la réalisation de projet de ce type en économie sociale. On a besoin de nous faire encadrer, tant en terme d’organisation que de coordination et de compétences financières.
J’irai brasser chez vous ou comment brasser une bière à domicile
J’irai Brasser Chez Vous, c’est l’histoire de deux brasseurs itinérants désireux de transmettre l’art du brassage. De chaumière en foire, ces brasseurs modernes enseignent la théorie et la pratique du brassage de bières. Fermentée à domicile, chaque bière brassée est unique ! Parmi celles-ci, une a retenu particulièrement l’attention des sans-papiers à tel point qu’ils l’ont choisie pour leur cuvée: l’Or du temps.