“Des jeunes de Molenbeek, j’en connais plein! Mais pas des radicalisés”

Depuis les rues de Molenbeek où il travaille avec les jeunes en passant par le palais de Laeken et les rues de Tokyo, la vie d’Ali El-Abbouti, septième fils et filleul du roi, a pris des détours inattendus.

Ambiance de fin de marché à Molenbeek. Il est 14 heures sur la place communale et le marché touche à sa fin. Les camions et les camionnettes sont garés à côté des échoppes. Les maraichers sont affairés à charger les marchandises et à démonter les stands. Entre deux échoppes, Ali surgit.

À force de passer du temps avec des jeunes, il finit par leur ressembler. Démarche chaloupée, baskets aux pieds, quand il marche on dirait presque qu’il danse. Au téléphone avant la rencontre, Ali a mis les points sur les “i”. “Autant que ce soit clair, je ne suis pas un expert du radicalisme.” TF1, les Inrocks et d’autres journaux français sont venus frapper à sa porte après les attentats de Paris. Avec toujours la même requête. “Des jeunes de Molenbeek, j’en connais plein, moi! Mais pas des radicalisés.

Parrainage “royal”

Le problème avec Ali, c’est qu’il connaît tout le monde. Alors quand on déambule avec lui dans les rues de Molenbeek, il faut s’armer de patience. Ou plutôt prendre le temps de dire “bonjour”, demander des nouvelles de la famille et échanger quelques mots. Quand vous marchez à ces côtés, les personnes se retournent, vous sourient et vous saluent.

Ali y connaît tout le monde même s’il n’habite pas la commune. Il y travaille mais il vit à deux pas de là, à Anderlecht. “À 27 ans, je suis encore chez mes parents“, sourit-il. La grande maison familiale paraît aujourd’hui bien vide. Des huit frères, il n’en reste plus que deux. Les parents au rez-de-chaussée, Ali au premier étage et son grand-frère au deuxième. “J’avais 5 ans quand mes parents ont acheté la maison. Avant, on habitait à 10 dans un appart’ trois chambres.

Arrivé seul du Maroc en 1964, son père a travaillé plusieurs années dans les mines avant de devenir ouvrier à la chaîne dans une usine sucrière de Tirlemont. Sa mère et son premier frère sont nés au Maroc. “Dans ma famille, on est Rif. Nous sommes berbère. Mes parents sont originaire de Tafersit, dans l’est du Maroc pas très loin de Melilla“. Ses autres frères sont nés en Belgique. “Mais toute ma famille est belge“, tient-il à préciser.

De la fratrie de huit, Ali est le septième garçon à être né en Belgique. Une position qui lui assure, selon la tradition belge, un privilège particulier. “Mon parrain, c’est le roi des Belges. Je suis le filleul du roi Baudouin. Comme il n’avait pas d’enfant, j’étais prétendant au trône. Mais j’étais trop jeune“, dit-il avec un sourire malicieux. “Franchement j’en parle jamais. C’est plus un gag qu’autre chose. J’ai reçu un cadeau à ma naissance et chaque année, le Palais m’envoyait une carte postale pour mon anniversaire.

En 1991, à l’occasion des 60 ans et de ses 40 ans de règne, le roi Baudouin a invité tous ses filleuls aux festivités organisées au Palais de Laeken. Du haut de ses 3 ans, Ali faisait partie de la liste des invités. Mais Mimouna, sa mère, peu à l’aise avec les ors des Palais et l’idée de converser avec le souverain dans un français hésitant, a préféré décliner l’invitation.

Parcours exemplaire

Huit garçons à la maison, ça déménage. Et ça en fait des histoires à raconter. Avant de raconter le parcours de ses frères, Ali est obligé de prendre une grande respiration: “Mon plus grand frère est ingénieur en électromécanique. Celui d’en-dessous est psychopédagogue. Il a un master en science de l’éducation. Celui encore en-dessous est éducateur. Ensuite j’ai un frère qui est expert comptable mais qui travaille à la Stib. Dans les bureaux. Mon autre frère a aussi une formation de comptable mais il travaille à la Poste. Il est facteur. Enfin, mon frère juste au-dessus de moi est islamologue. Il a un master en sciences économiques et politiques.

