Ces derniers jours, on aura beaucoup entendu parler de Gladys Hernandez. Cette chanteuse cubaine a été expulsée de Belgique alors qu’elle avait tous les documents en règle pour venir effectuer la tournée qu’elle devait assurer avec son groupe. Une situation qui révèle l’absurdité de procédures restrictives et arbitraires des autorités belges dont sont victimes de nombreux étrangers lorsqu’ils arrivent chez nous. Cette carte Blanche est parue dans le journal Le Soir du jeudi 27 septembre.
Le mardi 18 septembre, Gladys Hernandez a été expulsée vers son pays d’origine, Cuba. Elle avait auparavant passé trois semaines en centre fermé, à côté de l’aéroport de Zaventem. Centre fermé où elle avait été placée par l’Office des étrangers à son arrivée sur le sol belge. Refoulée, enfermée et expulsée pour quelle raison ? Parce que, selon les autorités belges, les motifs de son séjour n’étaient pas assez clairs et qu’elle ne disposait pas des ressources financières suffisantes.
Motifs de séjour peu clairs ? Gladys Hernandez venait assurer une série de concerts avec son groupe « Sonora Cubana ». Des documents en sa possession l’attestaient. Ressources financières insuffisantes ? Gladys Hernandez avait 600 euros en poche et une lettre de la société de production qui l’invitait.
Malgré toutes les informations et les témoignages complémentaires (dont celui du bourgmestre de la commune où la chanteuse devait se produire), l’Office des étrangers persiste et signe : Gladys Hernandez est enfermée et renvoyée dans son pays d’origine.
L’expérience de Gladys Hernandez nous amène à nous interroger sur cette pratique du refoulement par les autorités belges, et à pointer les problèmes qu’elle pose. Car cette situation, pour le moins absurde, de nombreux étrangers la vivent à leur arrivée en Belgique. Et elle est particulièrement interpellante.
Quand un étranger originaire d’un pays hors Union européenne arrive en Belgique, les autorités sont chargées de contrôler qu’il réunit bien les conditions d’accès à l’espace Schengen : titre de voyage en règle, moyens de subsistance – ou prise en charge – pour la durée du séjour, preuves du motif du voyage, absence de signalement dans le Système d’information Schengen et absence de menace pour l’ordre public. C’est un policier fédéral en charge du contrôle des postes-frontières qui vérifie si ces conditions sont bien réunies. S’il estime que la personne ne remplit pas les conditions légales pour avoir accès au territoire, il établit un procès-verbal à destination de l’Office des étrangers, qui confirmera ou non le refus d’accès au territoire. En cas de refus d’accès au territoire, l’Office des étrangers prend une mesure de refoulement qui est accompagnée d’une privation de liberté dans l’attente du refoulement.
Cette procédure de contrôle nous pose de sérieuses questions, particulièrement en ce qui concerne l’examen du motif de séjour. Tout d’abord, pour les personnes soumises à une obligation de visa, nous nous étonnons de ce double contrôle, en amont (au moment de l’octroi du visa) et en aval (une fois le visa délivré).
Ensuite, ce contrôle du motif de séjour a parfois de quoi étonner, quand on sait qu’un agent peut être amené à demander à un étranger de situer Bruges et Arlon sur une carte de Belgique en cas de séjour pour raisons touristiques. Nous serions curieux de savoir combien de touristes belges seraient capables de situer Santa Clara et Bayamo sur une carte muette de Cuba…
Mais surtout, l’appréciation par l’agent du contrôle de la conformité du motif du voyage avec celui pour lequel le visa a été accordé laisse une large part à la subjectivité. Si deux étrangers arrivent en Belgique avec le même visa et les mêmes motifs de voyage, l’un peut être accueilli par ses amis ou sa famille dans le hall d’accueil de Zaventem tandis que l’autre se retrouvera en centre fermé. Comme ce fut le cas pour Gladys Hernandez et les trois membres de son groupe qui ont été acceptés sans problème sur le territoire belge.
Le refus d’accès au territoire d’un étranger qui dispose d’un passeport et d’un visa en règle est une décision lourde de conséquences. Dès lors, lorsqu’une personne fait l’objet d’un refus, celui-ci doit pouvoir être levé dès qu’elle a pu apporter des éclaircissements qui démontrent qu’elle ne restera pas sur le territoire au-delà de la durée de séjour qui lui a été accordée.
Parce que ce que le cas de Gladys Hernandez a révélé, c’est l’obstination de l’Office des étrangers à maintenir une décision alors que tous les éléments prouvaient le motif de son séjour : assurer les concerts de « Sonora Cubana » prévus en Belgique. Plutôt que de laisser la chanteuse pénétrer sur le territoire et exercer son métier d’artiste, l’Office des étrangers a décidé de l’enfermer et de l’expulser sous escorte, ce qui, soit dit en passant, coûte extrêmement cher (3 semaines en centre fermé, vol de retour, escorte policière…). Pourquoi cette obstination ? Pour assurer la « crédibilité » de l’Office des étrangers ? C’est donc en fonction de cela que se prennent les décisions de refus d’accès au territoire ? L’Office des étrangers ne se serait-il pas montré plus juste en revenant sur l’avis policier et en autorisant la chanteuse à venir se produire en concert, puisqu’il disposait de toutes les preuves concernant le motif de son séjour et sa prise en charge ?
Derrière cela, ce sont les volontés restrictives de la Belgique en termes de politiques migratoires qui transparaissent. En témoigne, s’il le fallait encore, l’évolution des chiffres de refoulements de ces dernières années : en 2011, l’Office des étrangers a pris 2735 décisions de refoulement, contre 1112 en 2007. Le motif le plus fréquemment invoqué par l’Office des étrangers pour refuser l’accès au territoire est le motif de voyage douteux. Et, comme l’a illustré le cas de Gladys Hernandez, c’est bien l’arbitraire de ce contrôle du motif qui pose problème.
Chaque année, de nombreux étrangers viennent en Belgique pour y exercer leur métier, assister au mariage de leur enfant ou rendre visite à des amis. Alors que leurs documents de voyage sont en ordre, ils sont enfermés et renvoyés dans leur pays. Certes, ils ne sont pas interdits de séjour. Ils peuvent refaire une demande de visa et revenir ensuite. Le tout à leurs frais. Comme si toute cela était banal. Non, le refoulement des étrangers n’est pas un acte anodin. C’est un acte grave.
Malou Gay,
Directrice-adjointe du CIRÉ