Gare du Nord

Entretien avec Noémie, une “bénévole” de l’aide aux demandeurs d’asile. Ce qu’elle a découvert en novembre 2010 dépassait tout ce qu’elle avait pu connaître auparavant.

Interpellée par la situation des demandeurs d’asile qui ont trouvé refuge dans le hall de la gare, vous décidez un soir avec une collègue d’aller leur distribuer de la soupe…

Je travaille dans les environs de la gare du Nord. Un soir, ma collègue m’explique qu’ils ont besoin de renfort pour distribuer de la soupe à ces personnes. Très vite, je prends conscience de leur état de détresse. Sans nourriture, sans couverture et surtout sans accompagnement médical, elles n’avaient même pas accès aux toilettes de la gare puisqu’elles devaient payer 50 centimes. À partir de ce moment-là, nous sommes plusieurs à nous mobiliser…

Vous décidez alors d’entamer des démarches officielles avec la commune de Schaerbeek et le CCN, organe de gestion de la gare du Nord…

Nous décidons d’alerter les autorités communales de Schaerbeek pour tenter de trouver une solution pour ces personnes et pour exiger que celles-ci ne soient pas expulsées dans le froid à la fermeture de la gare chaque soir.L’espace est grand et non chauffé. Il n’y avait plus de chaudière. Certains carreaux étaient cassés et la température chutait la nuit. Dès le départ, les autorités communales se déclarent incompétentes pour l’accueil de ces femmes, enfants et hommes qui vivent dans le hall de la gare. La réponse de la commune arrive comme un couperet: les demandeurs d’asile doivent évacuer les lieux dans un délai d’une semaine sans quoi ils seront expulsés dans les prochains jours. Alors, nous nous mettons en quête d’un lieu alternatif. Un demandeur d’asile à la rue nous a indiqué un bâtiment dans lequel il avait trouvé refuge depuis plus d’un mois et où il y avait encore de la place, dans un ancien home à Laeken.

Quand vous investissez les lieux, tout ne se passe pas comme prévu…

Arrivés sur place, nous avons commencé à occuper les lieux, mais la réaction du voisinage était plus que mitigée. Même s’ils comprenaient les raisons pour lesquelles nous occupions ce bâtiment, des voisins ont appelé le propriétaire du bâtiment et la police. Au nom de l’urgence humanitaire – il y avait 30cm de neige, des températures négatives –, les autorités finissent par tolérer notre présence. Nous savions que nous n’avions que quelques semaines de répit avant que l’on ne remette les gens dans la rue. Entre-temps, des dizaines de demandeurs d’asile avaient déjà trouvé refuge dans le bâtiment.

Mais les conditions de vies dans ce nouveau lieu occupé sont loin d’être aisées…

L’espace est grand et non chauffé. Il n’y avait plus de chaudière. Certains carreaux étaient cassés et la température chutait la nuit. Dans l’urgence, nous avons dû bricoler une citerne à mazout et faire remplir les cuves grâce aux dons de citoyens solidaires. Chaque jour était un état d’urgence où il fallait trouver des docteurs solidaires, des solutions pour des familles. Aidés par des avocats, nous avons décidé de mettre en demeure l’État belge pour le forcer à accueillir ces personnes ou, à tout le moins, le forcer à payer pour assurer les besoins élémentaires, à commencer par le remplissage de la cuve à mazout.

Et petit à petit, un véritable réseau de solidarité se met en place…

Des collectifs, des voisins et des personnes solidaires face à cette situation d’urgence ont apporté de l’aide d’appoint (nourriture, vêtement, mazout, produit d’entretien). Avec le bouche à oreille, les personnes dans le besoin étaient de plus en plus nombreuses à venir frapper à la porte de notre occupation. Nous avions réussi à mettre en place un véritable système d’organisation. Plusieurs associations nous soutenaient. Nous avons réussi à faire face à la situation avec les moyens du bord. Dès le début, la Croix-Rouge nous a apporté de la nourriture et des couvertures. Eux aussi étaient dépassés par la situation d’urgence. Ils sont repassés régulièrement pour distribuer de la soupe et des colis sanitaires. La Croix-Rouge travaillait dur pour reloger certaines personnes considérées comme vulnérables, notamment les femmes et les enfants, mais seuls les demandeurs d’asile étaient pris en compte. Pour les autres, il n’y avait rien.

Une situation extrêmement douloureuse pour le groupe qui s’est constitué et organisé …

Pour moi, ce choix n’était pas du tout humain puisqu’on nous demandait de trier les êtres humains qui ont droit à l’accueil et ceux qui n’y ont pas droit. Paradoxalement, si cela permettait de trouver une solution pour une partie des personnes à la rue, cela a aussi eu pour effet de désorganiser les structures mises en place par les demandeurs d’asile. Régulièrement, la Croix-Rouge est revenue pour prendre des demandeurs d’asile et les réintégrer dans le réseau mais sans nous prévenir et sans communiquer avec le groupe des occupants. 

Propos recueillis par François Corbiau

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