Le 18 juin 2008, le Parlement européen adoptait la directive dite “retour” et mettait ainsi fin à une âpre bataille de près de trois ans. L’idée de départ de cette directive relative “aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier”1 – en clair, aux possibilités de détention et d’expulsion des migrants non-européens – pouvait paraître louable tant la situation des migrants détenus sans cadre juridique dans certains États était scandaleuse. Et quand les cadres existaient, ils étaient particulièrement disparates: pour ne prendre que l’exemple de la durée de rétention, la fourchette allait de 32 jours maximum en France (voire 20 jours en zone d’attente) jusqu’à une détention illimitée au Royaume-Uni ou en Suède, en passant par 8 mois en Belgique ou 18 mois en Allemagne.2
Durée maximale de la détention: un nivellement par le bas
Certaines ONG nourrissaient même quelques espoirs puisque, pour la première fois, une directive européenne sur cette matière allait être adoptée suivant la procédure de codécision, ce qui signifie que l’avis du Parlement était mis à égalité avec celui du Conseil européen et laissait dès lors augurer un vrai débat politique. Si débat il y a eu, c’est peu dire que ces espoirs ont été déçus. Non seulement le texte initial de la Commission Européenne était critiquable au regard des droits fondamentaux, mais le Parlement l’a durci sur plusieurs points.
L’Union européenne poursuit ainsi sa guerre aux migrants, poussant encore un peu plus loin leur criminalisation.
S’inspirant du système allemand, la directive prévoit une durée de rétention très longue. Alors que la Commission avait opté pour une détention de 6 mois maximum, le texte final prévoit une durée maximale de rétention de 18 mois. À titre de comparaison, on relèvera qu’en Belgique, une personne condamnée pour coups et blessures volontaires risque au maximum 6 mois de prison. On rappellera aussi qu’en 2005, le Conseil de l’Europe avait estimé que la détention en vue de l’expulsion devait être aussi brève que possible. Cette durée a été l’un des principaux points d’achoppement pendant les discussions qui ont précédé le vote.
En effet, une durée aussi longue ne répond plus aux motivations classiques de la détention, à savoir retenir l’étranger le temps de l’organisation administrative et matérielle de son expulsion, mais ouvre la porte à une véritable politique de contrôle des flux migratoires par la mise à l’écart et l’internement administratif.
Détention des mineurs et interdiction de séjour de 5 ans sur le territoire européen
Autre point sensible: le sort des mineurs. La directive n’exclut pas la détention des mineurs non accompagnés ni des familles, même si elle précise qu’elle ne doit avoir lieu qu’en dernier ressort et pour la période la plus brève possible. De manière paradoxale, alors que la directive proclame que l’intérêt supérieur de l’enfant doit être pris en compte, elle n’exclut pas la possibilité de l’enfermer pendant 18 mois! Ceci va à l’encontre des principes fondamentaux contenus dans la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989.
La directive instaure également une interdiction automatique d’entrée et de séjour sur le territoire de l’UE de cinq ans lorsqu’une personne n’a pas obtempéré à une décision de retour. Cette durée peut dépasser cinq ans lorsque l’étranger constitue une menace sérieuse pour l’ordre public ou la sécurité nationale. Même si les États peuvent la lever pour des raisons humanitaires, cette nouvelle forme de bannissement, qui rappelle celle de la double peine, est très problématique au regard du droit de demander l’asile, y compris pour les personnes expulsées, et du droit à la vie privée et familiale consacré par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Et, en pratique, elle condamne à la clandestinité les personnes qui reviendront, quoi qu’il advienne, sur le territoire de l’UE après leur expulsion.
Une directive adoptée malgré les critiques de toutes parts
Un mois avant le vote, joignant sa voix à celle des ONG, le Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe rappelait que la détention ne devrait être utilisée que contre les criminels, ce que les migrants ne sont pas. Fait rare, le président bolivien Evo Morales écrivait une lettre ouverte à tous les eurodéputés: “Au nom du peuple de Bolivie, de tous mes frères du continent et des régions du monde comme le Maghreb et les pays de l’Afrique, je fais appel à la conscience des dirigeants et des députés européens, des peuples, citoyens et militants d’Europe, pour que ne soit pas approuvé le texte de la “directive retour””3. En vain.
Depuis l’adoption de la directive, les critiques n’ont pas manqué en Europe et dans le monde, en particulier en Amérique latine et en Afrique. Au début de l’année 2009, le groupe de travail sur la détention arbitraire des Nations unies critiquait à son tour la durée excessivement longue rendue possible par la directive et rappelait que les migrants en situation irrégulière ne devraient pas être qualifiés de ou traités comme des criminels, ni du reste être abordés sous le seul angle de la sécurité nationale.
Renforcer encore un peu plus la guerre européenne aux migrants
La directive fixe le délai de transposition par les États membres au 24 décembre 2010. Il y a peu de chances que la Belgique respecte ce délai mais ce ne serait pas la première fois qu’elle serait en défaut de transposition, tant s’en faut. Il est vrai que le gouvernement est en affaires courantes, ce qui ne facilite pas la tâche, mais ce même gouvernement n’en préside pas moins l’Union européenne jusqu’au 31 décembre, ce qui risque de faire un peu désordre. À en croire certaines déclarations ministérielles, la Belgique n’aurait cependant pas l’intention d’augmenter la durée de rétention, contrairement à la France et à l’Italie qui ont, sans surprise, saisi la balle au bond. Mais un certain nombre de questions délicates restent à trancher comme celle de la transposition de l’interdiction d’entrée ou de la définition du risque de fuite.
À l’heure où les États membres doivent transposer la directive, l’impression qui domine confirme malheureusement les craintes émises au moment de son adoption: à quelques exceptions près, celle d’une harmonisation par le bas des droits des migrants où l’enfermement se généralise, pour des durées toujours plus longues, au point de l’ériger en véritable mode de gestion des migrations. Alors qu’elle peine à mettre en place un système d’asile européen, l’Union européenne poursuit ainsi sa guerre aux migrants, poussant encore un peu plus loin leur criminalisation sans paraître se soucier outre mesure du coût humain vertigineux de cette fuite en avant.
Notes: