Fuir le danger pour finalement se retrouver enfermé par l’autorité à laquelle on est venu demander protection: c’est ce qui est arrivé à Jérôme…
Ayant participé à une manifestation dans son pays en Afrique de l’Ouest, il est arrêté par la police et passé à tabac. Il croupit alors plusieurs semaines dans un cachot jusqu’à ce qu’un membre de sa famille corrompe un des gardiens. Sa fuite du pays est organisée. Un passeur le fait monter à bord d’un vol à destination de Bruxelles. À l’aéroport, épuisé, Jérôme demande l’asile. Il reste deux mois au centre 127, au bord des pistes d’atterrissage de l’aéroport de Zaventem. Le jour de l’audition devant le Commissariat général aux réfugiés et apatrides (CGRA), son avocat ne se présente pas. Jérôme est stressé et perd les pédales. Son récit est jugé incohérent. Il est renvoyé dans son pays. De retour dans son pays, il est à nouveau appréhendé par la police. Aujourd’hui, il vit caché.
Une pratique de plus en plus répandue
L’histoire de Jérôme n’a malheureusement rien d’exceptionnel. Dans certains pays, comme à Malte par exemple, la détention des demandeurs d’asile est la règle et non l’exception: interceptés en mer ou échoués sur les côtes, ils sont enfermés parfois jusqu’à 18 mois dans des conditions extrêmement précaires.
Il n’existe pas de justification éthique à la détention des demandeurs d’asile. On n’enferme pas quelqu’un qui fuit un danger.
En Belgique, la pratique est en expansion. En 2009, 1.885 demandeurs d’asile ont été détenus dans notre pays alors qu’ils n’étaient que 1389 en 2008. La réforme de la procédure d’asile de 2007 a étendu les possibilités de détention des demandeurs d’asile. L’Office des étrangers (OE) a désormais la possibilité de priver quelqu’un de sa liberté dès l’introduction de la demande. Il ne s’en prive d’ailleurs pas, en particulier pour les demandeurs pour lesquels il compte demander la “reprise” à un autre État européen.
Enfermer pour transférer
L’usage fréquent de la détention dans le cadre du règlement de Dublin – plus de 300 personnes en Belgique au cours des trois premiers mois de 2010 – renforce la controverse autour de ce mécanisme de répartition des demandeurs d’asile entre les États membres de l’Union européenne. Priver quelqu’un de sa liberté pour des raisons de pur “management administratif” est-il justifié? La plupart des demandeurs enfermés pour être transférés ailleurs en Europe n’ont encore jamais eu l’occasion d’être entendus sur leur besoin de protection. Ils ont le sentiment d’être traités comme un paquet indésirable que se renvoient les États. Et comme ils sont souvent détenus à la suite d’une convocation à laquelle ils se sont rendus en toute bonne foi, leur confiance envers les autorités est à zéro. Le cocktail “Dublin + détention” ne manque pas d’effets pervers: nombreux sont ceux qui préfèrent la clandestinité plutôt que de risquer d’être enfermés et expulsés au cas où ils demanderaient l’asile.
Le centre fermé en guise de bienvenue
En Belgique, les personnes qui font une demande de protection “à la frontière”, c’est-à-dire dans la plupart des cas à l’aéroport de Zaventem, sont détenues presque automatiquement. Toutes passent par un centre fermé, sauf les mineurs non accompagnés, à condition que la police des frontières ne remette pas en cause leur âge, et les familles avec enfants. La procédure est accélérée: elle doit être bouclée endéans les deux mois et demi. Durant tout ce temps, les demandeurs d’asile restent enfermés.
On ne saurait sous-estimer l’impact de la détention sur la qualité de la procédure d’asile. Il y a d’abord des obstacles objectifs. La limitation des contacts avec l’extérieur complique la recherche d’éléments d’information ou de preuve. La dépendance à l’égard de la bonne volonté et de la disponibilité de l’avocat est énorme. Dans la mesure où il n’est pas possible de se rendre à un rendez-vous à son cabinet, il reste à espérer que celui-ci se déplacera pour préparer l’audition par les instances d’asile et qu’il ne fera pas défaut le jour de celle-ci. Les obstacles psychologiques sont encore plus lourds de conséquence.
En Belgique, les personnes qui font une demande de protection “à la frontière”, c’est-à-dire dans la plupart des cas à l’aéroport de Zaventem, sont détenues presque automatiquement.
En février 2009, à l’occasion de l’inauguration de nouveaux locaux d’audition à Bruxelles, le Commissaire général aux réfugiés, Dirk Van den Bulck, déclarait: “Tout est conçu pour créer un climat de neutralité, de calme et de confiance. Ce n’est pas seulement dans l’intérêt du demandeur d’asile mais aussi de l’interviewer: le stress qui va de pair avec une audition d’un demandeur d’asile ne doit pas être sous-estimé.” Est-ce donc bien sérieux de mener des auditions dans un contexte d’enfermement auquel s’ajoute l’angoisse générée par l’épée de Damoclès de l’expulsion? Résultat: de nombreux demandeurs d’asile en centre fermé voient leur demande rejetée. En 2004 – l’administration ne rend pas publics les chiffres pour les années plus récentes –, le taux de recevabilité des demandeurs d’asile détenus à la frontière (28,4%) était sensiblement plus bas que le taux de recevabilité général (41,7%).
À contre-courant de l’idéal de protection
Le recours largement répandu à la détention des demandeurs d’asile montre clairement que les États occidentaux abordent de plus en plus la question de l’asile en termes de gestion des flux migratoires et de moins en moins en termes de protection des droits de l’Homme. Le demandeur d’asile n’est plus regardé comme un réfugié potentiel à protéger mais comme un migrant irrégulier dont il faut se protéger. Il est loin le respect intégral de la Convention de Genève qui en son article 31 stipule clairement que “les États contractants n’appliqueront pas de sanctions pénales, du fait de leur entrée ou de leur séjour irréguliers, aux réfugiés” et qu’ils “n’appliqueront aux déplacements de ces réfugiés d’autres restrictions que celles qui sont nécessaires”. Il n’existe pas de justification éthique à la détention des demandeurs d’asile. On n’enferme pas quelqu’un qui fuit un danger. Peu de demandeurs disparaissent en cours de procédure. La grande majorité des demandeurs d’asile accueillis dans des structures ouvertes y demeurent jusqu’au bout. Les alternatives existent. Les ignorer, c’est commettre un abus de pouvoir.