Le débat sur l’intégration des immigrés et sur la société multiculturelle se ramène souvent à des oppositions binaires: assimilationnisme-communautarisme, universalisme-différentialisme… À juste titre?
Ces oppositions se condensent dans deux “modèles”: un modèle français, jacobin et républicain, qui refoulerait la différence culturelle, ethnique et religieuse en dehors de l’espace public, et un modèle anglo-saxon qui concevrait la société comme une juxtaposition de communautés ethniques, culturelles et religieuses envahissant l’espace public au risque d’imposer leur culture particulière à tous.
Tels qu’ainsi énoncés, ces modèles décrivent des idéologies, pas des réalités: un “pur assimilationnisme” n’existe pas en France et un “pur communautarisme” n’existe pas en Grande-Bretagne. Bref, on est en présence d’une alternative rhétorique caricaturale qui fait l’impasse sur des situations objectives beaucoup plus fluides. Ainsi, les pratiques sociales, politiques et administratives observées surtout au niveau local peuvent être opposées aux approches politiques développées, comme au modèle d’intégration tel qu’il est affirmé par l’idéologie nationale.
Or, ce qui est à l’ordre du jour, c’est plutôt la convergence des pratiques. Quel que soit le modèle d’intégration qu’elles revendiquent et les politiques sur lesquelles ce modèle débouche, les différentes sociétés européennes connaissent à des degrés divers des problèmes semblables qui constituent autant de défis à relever. Partout, les inégalités sociales et économiques se creusent au détriment des couches populaires, parmi lesquelles les immigrés et leurs descendants sont largement représentés. Partout, le racisme et les discriminations raciales, ethniques et religieuses de fait restent importants. Partout, une certaine ségrégation résidentielle s’installe. La plupart des villes européennes sont exposées à des replis communautaires que viennent contrebalancer des tendances cosmopolites portées surtout par une partie de la jeunesse revendiquant une identité culturelle ouverte et multiple. Chaque société connaît une tension entre des affirmations universalistes et des affirmations particularistes dont les modèles obsolètes ne parviennent ni à rendre compte ni à fournir des clés de résolution. Par ailleurs, depuis le début des années 2000, l’Europe est peu à peu sortie de sa logique de l’immigration zéro. Il est généralement reconnu dans le discours des institutions européennes que l’immigration va continuer et qu’elle répond à de réels besoins économiques et démographiques. Les politiques d’immigration ont largement été européanisées et depuis quelques années, un débat européen sur l’intégration s’est développé.
Est-il concevable de développer une politique commune d’immigration sans simultanément développer une approche commune de l’intégration?
Se dirige-t-on vers une approche européenne de l’intégration des immigrés et de gestion de la diversité? Historiquement, ces questions touchent au cœur même de la souveraineté des États. Il leur appartient, et à eux seuls, de définir qui peut entrer sur leur territoire et selon quelles règles, qui peut s’y installer durablement et qui peut y devenir citoyen. Toutefois, dans la mesure où le processus d’intégration européenne lancé par le traité de Rome en 1957 reposait sur les fameuses quatre libertés – liberté de circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes –, la politique migratoire devait tôt ou tard se hisser sur l’agenda politique européen. Ainsi, en un peu plus de cinquante ans, des politiques d’immigration exclusivement nationales ont passé le relais à une politique européenne d’immigration et d’asile largement intégrée, où les États membres de l’Union ont renoncé à une partie de leur souveraineté au profit de l’UE.
Est-il concevable de développer une politique commune d’immigration sans simultanément développer une approche commune de l’intégration? Le maintien de régimes d’intégration nationaux trop différents n’est pas tenable. Il débouche sur des inégalités de traitement des personnes contraires au droit européen. En outre, il risque de rendre certains pays plus attirants que d’autres pour les migrants hautement qualifiés. C’est pourquoi la Commission européenne appelle de ses vœux sinon une politique commune d’intégration des migrants, du moins une approche européenne partagée. Comme celle-ci ne dispose d’aucune base légale en droit européen, elle procède prudemment en stimulant, notamment par le biais de subventions, toute une série d’initiatives non contraignantes amenant les États membres et les organisations de la société civile à coopérer et à échanger points de vue et bonnes pratiques, avec l’objectif de dégager des convergences dans les politiques nationales d’intégration. Ces initiatives s’inscrivent dans le cadre des “principes de base communs de la politique d’intégration des immigrants dans l’Union européenne” adoptés par le Conseil “Justice et affaires intérieures” de l’UE le 19 novembre 2004 (voir ci-contre).
