Flandre: l’identité au coeur

Pour Ilke Adam1, l’image d’une Flandre influencée par les Pays-Bas, là où les francophones ont davantage le regard tourné vers la France n’explique pas toutes les différences d’approche dans les politiques d’intégration. Il faut surtout tenir compte de ceci: la Flandre se vit comme une “nation en devenir” . À ce titre, elle accorde un soin particulier aux questions d’identité.

On ne parle plus aujourd’hui de modèle belge en matière d’intégration. On en compte au minimum deux: un pour le Nord et un pour le Sud du pays.

C’est une conséquence des différentes réformes de l’État qu’a connues notre pays. Les compétences liées à l’intégration ont été transférées aux Régions en 1974, puis aux Communautés en 1980. Avec en plus, côté francophone, une nouvelle séparation en 1993 entre la Région wallonne et la Commission communautaire française (Cocof) de la Région bruxelloise. C’est une décision politique qui a des conséquences importantes car elle a entraîné des différences entre le Nord et le Sud du pays au gré des majorités et en fonction des sensibilités.

Malgré la communautarisation de cette matière, les approches étaient relativement similaires au départ?

Globalement, oui. De 1980 à 1988, on a des visions très proches au Nord et au Sud du pays. Durant toute cette période, l’intégration est gérée par les Communautés. En Communauté française, ce sont surtout les fonctionnaires et le secteur associatif qui écrivent les politiques d’intégration. En Flandre, ce sont les ministres sociaux-chrétiens et le secteur associatif. Ce thème ne figure pas encore véritablement à l’agenda politique. Les politiques laissent faire parce que la question n’est pas prioritaire, ni au Nord ni au Sud du pays. Des deux côtés, l’approche à l’époque était de type “multiculturaliste”, on estimait que la reconnaissance des identités d’origine encourageait l’intégration, même si des actions allant dans ce sens étaient très modestes.

Avec la montée de l’extrême droite à partir de 1988, la question de l’intégration va progressivement devenir une préoccupation politique majeure au Nord du pays…

Avec la victoire du Vlaams Belang aux élections communales de 1988, la question de l’intégration entre de manière fracassante à l’agenda politique flamand. On décide d’investir davantage cette question, notamment en consacrant plus de moyens à la politique d’intégration. Mais l’approche reste fondamentalement multiculturaliste.

A priori, c’est paradoxal. Alors que l’extrême droite monte en puissance, on décide d’intensifier l’approche multiculturaliste…

Non, plusieurs facteurs permettent d’expliquer ça. Cette réaction est profondément liée à l’histoire flamande: ayant été assimilés un siècle plus tôt par les francophones, les Flamands ne veulent pas reproduire une politique de ce type avec les immigrés. L’identité flamande a été  façonnée par opposition à la vision assimilationniste des francophones et la Flandre a continué dans la voie du multiculturalisme. À cela s’ajoute le fait que la Flandre se considère comme une “nation en devenir” qui veut se démarquer de la Belgique francophone et qui ne veut pas être perçue comme “raciste”. C’est pourquoi il y a eu en Flandre, jusqu’en 1999, un modèle d’intégration que je qualifierais de “multiculturaliste interventionniste”. Multiculturaliste parce qu’on croit que l’État doit laisser la possibilité à chacun de vivre sa culture d’origine, que ça n’entrave pas la participation, mais qu’au contraire, ça permet une certaine égalité. Mais aussi interventionniste, parce que l’État intervient sur la dimension culturelle de l’intégration.

Ayant été assimilés un siècle plus tôt par les francophones, les Flamands ne veulent pas reproduire une politique de ce type avec les immigrés

La Flandre a le regard tourné vers le voisin néerlandais où les choses bougent dès le milieu des années 1990…

Le VLD a commencé à défendre la mise en place d’une politique d’ ”inburgering” en Flandre, à l’image de ce qui se faisait aux Pays-Bas depuis le milieu des années 1990. Mais ce parti défendait ce projet depuis l’opposition. Il avait rédigé une note qui prônait la mise en place d’une politique d’”inburgering” en Belgique, note qui a été accueillie froidement par la majorité de l’époque. Alors, quand il gagne les élections en 1999 et que le CD&V est relégué dans l’opposition, le VLD se bat pour mettre en place cette politique d’”inburgering”, avec notamment l’obligation de suivre des cours de langue et d’intégration civique. Avec les socialistes et Groen, eux-mêmes influencés par l’évolution aux Pays-Bas où la gauche n’hésitait pas à déclarer que “la politique d’intégration était un échec et que si les immigrés avaient des droits, ils devaient aussi avoir des devoirs”. Progressivement, l’idée qu’il fallait mettre en place une politique plus proactive et plus interventionniste s’est imposée en Flandre.

