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“J’assume et j’y crois”

C’est à un jeune Secrétaire d’État déjà en charge du budget que revient le soin de mettre la”régul”sur ses rails après un an d’immobilisme de celle qui l’a précédé à cette fonction, la libérale flamande Annemie Turtelboom.

Dans le dossier “régularisations”, vous devez assumer un compromis politique durement négocié. Si vous aviez pu décider seul, le résultat aurait-il été le même?

Sans doute que non, mais c’est une question théorique. Je pense vraiment qu’en fonction des contraintes et des rapports de force politiques, on est arrivé à la meilleure proposition possible. Je l’assume et la défends sans réserve. Mais il y a, dans ces mesures, plusieurs notions nouvelles qui doivent encore être mises à l’épreuve.Il faudra encore perfectionner le mécanisme de régularisation vers plus de transparence, de clarté, d’objectivité tout en conservant le pouvoir d’appréciation dans le chef du membre du gouvernement en charge de la matière.

Par exemple?

La “tentative crédible” ou l’”ancrage local durable”. Pour cette ­dernière notion, on a été aussi loin que possible dans la définition: volet linguistique, employabilité, auto-suffisance économique, liens sociaux… Mais l’analyse des dossiers concrets nous confrontera sans aucun doute à des situations auxquelles on n’avait pas pensé.

C’est la Commission consultative des étrangers qui devra affiner la définition?

Ce travail revient d’abord à l’Office des étrangers et à mon cabinet. La Commission consultative des étrangers ne doit être consultée qu’en cas de nécessité. Mais je n’hésiterai pas à y faire appel pour enrichir les points de vue afin de prendre in fine la meilleure décision possible. Lorsque les avis de l’Office et de la Commission seront différents, ce sera au secrétaire d’État de trancher.

Donc, vous défendez ce compromis…

Parce que j’y crois! Quand l’État n’a pas été en mesure de prendre une décision dans un délai normal, il est logique qu’on régularise. Quand les personnes sont dans une situation de grande vulnérabilité ou justifient d’un ancrage suffisant, pareil. Pour ce qui est de l’ancrage durable, il faut moduler et graduer les exigences, notamment en fonction de la durée de présence. Ainsi, pour celui qui est présent depuis moins longtemps qu’un autre, on sera plus regardant sur le contrat de travail.

L’arrêt du Conseil d’État qui annule l’instruction du 19 juillet remet-il toute la procédure en question?

Non, pas du tout. Dans le cadre de l’analyse de dossiers individuels, je confirme que, sur le fond, je respecterai les critères en exécution de l’accord de gouvernement dans le cadre de mon pouvoir discrétionnaire.

Cette campagne de régularisation, c’est votre premier acte en qualité de secrétaire d’État à la Politique de migration et d’asile. Quels seront les actes suivants?

Il faudra encore perfectionner le mécanisme de régularisation vers plus de transparence, de clarté, d’objectivité tout en conservant le pouvoir d’appréciation dans le chef du membre du gouvernement en charge de la matière. Mais il y a bien d’autres chantiers, comme le regroupement familial, les mariages de complaisance, l’acquisition de la nationalité ou les relations avec Fedasil…

Les chantiers que vous citez relèvent plutôt d’une attitude”réactive”. Ferez-vous aussi des propositions de politique migratoire”proactive”?

Ça, c’est l’autre volet. Il fallait d’abord mettre l’arriéré en ordre, mais bien sûr ça ne suffit pas. On a besoin d’une perspective à 10 ou 20 ans. Mais là, j’insiste, l’aspect international est déterminant. Impossible d’avoir une bonne politique au seul niveau de l’État belge. Cela commence par la coopération au développement.

On ne peut rien comprendre à la logique des flux si on ne la regarde que par notre petite fenêtre belge. La Belgique doit se donner les moyens de prendre sa place dans une politique mondiale et européenne. L’Europe avance et nous stimule en matière d’asile, de statut des apatrides, de gestion des fonds de retour et des autres fonds européens… Autre nœud: la question de l’éloignement avec sa dimension nationale – l’éloignement doit rester responsable et humain , mais aussi internationale, puisqu’il ne peut avoir lieu que si le pays dont la personne dépend a donné son accord. D’une certaine manière, tout le travail d’accueil de l’étranger (regroupement familial, régularisation, acquisition de la nationalité…) ne prend tout son sens que si on peut aussi assumer une décision d’éloignement. Ce qui nous replace directement dans une logique internationale et européenne.

On ne parle plus de la migration économique. Un effet de la crise?

Ce serait dommage de s’en passer, même si, le marché de l’emploi étant ce qu’il est, ce n’est peut-être pas le moment le plus propice. Mais on ne sera pas toujours dans le marasme. La migration économique, ça se prépare et ça s’étudie.On ne peut rien comprendre à la logique des flux si on ne la regarde que par notre petite fenêtre belge. D’une part, les flux migratoires existeront toujours. D’autre part, il suffit de regarder les prévisions du Bureau du plan: on va avoir besoin de la migration. Ce qui biaise aujourd’hui le débat en Belgique et le rend si sensible, c’est son lot de clandestins qui sont déjà sur le territoire. Ça nous a empêchés de réfléchir en termes de flux migratoires. Est-ce qu’on fait de la migration circulaire, avec des personnes qui viennent un certain temps et repartent? Est-ce un modèle utile ou pas? Il faut sortir d’une approche qui consisterait à ne gérer que des migrations subies.

Revenons à la régularisation. Après ce one shot, il y aura un autre shot?

Ce n’est pas ce que j’envisage. Après ce one shot, il faut un bon mécanisme structurel, avec des critères permanents. Ces critères, certains les trouvent trop larges et d’autres trop étroits. Comme les critiques viennent de deux côtés, je me dis qu’on n’est pas loin du bon. Mais je me doute que ce ne sera pas évident, d’autant plus qu’ils seront permanents…

Dernière question: ça vous plaît d’être en charge de ces matières?

Je vais être honnête avec vous: oui et non. Oui, car j’ai de l’enthousiasme pour répondre à ce qui est un fameux défi. Mais il n’y a rien à faire, il y a un côté humain qui est terrible. Au niveau macro, tout le monde a toujours une excellente solution. Mais une fois qu’on a compris que, derrière chaque dossier, il y a un vécu, une famille, cet aspect humain vous submerge. Je ne regarde pas de la même façon mes tableaux budgétaires et un dossier de régularisation ou d’éloignement. Au niveau micro, quand il s’agit d’une personne qu’on connaît, la solution macro n’est plus d’application. C’est sans doute de la schizophrénie, mais c’est tellement humain. Et je m’interdis ici de donner des leçons, parce que c’est un sentiment qu’on vit tous. Enfin, quoi qu’on fasse, ce seront des paramètres internationaux qui seront déterminants. C’est difficile d’avoir prise sur des phénomènes de cette ampleur. 

Propos recueillis par François Corbiau et Henri Goldman

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