Des constructions hybrides sans cohérence
Ces principes communs ont accompagné d’autres initiatives importantes, comme la consolidation d’une législation solide en matière de lutte contre les discriminations, notamment raciales, et la promotion du dialogue interculturel et interconfessionnel qui a pris la forme de grand-messes médiatico-politiques lors de l’année européenne du dialogue interculturel en 2008. Désormais, on dispose de suffisamment d’éléments probants pour développer une approche européenne de l’intégration et de la diversité.
Mais manifestement, la méthode douce et empirique qui a été choisie en matière d’intégration et de gestion de la diversité ne permet pas vraiment le développement d’un nouveau modèle philosophique et théorique qui viendrait soutenir des pratiques convergentes. L’approche qui se construit sous nos yeux doit composer, comme toujours dans la construction européenne, avec les perceptions, les sensibilités et les visions des différents États membres.
La recherche inévitable de compromis donne lieu à des constructions hybrides qui peuvent parfois manquer de cohérence. D’un côté, on met en avant la richesse de la diversité culturelle, de l’autre, on insiste sur une mise en conformité culturelle des nouveaux migrants, notamment à travers les programmes d’intégration qui tendent de plus en plus à devenir obligatoires. D’un côté, on dit que l’intégration est un processus réciproque, de l’autre, on donne à penser que le poids de l’effort principal doit être du côté des migrants. D’un côté, la pratique des différentes religions est garantie, de l’autre, on demande aux migrants d’adopter les valeurs chrétiennes qui sont au fondement, selon certains, de l’Union. Certes, une partie de l’Europe semble avoir finalement compris qu’elle est un continent d’immigration. Mais elle est encore à la recherche d’une approche vraiment solide, globale et cohérente de ces questions. La citoyenneté multiculturelle de l’Union européenne reste largement à construire.
Les principes de base communs de la politique d’intégration des immigrants dans l’UE
1. L’intégration est un processus dynamique, à double sens, de compromis réciproque entre tous les immigrants et résidents des États membres.
2. L’intégration va de pair avec le respect des valeurs fondamentales de l’Union européenne.
3. L’emploi est un élément clé du processus d’intégration, essentiel à la participation et à la contribution des immigrants dans la société d’accueil et à la visibilité de cette contribution.
4. Des connaissances de base sur la langue, l’histoire et les institutions de la société d’accueil sont indispensables à l’intégration ; permettre aux immigrants d’acquérir ces connaissances est un gage de réussite de leur intégration.
5. Les efforts en matière d’éducation sont essentiels pour préparer les immigrants, et particulièrement leurs descendants, à réussir et à être plus actifs dans la société.
6. L’accès des immigrants aux institutions et aux biens et services publics et privés, sur un pied d’égalité avec les ressortissants nationaux et en l’absence de toute discrimination, est une condition essentielle à une meilleure intégration.
7. Un mécanisme d’interaction fréquente entre les immigrants et les ressortissants des États-membres est essentiel à l’intégration. Le partage d’enceintes de discussion, le dialogue interculturel, l’éducation pour mieux connaître les immigrants et leurs cultures, ainsi que l’amélioration des conditions de vie en milieu urbain renforcent les interactions entre immigrants et ressortissants des États-membres.
8. La pratique des différentes cultures et religions est garantie par la Charte des droits fondamentaux et doit être protégée, sous réserve qu’elle ne heurte pas d’autres droits européens inviolables ou ne soit pas contraire à la législation nationale.
9. La participation des immigrants au processus démocratique et à la formulation des politiques et des mesures d’intégration, en particulier au niveau local, favorise leur intégration.
10. Le recentrage des politiques et mesures d’intégration dans toutes les politiques pertinentes et à tous les niveaux de l’administration et des services publics est un élément clé de la prise de décisions politiques et de leur mise en œuvre.
11. L’élaboration d’objectifs, d’indicateurs et de mécanismes d’évaluation clairs est nécessaire pour adapter les politiques, mesurer les progrès en matière d’intégration et améliorer l’efficacité de l’échange d’informations. LV