Avec la mise en place d’un parcours d’intégration en Flandre, on assiste à un véritable changement de conception en matière d’intégraton…

Les discussions entre les partenaires de la nouvelle majorité aboutissent en 2003 au décret “inburgering” qui définit le parcours d’intégration de la Flandre. (Voir encadré p.22.) Et c’est Groen, avec le portefeuille de l’action sociale, qui est chargé de mettre en œuvre cette politique. En 2004, l’Open VLD Marino Keulen hérite du ministère. Il en profite pour revoir quelque peu le décret. Alors que la première version du texte était plus axée sur les cours de néerlandais et les aspects pratiques à connaître pour une bonne intégration, sous la deuxième législature, la politique d’inburgering devient plus assimilationniste. Non seulement parce que la question des normes et des valeurs devient un élément central du dispositif, mais aussi parce qu’on élargit le public cible. Cette politique ne s’adresse plus seulement aux primo-arrivants mais aussi aux anciens immigrés et aux Belges issus de l’immigration, qui peuvent dans certains cas être obligés de suivre le cours d’intégration.

En même temps, des institutions comme le Forum des minorités (MinderhedenForum) sont maintenues…

Oui, c’est vrai. On met en place une politique assimilationniste, mais on ne remet pas en question des instruments multiculturalistes mis en place par le passé, comme le mécanisme de financement des associations de migrants. S’il y a eu débats sur la pertinence de ces instruments, leur existence n’a jamais été remise en cause. C’est la raison pour laquelle j’estime qu’il faut parler pour la Flandre d’une approche ambiguë, interventionniste mais autant multiculturaliste qu’assimilationniste interventionniste: que ce soit pour promouvoir la diversité culturelle ou l’homogénéité culturelle, les autorités publiques interviennent.

En 2009, c’est le N-VA Geert Bourgeois qui hérite de l’intégration. Nouveau changement en perspective?

J’étais très curieuse de voir ce que l’arrivée d’un parti nationaliste comme la N-VA allait changer en matière d’intégration. Mais en réalité, le ministre Geert Bourgeois est coincé, dans la mesure où les “grands travaux” ont été faits sous la législature précédente et tout changement supplémentaire ne pourra véritablement se faire qu’en accord avec le fédéral. Prenons par exemple la question des tests d’intégration. Au début, Geert Bourgeois était très intéressé par cette idée. Mais il s’est vite rendu compte que sa marge de manœuvre était limitée. Parce que si la Flandre décide de mettre en place des tests d’intégration mais qu’une personne les rate, que peut-il se passer? Elle est censée être sanctionnée. À quel niveau? Son séjour? Sa demande de nationalité? On touche directement à des matières fédérales où toute décision doit faire l’objet d’un compromis avec les partis francophones.

Propos recueillis par François Corbiau

L’”inburgering”: un parcours d’intégration

Le parcours d’intégration civique est destiné aux étrangers qui viennent s’installer en Flandre ou à Bruxelles. Certains Belges d’origine étrangère font également partie du groupe cible de l’intégration civique. Ce parcours comprend:
uUn cours de base de néerlandais qui se compose d’un module de 240 heures qui peut être réduit si la personne a déjà un certain niveau en néerlandais. Les personnes analphabètes ou très peu scolarisées peuvent bénéficier de 600 heures de cours.

1. Un cours d’orientation sociale où les personnes sont censées faire connaissance avec la société flamande et belge. Ce cours comporte un volet pratique du type: “Comment utiliser les transports en commun?”, ou “Quelles sont les possibilités d’accueil et d’enseignement pour mes enfants?”. Un autre volet aborde les valeurs et normes qui sous-tendent la société flamande et belge.
2. Un accompagnement dans la recherche d’emploi ou d’études et dans l’offre culturelle et de loisirs.
3. Un accompagnement personnel.

Obligatoire en Flandre, ce parcours d’intégration se fait sur base volontaire à Bruxelles. Il est dispensé par un des huit bureaux d’accueil répartis sur l’ensemble de la Flandre: à Bruxelles, à Anvers et à Gand, et dans chacune des cinq provinces flamandes. Dans sa deuxième version, le décret “Inburgering” a élargi le public cible de ce programme: obligatoire pour les primo-arrivants, les immigrés sont encouragés à le suivre, mais sur base volontaire. FC

Note:
1   La politique d’immigration et la politique d’intégration des immigrés à l’épreuve des piliers (1974-2003), ULB, GERME.
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