Ali, lui, a eu un parcours scolaire “compliqué”. Après avoir tenté à plusieurs reprises sa 4ème secondaire, il arrête l’école à 18 ans. “Au bout de la quatrième fois, j’ai abandonné. J’ai travaillé comme agent de sécurité aux abattoirs d’Anderlecht. Ce sont mes frères qui m’ont poussé à reprendre des études. Ils disaient: Ali c’est pas normal, tu es un garçon intelligent, il faut que tu te bouges.” À 24 ans, le jeune homme reprend des études d’éducateur spécialisé. Deux jours par semaine en promotion sociale combinés avec un contrat de travail. “J’ai pris le temps de me former“, dit-il en haussant les épaules. “J’ai trainé très tôt dans les maisons de jeunes. C’est là que j’ai commencé à travailler dans les quartiers.

Son truc à Ali, ce sont les “jeunes”: les 15-25 ans. “Ils se sentent discriminés mais ils sont tout aussi discriminants! Ils se sentent exclus alors ils ont tendance à rejeter les autres et à rester entre eux.” Une barrière mentale qu’Ali tente de lever à travers ses projets. “Certains jeunes de Molenbeek ont arrêté l’école en 3ème ou 4ème secondaire et galèrent. Quand ils voient qu’au final je m’en sors bien, ils se disent que c’est possible.

Un parcours qui donne à Ali une certaine légitimité. “Il y a plein de jeunes qui sont dans le même cas que moi. Mais là ils voient qu’au final je m’en sors bien, que j’ai rattrapé mon retard grâce à une formation. J’ai la facilité d’avoir connu le même parcours qu’eux. Je sais ce qu’ils vivent.” Ali voit aussi un autre avantage à son parcours. “Je suis issu des mêmes flux migratoires puisque 80 % d’entre eux sont Belges mais ont des parents originaires du Maroc. Je connais les codes culturels. Même s’ils sont perdus après tout ce temps parce qu’aujourd’hui on en est à la 3ème ou la 4ème génération.

Choc culturel

Ali regrette que la plupart des gens ait peur de faire des projets avec les jeunes. “Moi, c’est le contraire. Il faut les responsabiliser. Dès qu’ils se sentent valorisés, leur rapport à eux-mêmes et à leur environnement change.” Alors Ali multiplie les initiatives avec eux, y compris les plus folles. Il y a un an, c’est au Japon qu’il est parti avec 14 jeunes du quartier. Au départ de ce voyage, une boutade. “Deux jeunes étaient fans de mangas, ils dessinaient très bien. On a créé un groupe pour réaliser notre propre manga. Quand c’était terminé, je leur ai dit en rigolant qu’il nous restait plus qu’à aller au pays du manga“. Chiche? Les jeunes l’ont pris au mot.

Quelques mois plus tard, ils décollaient tous pour le Japon. Au programme: Tokyo, Osaka, Kyoto, Yokohama et l’ascension du Mont Fuji. “C’était une expérience incroyable pour les jeunes. Notre seul moyen pour communiquer, c’était “google traduction”. On était totalement perdus, là-bas, sans repères. Le choc culturel était intense“. Une façon pour lui de travailler avec les jeunes la question des identités. La clé selon Ali pour bousculer les uns et libérer la parole des autres. “Parce qu’ils sont belges, mais ce n’est jamais cette identité-là qu’on leur renvoie.”

Le roi et ses filleuls

En Belgique, la tradition veut que le Roi soit le parrain du septième fils d’une fratrie. Initiée sous Léopold Ier, la pratique s’est généralisée sous Léopold II.

Signe des temps sans doute, c’est sous Baudouin Ier que la tradition a été élargie aux enfants qui ne possédaient pas la nationalité belge mais dont les parents étaient installés depuis longtemps en Belgique et dont la plupart des frères et sœurs sont nés ici.

Cette faveur royale n’est pas accordée automatiquement. Il faut que le bourgmestre de la commune où réside le futur filleul royal en fasse la demande. Pour ce faire, la famille doit être installée en Belgique depuis une assez longue période mais ses membres ne doivent pas forcément être naturalisés.

L’enfant doit être né sur le sol belge, comme la plupart de ses frères et sœurs. Ils doivent tous être issus d’un même mariage. Traditionnellement, mais sans que cela soit une obligation, l’enfant concerné portera le prénom de son illustre parrain ou marraine.

Le Roi Baudouin a eu en tout et pour tout 594 filleuls au cours de ses 42 ans de règne. Parmi ceux-ci, un certain Ali.

 

 

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